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mardi 11 février 2014

La tunisianité est un humanisme 7

Pour un scrutin uninominal rationalisé *
* Texte intégral



On ne dira pas assez qu'à de très rares exceptions, nos élites politiques comme intellectuelles sont obnubilées par l'extranéité — qu'elle vienne d'Orient ou surtout d'Occident —, cultivant la pensée venue d'ailleurs comme le nec plus ultra de l'action publique ou de la pensée académique sans oser innover, faire œuvre de génie.
Pourtant, dans le même temps, elles reconnaissent la spécificité du talent tunisien et sa capacité à se montrer si original sur cette terre de Tunisie qui, pour être un carrefour de civilisation, est propice à l'enchantement révolutionnaire. Dois-je rappeler ici que le mot « révolution », dérivant du latin revolvere, veut dire, étymologiquement, « rouler en arrière », « faire revenir quelque chose du passé », ce passé classé à tort en archaïque et qui est primordial, essentiel ? C'est d'ailleurs ce qu'enseigne encore l'étymologie.
Or, la révolution aujourd'hui en Tunisie consiste en des retrouvailles avec une tradition novatrice; il s'agit de renouer avec les communions émotionnelles qui sont la marque de notre temps où l'affectuel prime le rationnel sans le contredire, lui donnant une dimension humaine, humanitaire.

Inévitabilité des communions émotionnelles

Notons de suite que par affectuel ou encore émotionnel, j'entends le sens que lui donne l'éminent sociologue Max Weber dans la cinquième partie d’Économie et société. Il ne s’agit donc pas de la caractéristique psychologique connue, qui est une marque du conscient et de l'inconscient arabe et particulièrement tunisien, par ailleurs. C'est l'ambiance générale régnant dans une société en tonalité majeure résumant sa réalité, ce qu'on appelle syntonie en termes sociologiques, et qui est le fondement de toute relation sociale.
En effet, celle-ci se résume en un procès de communication qui présuppose l'établissement d'un rapport de « syntonie » entre les individus, se  définissant par un partage d'une « durée » et d'un « courant de conscience », ainsi que c'est le cas lorsque deux individus s'installent dans un même temps de convivialité. Ce rapport social constitue la condition de possibilité de toute socialité telle qu'elle peut être représentée au travers du langage et notamment de la présence des personnes dans un espace commun.
Ce qui caractérise justement les sociétés dites modernes que nous cherchons à imiter, c'est cette absence de syntonie du fait d'une coupure de plus en plus grande entre les élites et le peuple. De fait, ces sociétés continuent de relever de la belle grande idée du contrat social; or, celle-ci est désormais dépassée. Ce fut une formulation d'un être-ensemble rationnel dont les ingrédients sont aujourd'hui saturés, n'ayant plus sens auprès des masses, comme les termes creux, sans consistance réelle que sont devenus la démocratie, la liberté ou le travail.
Pourtant, par trop dogmatique et conformiste, l’intelligentsia bien-pensante, dans cet intégrisme laïque à dénoncer plus que jamais, continue d’utiliser le discours rousseauiste sans réaliser que la notion prégnante aujourd'hui est celle du pacte, émotionnel à la base. Aussi, approfondit-elle le fossé qui la sépare du peuple, fossé où viennent prospérer les extrêmes de toutes obédiences.
Comme l'a démontré le sociologue de la postmodernité Michel Maffesoli dans « L’instant éternel. Le retour du tragique dans la société postmoderne », la Modernité défunte a été une société dramatique, au sens premier de ce terme pointant la recherche impérative d'une solution à tout problème. Ce faisant, elle ne faisait que prolonger la tradition judéo-chrétienne selon laquelle il urge de traverser au plus vite la vallée de larmes, sortir du désert de l'errance, pour accéder à la vraie vie qui est ailleurs, étant la cité de Dieu. Au contraire, le tragique s'avère aporétique, ne cherchant pas de solution, ne se fixant pas d'itinéraire, surtout pas linéaire. C'est le propre de la postmodernité d'être tragique, incarnée par la figure dionysiaque, cet homo eroticus selon Maffesoli ou encore appelé (même si cela emporte d'autres conséquences) homo festivus par Philippe Murray.
Or, ce qui est en gestation en Occident l'est déjà en caractéristique première de notre pays; c'est ce qui fait même sa force alors qu'on s'emploie à le détruire en singeant un Occident qui ne finit pas de décliner depuis que Spengler a identifié son irrépressible chute.
Appliquée au domaine politique, la distinction dramatique/tragique se retrouve dans cette obsession des politiciens à penser qu’il existe une solution au chômage, à la pauvreté, à la misère...; bref à la crise. Ainsi ne font-ils que s’éloigner du peuple qui, pour ce qui le concerne, continue de bricoler sa vie,  de survivre, et même de vivre, selon les moyens du bord. Pour ce faire, il recourt à la politique de ses moyens minables au lieu de chercher vainement les moyens d'une politique qu'il sait ne jamais pouvoir avoir, ne dépendant pas de lui dans un monde globalisé comme le nôtre. C'est la perspective tragique du peuple qui doit commander le comportement des élites afin d'être raisonnable, véritablement rationnel bien que quasiment intuitif, nous amenant à nous accommoder des aléas de la vie au lieu de les nier dans une prétention dramatique inefficace.
Bien que la spécificité de notre société soit d'être toujours marquée par une grande émotionnalité, ses élites actuelles entendant la moderniser comme ils disent, voulant lui appliquer la marque des pays modernes, soit une hyperrationalisation. Et c'est l'erreur, car il ne s'agirait que d'une marque au fer rouge, une flétrissure sur l'épaule d'un peuple qui ne fait que chercher à vivre et à exister en toute dignité. C'est d'autant plus absurde que dans les sociétés qu'on copie, le retour indubitable et irrépressible se fait vers l'émotionnel, même si la pensée y reste encore dogmatique, la bienpensance cherchant à étouffer les affects. Ceux-ci ne continuent pas moins de revenir et de s’exprimer pleinement; c'est l'expression vraie de ce qu'on appelle crise en Occident.

Traduction de l'émotionnel en termes politiques

Si l'on veut maintenant traduire en termes politiques cet aspect émotionnel essentiel dans notre société, on doit se dire que le mode de scrutin de la proportionnelle aux plus forts restes ne peut être maintenu, car ses présupposés ne cadrent pas avec la sociologie du pays. D'autant plus qu'il s'est avéré calamiteux, exagérant nos maux par inadéquation avec la mentalité du pays.
Certes, il n'existe pas de mode de scrutin parfait; mais il en est un moins mauvais; c'est celui qui est le plus en congruence avec les traditions du pays et sa mentalité. Celles-ci étant à la personnalisation des rapports humains, le caractère émotionnel ci-dessus évoqué, c'est le scrutin uninominal qui l'exprimerait le mieux. En effet, le scrutin anonyme de liste ne convient pas en Tunisie, y relevant du proverbe populaire du chat dans un sac.
Il est vrai que le scrutin adopté lors des dernières élections est conseillé pour contrer les dérives du culte de la personnalité, privilégiant les programmes politiques. Or, quand nos partis ne font rien d'autre que substituer une notabilité abstraite aux notabilités locales concrètes du fait de vacuité de leurs programmes réduits le plus souvent à de creux slogans destinés à conquérir ou à garder le pouvoir, on doit logiquement préférer le rapport personnel entre l'électeur et son élu.
En notre pays, contrairement à ceux ayant une tradition démocratique, il est illusoire de croire qu'on pourrait avoir à la faveur du scrutin de liste un affrontement de programmes, que le scrutin uninominal se réduirait à un  combat de coqs. Il est également faux d'agiter le danger des méfaits de l'argent pour l'achat de voix quand nos partis en usent encore plus efficacement que les notabilités locales tout en prenant moins d'engagements du fait de l'éloignement et l'anonymat.
Dans le scrutin de liste, on ne peut non plus éviter les prétendues facilités manœuvrières des candidats du cru agissant pour leur propre compte tout autant que ce qu'on connaît dans le scrutin uninominal. Pareilles manœuvres ne disparaissent pas avec une liste, étant plutôt portées à un niveau extrême grâce aux moyens du parti. La seule différence dans notre démocratie naissante entre un élu seul agissant pour ses propres intérêts et un élu sur une liste servant nominalement les intérêts de son parti, c'est le dogmatisme inévitable dans le second cas, ce qui pourrait être évité grâce aux individualités éclairées dans le premier cas.
Paradoxalement, c'est avec le scrutin uninominal qu'on a le plus de chance de voir participer la société civile à la politique à travers ses jeunes et ses femmes. Certes, on nous dit que ce scrutin favorise généralement les candidats d'âge mûr et expérimenté; mais c'est là encore un calque de ce qui est  propre aux sociétés démocratiques traditionnelles dont l'exemple marque indélébilement notre imaginaire; cela ne sera pas nécessairement le cas dans notre pays. De plus, il suffit d'adopter quelques règles de bonne conduite pour éviter un tel risque dans le cadre de ce que je qualifie de scrutin uninominal rationalisé. J'y reviendrai plus loin. 
On nous dit aussi que c'est le scrutin proportionnel de liste qui est à conseiller pour les sociétés sortant de dictature, étant de nature à favoriser la sortie de clandestinité des partis interdits et l'émergence de nouveaux ayant enfin la possibilité de se constituer un électorat. Ce schéma n'est encore qu'une illustration de la théorie classique qui n'a plus de prise sur notre propre réalité. S'il est vrai, par ailleurs, qu'un tel scrutin évite le rôle « castrateur » du scrutin majoritaire donnant toutes les voix à celui qui en a le plus, une telle issue n'est pas fatale; il suffit de prévoir des règles pour l'éviter à la faveur de la rationalisation dont je donne un aspect à renforcer par des mesures adaptées. Et elles pourraient venir soigner l'ultime tort attribué au scrutin majoritaire uninominal du fait qu'il entraînerait la déperdition de voix dont un certain nombre n'est en mesure de donner aucun siège.
Car, cette raison ne suffit pas pour en appeler au maintien du scrutin de liste avec une proportionnelle aux plus forts restes, même si l'on invite dans le même temps les partis politiques à se montrer convaincants, privilégiant l'intérêt des électeurs au leur propre et au service de leurs intérêts et de la carrière de leurs chefs, sans parler de leur ego. En effet, s'il est logique et de bonne politique d'appeler à l'établissement de programmes économiques et sociaux alternatifs, on situe mal la solution en la plaçant dans les alliances électorales affinitaires et durables et non pas réactionnelles et opportunistes. L'idée ne serait bonne que si elle se réalise justement en dehors du système actuel des partis, bien plutôt à travers les associations de la société civile. Surtout que, par chance, les nôtres sont très actives et assez politisées, au sens noble du terme qu'est le service de l'intérêt général.
Que faire alors, me demanderait-on ? Voici quelques pistes de réflexion que je propose à nos spécialistes qui sont de grand talent, même s'ils n'osent pas assez l'utiliser pour innover, ce dont ils sont bien capables s'ils s'avisaient de quitter le cocon du conformisme logique.
1 / Abandonner l'actuel scrutin et opter pour le seul qui soit en congruence avec l'esprit et la mentalité du peuple tunisien, le scrutin uninominal.
2 / Ne pas se contenter de recopier ce qui se fait à ce niveau en Occident, mais mâtiner les spécificités de ce système de correctifs sui generis qui le rationaliseraient.
3 / Le scrutin uninominal rationalisé doit supposer, par exemple, un contrat de mission que chaque candidat présentera à ses électeurs. Ce contrat supposera un engagement détaillé, ferme et chronologiquement précis pour la mandature. En l'absence du respect de cet engagement, et moyennant un ou deux rappels à l'ordre, l'élu est déchu de son mandat qui est alors confié à un premier suppléant s'il s'engage à honorer les obligations ignorées. Une démarche identique est à prévoir avec possibilité de déchéance du second suppléant en faveur d'un troisième avant de décider des élections anticipées pour un nouveau trio en mesure de respecter son contrat de mission.
4 / Le suivi du respect des engagements pris et des contestations venues des électeurs serait confié à une structure à créer au sein de l'Instance supervisant les élections et qui contrôlera ainsi la suite des élections, non seulement les opérations de vote, mais aussi la sincérité des engagements et leur respect.
5 / Le candidat à élire se présente donc avec deux suppléants, dont l'un au moins doit obligatoirement être jeune, d'un âge maximum à préciser, et l'autre une femme.
6 / Pour éviter le jeu des intérêts et de l'argent, il est impératif que tout un chacun puisse avoir la possibilité de se présenter à l'élection pour peu qu'il soit soutenu par un certain nombre de citoyens et/ou d'associations. Ainsi, on donnera leur chance aux compétences nouvelles, libérées des obédiences politiques et idéologiques.
7 / Un tel mécanisme privilégiant l'enracinement dans les réalités locales grâce à des élus organiques, il est impératif de le prévoir pour les élections locales et régionales. Celles-ci doivent d'ailleurs être le marchepied pour les responsabilités nationales, les élus de l'Assemblée du peuple devant être issus parmi les élus locaux et régionaux par des élections internes au sein des corps déjà choisis par le peuple. L'élu local pourra ainsi avoir l'occasion de se retrouver à l'Assemblée nationale, auquel cas, ses deux suppléants occuperaient automatiquement sa place à l'assemblée locale et régionale. De la sorte, on donnera une bien tangible consistance à la décentralisation en tenant compte des  réalités les plus expressives de la population et en les dotant de réels pouvoirs. Quel meilleur pouvoir authentiquement représentatif on aurait ainsi, faisant dériver le pouvoir national des autorités élues localement et régionalement ! Surtout si les élections locales et régionales innovent, ne concernant pas seulement les municipalités et les instances régionales nouvellement créées, mais aussi les instances représentatives du pouvoir central comme les autorités préfectorales. Avis aux spécialistes.

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