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lundi 23 mars 2020

Gestation de nouveau monde 2

Publication impérative des circulaires : la révolution au cœur du système?






Le ministre d’État en charge de la Fonction publique, de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption vient de prendre une décision importante de nature à consolider l’État de droit en Tunisie. En effet, il a édicté la saine règle de non-validité des textes normatifs qui n'auront pas été publiés au Journal officiel. Cette règle est pourtant évidente, étant même basique, dans toute démocratie où la loi — censée déjà être juste et légitime — doit être connue de tous et donc promulguée et publiée au Journal officiel.

Pour une révolution par le haut

Or, s'ils sont prolixes de laïus légalistes et même moralistes, nos politiciens manquent encore de volonté politique ; ils continuent à reproduire cette pratique d'un temps pourtant révolu où l'on simule d'agir en ne s'adonnant qu'à de la pure incantation. Bis pis ! on a fait de cette incantation une véritable psalmodie ; aussi gouverne-t-on en ne veillant qu'à ne pas déroger à un mythique conservatisme qui n’est pourtant qu’une habitude de se soumettre à des lois scélérates, d’un  côté, et d’en abuser grâce à l’impunité assurée, de l’autre. 

Par conséquent, il importe d'aller au bout de la logique de la salutaire règle édictée par le ministre d'État Abbou; elle suppose d'édicter, comme corollaire, la fin de validité de toutes les circulaires n'ayant jamais été publiées et qui ne sont pas moins appliquées. Ce n’est qu’ainsi qu’on en finira avec un droit souterrain que constitue nombre de circulaires qui gouvernent en cachette et en toute illégalité la vie des gens. Sans nulle légitimité, elles nient même des droits consacrés par la norme supérieure dans l’ordonnancement juridique du pays qu’est la Constitution, permettant ainsi de continuer à brimer les citoyens comme cela était de règle sous la dictature.

De la sorte, dans le cadre de la bonne gouvernance recherchée par le gouvernement, on réussira à réformer radicalement la pratique administrative au cœur même du système, réalisant enfin cette révolution mentale qui se fait attendre. Car neuf ans après le coup du peuple, la supposée révolution populaire pour plus de droits et de libertés a été confisquée par les tenants de l'ordre ancien, perpétuant ses pratiques, devenues des réflexes conditionnés, outre ses privilèges et immunités. 

Or, en Tunisie, énorme sinon ahurissant est le nombre de textes qui sont appliqués sans avoir satisfait à l'obligation juridique de publication rappelée par le ministre d'État. Cela concerne surtout les textes administratifs, des circulaires pléthoriques dont la variété s'étend à tous les domaines, en faisant un véritable infra droit, scélérat qui plus est, puisqu'il viole en catimini les acquis du nouvel ordre juridique du pays, particulièrement en matière de droits citoyens et de libertés individuelles.

En finir aujourd'hui est d’autant plus facile à mettre en oeuvre que l’inventaire exhaustif d’une telle négation fâcheuse et officieuse du droit a été réalisé récemment par l’ADLI (Association Tunisienne de Défense des Libertés Individuelles). Intitulé « Les circulaires liberticides : un droit souterrain dans un État de droit », le document est un ouvrage collectif de 332 pages sous la direction de Wahid Ferchichi, édité en 2018 avec le soutien de Heinrich Böll Siftung, en arabe et en français, avec une synthèse en anglais.

En finir avec les circulaires scélérates

Comme le précise la présidente de l’association, Jinan Limam, il s’agit d’une « quête » des circulaires liberticides, (ces) fantômes dans l’ombre » dans le cadre de l’exploration de l’ADLI des « zones d’ombre de l’ordre juridique tunisien », de fausses « règles juridiques », car usurpées et présentant  « un danger pour les droits humains, au même titre qu’une atteinte au principe de sécurité juridique et à l’État de droit ».

L'ouvrage recense l’essentiel de ces textes « de l’ombre, à la fois occultes et secrets », textes internes édictés par les administrations publiques, essentiellement les départements ministériels », et qui « sous couvert d’organisation des services ou d’explication de la bonne application des textes (introduisent) des limites à l’exercice des libertés individuelles qui ne figurent ni dans la Constitution ni dans les lois en vigueur ». Aussi dénonce-t-elle ces documents, surtout leur « nature quasi confidentielle » et leur « caractère souterrain ».

Quant à Wahid Ferchichi qui a dirigé cet important travail, il parle d’un « droit souterrain (qui) nous gouverne », ces circulaires devenant « une arme très dangereuse entre les mains de l’Administration, faisant courir de graves risques aux administrés, notamment lorsqu’elles touchent les droits fondamentaux des personnes et portent ainsi atteinte à l’État de droit. ».

En effet — et il le démontre —, le domaine d’intervention de ces circulaires est très étendu, générant une usurpation des pouvoirs, comme la remise en cause de la liberté de conscience, la menace du libre choix du mode de vie et de la liberté vestimentaire, l'atteinte à la différence culturelle, l'entrave à la libre circulation des personnes, le contrôle de la vie culturelle et artistique, les limites au droit d’accès aux soins. Ce qui, outre la forme opaque dangereuse de ces textes, aggrave l’insécurité juridique dans un pays encore gouverné par les lois de la dictature, où l’absence de Cour constitutionnelle est une tare incommensurable.

Appelant donc instamment à « éradiquer les circulaires liberticides », M. Ferchichi insiste sur l’urgence de publication de toutes ces circulaires après un diagnostic minutieux à la lumière des acquis de la Constitution. C'est bien le moment d'y procéder dans le cadre de la réforme impérative de la gouvernance de ce pays ! En effet, et sauf à généraliser la nouvelle règle ministérielle de non-validité hors publication à tous les textes en application, annulant donc les anciens textes n’ayant pas fait l’objet de publication en leur temps, on ne fera que pratiquer l’incantation, cette sorte de psalmodie politique qui fait office d’action en politique de nos jours.

Il est vrai, notre temps est propice à la culture des illusions et des  phénomènes d’origine artificielle ou accidentelle, l’incantation politique s’ajoutant à l’incantation juridique. L'occasion est par conséquent bien propice pour rompre intelligemment avec une telle mauvaise habitude. La saisira-t-on en vue d'une révolution du système en son cœur même ?       

Référence citée :



 Tribune publiée sur Réalités Magazine
n° 1787 du 27 mars au 2 avril 2020