Manifeste pour une libre Méditerranée
La Méditerranée est la mer commune de tous ses riverains; comme
dans un immeuble, on ne saurait couper ses rives, ne pas vivre ensemble. Or, un
holocauste — terme que la maire de Lampedusa n'a pas hésité à utiliser — y est
organisé; sa manifestation est la politique migratoire européenne, incarnée par
le honteux, coûteux et inefficace dispositif Frontex.
Non au partenariat pour l'immobilité !
Cette
honte ne rejaillirait que sur l'Europe si sa mise en œuvre ne dépendait que
d'elle; or, elle exige aussi notre soutien indéfectible. C'est ce que les
autorités européennes, méconnaissant leurs propres valeurs, autistes aux
exigences des droits de l'Homme en notre mer commune, viennent d'obtenir de nos
autorités. Celles-ci ont violé l'esprit la Révolution tunisienne en signant
dernièrement à Bruxelles en catimini un supposé partenariat pour la mobilité et
qui n'est que celui de l'immobilité. Il est même une totale ignominie, car
foulant les valeurs de l'homme aux pieds, le rabaissant dessous la marchandise.
Cet accord, qui est dénoncé par toutes les associations
démocratiques des Tunisiens expatriés, est certes présenté comme augmentant les
facilités d'octroi des visas, mais il n'est qu'une fuite en avant dans la
politique sécuritaire de la gestion migratoire en Méditerranée. Et celle-ci est
aujourd'hui criminogène, productrice des plus effroyables drames; aussi est-elle
appelée à changer. Pour ce faire, notre gouvernement doit arrêter toute
compromission avec elle. Il ne doit plus être le complice des violations
caractérisées des droits de l'Homme sur lesquels il ferme les yeux, agissant
comme nombre de consciences coupables durant la Deuxième Guerre mondiale,
laissant l'innommable se faire grâce à leur silencieuse indifférence. À la
faveur de la nôtre aujourd'hui, c'est un nazisme mental qui rampe en Occident
alimentant le terrorisme hier encore inconnu sur notre paisible terre.
On ne peut plus continuer d'ignorer à ce qui se passe en
Méditerranée. Notre obligation est d'agir pour une libre circulation dans un
cadre sécurisé. Or, il existe, ayant déjà proposé une formule totalement
respectueuse dans le même temps des réquisits sécuritaires et des droits de
l'Homme. En effet, je travaille depuis longtemps sur un espace de démocratie
méditerranéenne impliquant tous les États démocratiques ou en voie de l'être,
et devant déboucher sur une ère de communion véritablement sincère en des
valeurs de civilisation. Cet espace doit être celui d'une libre Méditerranée
avec l'octroi sans tarder aux ressortissants des pays démocratiques de la liberté
de mouvement sous visa biométrique de circulation délivré pour un an ou trois
ans avec un nombre illimité d'entrées et de sorties.
Oui à un partenariat pour la liberté !
Ce nouveau dispositif sera plus efficace que le coûteux et
criminel système répressif qu'on développe en Méditerranée, cherchant en vain à
bétonner un mur sur les eaux quand les murs sur terre ferme tombent partout. S'il
est un mur qui dure, il est dans les têtes européennes, et il importe qu'on
n'en soit pas les maçons; car sans notre compromission, ce mur finira par
tomber. Et il ne serait que temps grâce à un véritable partenariat qui ne
saurait être que pour la liberté de circulation.
Aujourd'hui, on ne peut plus traiter les humains moins bien que
les marchandises. Or, il est acquis que les marchandises doivent désormais circuler
sans entraves entre les deux rives de la Méditerranée. Il doit en aller de même
pour les êtres humains. C'est une question de haute responsabilité politique
tout autant que de morale et de dignité. Avis à nos responsables s'ils ne
veulent pas être irresponsables aux yeux de leurs compatriotes; surtout qu'ils
ne peuvent plus se cacher derrière la feuille de vigne du réalisme politique
devenu un réductionnisme idéologique criminel.
Osons donc innover, rien de bon ne sortira de catégories de pensée
saturées d'un monde fini. La clandestinité, tout autant que le terrorisme
d'ailleurs, est aujourd'hui entretenue par la fermeture des frontières; cela
est trop évident, sauf pour ceux qui ne veulent rien voir.
Outre sa maturité commandant plus d'égards, notre communauté en
Europe est réduite et sans trop de problèmes (et je l'affirme, la connaissant
intimement); aussi impose-t-elle sans plus tarder qu'on essaye de concrétiser
ce qui est inéluctable dans les rapports internationaux : un traitement enfin
véritablement égalitaire. Et la première manifestation de l'égalité en souveraineté
est la libre circulation; un ressortissant libre de circuler étant un citoyen
digne. De plus, il est créateur de ces richesses qui sont la seule valeur de
nombre de nos partenaires obnubilés par l'état du marché. Or, c'est bien dans
un marché ouvert aux hommes tout autant qu'aux marchandises que les richesses
augmentent de la façon la plus exponentielle.
Il est impératif par conséquent qu'on dénonce, au niveau de
l'Assemblée nationale, l'insensé accord d'immobilité que le gouvernement vient
de signer en violation même des valeurs qu'il est censé honorer. Pour se
rattraper, être en phase des exigences de la Révolution, celui-ci doit agir
sans plus tarder pour une libre Méditerranée. Il trouvera bien plus d'écho
qu'il ne croit en Europe, ne serait-ce qu'en Italie et en France pour l'avoir
vérifié personnellement dans le cadre d'une diplomatie active bien
qu'informelle. Car, dans notre Tunisie Nouvelle République, tout patriote est
responsable de son sort.
Publié sur Leaders