L'élection
française vue de la Tunisie postrévolutionnaire ou la postmodernité à reculons
Si les
sondages ne se trompent pas, le candidat socialiste sera dimanche soir au
pouvoir en une France en mal de sa postmodernité, y avançant à reculons, comme il
sera détaillé ci-après.
Dans
l'immédiat, je rappellerai que j'ai appelé dans un précédent article à voter
pour F. Hollande toutes les forces postmodernes françaises afin de faire en
sorte que la France cesse de ne montrer qu'une seule facette de sa postmodernité,
sa face sombre, en renouant avec son autre face plus belle à voir.
Je m'explique.
Le professeur Maffesoli, parlant du président sortant Nicolas Sarkozy, l'a
qualifié d'oxymore sur pattes, pointant par cette expression ce qu'il voyait en
lui comme caractéristiques constituant un condensé de l'homme politique en
postmodernité : ses contradictions flagrantes, ses valeurs flottantes et son ego
démesuré l'amenant à brûler sous la pression des intérêts ce qu'il adorait depuis
peu.
Or, si tout
cela fait effectivement partie de la postmodernité, c'en est juste la face
sombre qui, comme avec Janus, va de pair avec une autre, forcément bien plus
éclairée. Celle-ci est faite d'empathie avec la détresse, d'hospitalité pour
l'étranger et de tolérance sans limites dans le cadre d'une loi de fraternité
relevant d'un ordre amoureux à venir.
Le hic, et que
la France (sociologiquement parlant, cela s'entend), sans être totalement
opposée au sens de l'histoire ainsi qu'il s'impose à elle comme à toute société,
doute parfois de ses valeurs bien qu'elles soient incrustées en elle. Et elle a
besoin qu'on les lui rappelle de temps en temps, surtout en période de crise,
synonyme de pertes de repères.
Car ces
valeurs sont bien incarnées par des hommes qui font l'honneur de ce pays, des
hommes de gauche et du centre, bien sûr, mais pas seulement, s'y ajoutant tous
les républicains de droite que nous voyons se désolidariser de Sarkozy emporté
par sa danse du ventre pour plaire aux électeurs de la droite extrême, ces
salafistes de la France.
Or,
aujourd'hui, le porte-drapeau de cette France éternelle est François Hollande.
Voter pour lui, c'est amener la France à reprendre à l'endroit son cheminement
en postmodernité et rejoindre alors le nouveau parcours anthropologique de
l'humanité de demain.
Et rappelons
que ce parcours est aussi en cours en Tunisie post-coup du peuple n'en déplaise
à tous ceux qui s'arrêtent à l'écume des événements, ne distinguant pas la
centralité souterraine en train d'affleurer à la surface de la société
tunisienne. Car la Tunisie, avec ses soubresauts, son effervescence populaire et ses tribus est bel et bien entrée en
postmodernité. J'y reviendrais plus en détail dans une future contribution même
si j'en ai évoqué déjà quelques aspects dans d'autres articles dont celui
consacré à la relecture de l'actuel et du quotidien tunisiens (Cf. Pour une politique compréhensive : Réflexions sur l'imaginaire de l'actuel et du quotidien tunisiens).
Mais en quoi l'élection
française intéresse-t-elle la Tunisie postrévolutionnaire? N'oublions pas, tout
d'abord, que le sort des nations, notamment dans le bassin méditerranéen, est
intimement lié, bien plus que sur le pur plan économique, l'élément politique
et humain étant primordial, conditionnant le reste. Disons ensuite que le saut
qualitatif réalisé par la Tunisie dans sa nouvelle modernité politique ne
saurait se stabiliser sans réel soutien extérieur, moins en termes financiers
que d'actes à haute teneur politique et surtout symbolique dont les retombées
économiques, consubstantielles, ne seront ni absentes ni négligeables.
Je m'explique.
La révolution tunisienne a imposé un fait : la maturité politique de son peuple
et son entrée en postmodernité. Ce processus venant de la base populaire reste
fragile tant que le sommet de l'Etat ne concrétise pas les revendications
légitimes des masses populaires en termes de dignité, de libertés et de justice. Or, il est indéniable que
le faire est de nature à renforcer encore plus la puissance populaire au
détriment du pouvoir institué quels que soient ses titulaires. Et quand on sait
que le parti dominant actuellement a un arrière-plan idéologique qu'il veut
imposer à une société maniant avec talent l'art de l'esquive, on comprend
pourquoi il ne fait qu'épouser les dogmes du prestige de l'État des autorités
qui l'ont précédé et ce au détriment de l'honneur du peuple qu'il est censé
incarner.
C'est
pourquoi, pour prendre juste un exemple, le ministre des Affaires étrangères
n'ose pas faire du principe de la demande de levée pour la circulation du
Tunisien, comme je l'y ai invité, un axe majeur de la diplomatie tunisienne, ne
serait-ce que pour amener la question à être posée devant les instances
européennes et susciter le débat. Car les arguments qu'on oppose en Europe
aujourd'hui à la libre circulation des Tunisiens sont fallacieux, un château de
cartes qui tombera à la moindre bouffée d'air venant d'une démarche officielle
tunisienne au nom des exigences du peuple.
Cela, le chef
de notre diplomatie n'ose pas le faire, car il contrarie la stratégie de son
parti voulant phagocyter à petit feu la liberté actuelle des mœurs du Tunisien
en le maintenant enfermé dans ses frontières, car quelle meilleure façon de
cultiver le discours rigoriste que de diaboliser l'étranger dont on ne sait
rien sinon à travers les caricatures des prédicateurs et qu'on a toute latitude
pour dénoncer à loisir son arrogance du fait de sa politique migratoire
aberrante? Et l'armée des prédicateurs peut alors venir à la queue leu leu prêcher un islam rétrograde en terrain
à conquérir d'autant plus qu'il se présente comme une réserve fermée !
L'Europe doit
comprendre enfin qu'il y va de son propre intérêt de ne pas laisser la jeunesse
tunisienne au piège des intégristes; aussi, reconnaître son droit à la
circulation ne sera-t-il pas seulement l'admission de sa maturité politique,
mais aussi une contribution nécessaire au combat des justes de la société en
termes d'ouverture aux jeunes d'horizons de libertés et de tolérance
insoupçonnés pour continuer leur action en vue d'un islam postmoderne, fraternel,
ouvert et humaniste.
Car cela ne
saurait réussir dans une Tunisie aux frontières cadenassées où les jeunes tunisiens
ne cesseront pas d'être une proie facile aux prédateurs au discours de haine, harcelés
comme ils sont par une propagande de plus en plus agressive qui nourrit la fallacieuse ambition de convertir
un peuple considéré comme impie juste du fait de son attachement à sa liberté et à son désir irrépressible de
vivre.
Or ces moralisateurs
outranciers ne manquent pas d'instrumenter à leurs fins l'incapacité de la
jeunesse tunisienne à circuler librement et d'avoir des bouffées d'air de
rechange quand le courant de la liberté manque d'être étouffé chez elle, n'hésitant pas à profiter de son
sentiment de dignité blessée pour semer en elle leurs mauvaises graines de
rejet de l'autre, cet autre européen qui la rejette déjà.
Voilà pourquoi
l'arrivée à la tête de la France d'un homme ouvert aux valeurs des droits de
l'Homme pourrait contrecarrer, en Tunisie, les visées idéologiques prônant un
islam rétrograde, car il serait susceptible de soutenir les efforts du peuple
tunisien auprès des instances
européennes pour s'attaquer au tabou du visa.
Il n'agira
alors qu'en conformité à ses valeurs pour peu que nos dirigeants osent se
souvenir des leurs et de celles de leur peuple en les mettant en proue de la
politique étrangère du pays.
Alors, les uns
et les autres ne feront qu'assumer la postmodernité de laquelle nous relevons
tous désormais.