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vendredi 21 février 2014

Une centralité souterraine 1

Séminaire de l'AICD : Pour un développement durable solidaire *
Publié sous le titre : Le cri de détresse des économistes


Il y avait une belle brochette de personnalités et de hauts commis de l'État, dont l'ancien premier ministre  Rachid Sfar et nombre de diplomates, dont l'ancien ministre des Affaires étrangères M. Ahmed Ounaies, au lancement officiel, en cette matinée du 20 février à Tunis, des activités de la nouvelle association présidée par l'ancien secrétaire d'État khemaies Jhinaoui. La manifestation a été rehaussée, en plus, par la présence du secrétaire d'État à la coopération internationale qui en profita pour brosser succinctement le tableau de bord de la politique tunisienne en matière de coopération internationale avec le but affiché de hisser la Tunisie à la place qui lui sied. Et ce sera en profitant du climat consensuel actuel augurant d'un vrai processus participatif de l'ensemble des forces vivres du pays, notamment sa société civile représentée par ses associations, comme la nouvelle venue.  
Créée le 2 mars 2013, l'Association Internationale de Coopération et de Développement Durable (AICD)  a choisi de réunir nombre de compétences du pays autour de la thématique suivante : Transition démocratique en Tunisie : Défis de développement et enjeux de partenariat. La matinée était structurée autour de deux panels, le premier présidé par M. Tahar Sioud, ancien ministre, traitant du développement en Tunisie, état des lieux et impératifs d'une relance équitable et durable. Le second, sous la présidence de l'ancien premier ministre M. Tahar Sfar, devait évoquer les enjeux de partenariat : quelle coopération internationale pour la relance en Tunisie ?
Impératifs d'une relance pour l'économie tunisienne
Au premier panel, on eut droit à une magistrale intervention de la part de M. Ezzeddine Saidane exposant sur les impératifs d'une relance pour l'économie tunisienne. Il était prévu de la faire suivre par une autre, de M. Abdeljelil Bedoui, traitant du développement alternatif; mais un événement familial malheureux empêcha l'intéressé d'être de la partie.
Dans son allocution d'ouverture dont nous proposons le texte en téléchargement à la fin de l'article, le président de l'association a fait le point des trois années écoulées depuis la Révolution, insistant sur le fait que le pays se trouve désormais à une étape historique dont tout le monde est tenu de maîtriser le cours. Il a aussi évoqué l'activité sur le terrain déjà assez avancée de l'association dont les membres restent bien confiants dans l'avenir du pays, la reprise étant possible pour peu que l'on repense le rôle de l'État en vue de parvenir à rétablir la confiance chez le peuple et le respect des institutions.
C'est dire que le problème du développement humain ou non, est à repenser, comme le nota M. Sioud, en s'attelant sans tarder aux études des enjeux et en faisant pression sur les décideurs pour s'engager dans une voie qui soit la plus prometteuse afin de voir revenir l'ordre et donc la vitalité.
L'état dramatique de l'économie
L'éminent expert économique, Monsieur Saidane, dressa l'état réel de la situation en Tunisie de ce point de vue, insistant sur ce qui doit changer en nous, car il s'agit de reconstruction. Chiffres à l'appui, il se montra très soucieux pour ne pas dire pessimiste, sans verser dans le catastrophisme, juste par volontarisme. Si la situation est difficile, reconnaît-il, il n'y a pas eu d'effondrement; aussi, la relance demeure possible, moyennant des sacrifices et de claires règles du jeu.
Parmi les faiblesses relevées figure bien évidemment le mal endémique qu'est le déséquilibre social et régional, s'ajoutant à l'état dramatique de l'emploi et à la plaie du chômage. Mais ce qui préoccupe par-dessus tout notre spécialiste, c'est ce qu'il appelle l'économie hors la loi qui a pris une ampleur sans précédent depuis la Révolution.    
Outre l'ordre, l'impératif de la relance en Tunisie commande l'investissement qui ne peut venir de la consommation. Une politique d'austérité est inévitable et elle doit être accompagnée de projets d'investissements productifs dont le but sera de corriger les déséquilibres multiples.  
On ne conteste plus que le modèle de développement a atteint ses limites et qu'il faut le repenser dans le sens d'une correction avec l'intention affichée d'améliorer le potentiel de croissance. À ce propos, on pense que le modèle libéral demeure valable, avec le rôle majeur du secteur privé, mais dans le cadre de règles du jeu et des conditions d'entreprendre honnêtes. Il faut donc promouvoir un développement économique soutenable prévoyant une dose d'équilibre régional avec le soutien notamment de l'infrastructure et la qualité de la vie.
Sont nécessaires aussi une nouvelle stratégie de développement, des choix sectoriels créateurs d'emplois et le rééquilibrage et la diversification des relations de la Tunisie, dont 80% des exportations se font vers l'Europe, alors qu'elle n'est plus la partie du monde la plus dynamique. Entre autres pistes, on suggère l'orientation vers un modèle de développement qui soit de nature à pénaliser la culture de rente, car cela contribue à aggraver la perte de la valeur du travail. Autre secteur de développement à ne point négliger, le système bancaire dont on doit veiller à ce qu'il soit sain et non saint, en tentant d'assainir ses maux chroniques. En effet, ceux-ci empêchent que l'économie soit bien financée; or, un tel financement doit être l'une des préoccupations majeures du gouvernement actuel.
On ne manqua pas non plus de noter que l'on a intérêt d'avoir à l'esprit que l'extrémisme que nous voyons se développer dans notre pays fleurit dans des situations où les voies respectables n'offrent plus de solutions pour vivre.
Un second panel improvisé
Le deuxième panel a été lancé emphatiquement par l'ancien Premier ministre R. Sfar qui a dénoncé avec fougue la gabegie qui s'est emparée du pays, puisant dans ses souvenirs pour faire le distinguo entre la politique responsable et la politicaillerie irresponsable. Il considère que la Tunisie a dérapé et qu'elle traîne un boulet qui l'empêchera de se relever pendant longtemps, sauf à faire sa devise des terribles mots de Churchill n'offrant à ses compatriotes, lors de la Seconde Guerre mondiale, que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur.
Et M. Sfar de dénoncer la double fracture du pays, sociale et identitaire, au retour sur les ondes à des discours antiques irrationnels au lieu de dialoguer sur les choix économiques et sociaux dans le pays. Et de noter la mentalité des jeunes exclus des régions défavorisées qui, à leur sentiment réel de frustration, ajoutent du ressentiment faisant le terreau d'une nouvelle révolution qui promet d'être atroce.  L'ancien premier ministre finit son introduction en appelant au lancement rapide d'un dialogue officiel avec la société civile sur nos choix sociaux et économiques afin d'aider le gouvernement à remettre le pays sur les rails.
À pareils tirs à boulets rouges sur le modèle défaillant du développement du président du panel, à son interrogation si on pouvait le rectifier, M. Radhi Meddeb s'est senti interpellé et a préféré improviser sur un sujet qui l'habite malgré tout, constituant en plus le sujet de l'heure, délaissant le thème initial sur lequel il devait intervenir, et qui fera l'objet d'un autre séminaire.
Un nouveau modèle de développement
M. Meddeb a commencé par noter qu'on n'a fait que de la politique durant les trois dernières années avec des débats et de faux débats, dans une concertation ahurissante sur la politique politicienne, délaissant la politique vraie qui est, au sens grec du terme, l'intérêt pour les affaires de la cité. Or, c'est moins la politique qui compte aujourd'hui dans la gestion de la cité; tt de citer le cas des grands de ce monde chez qui la dimension politique (et encore sous sa forme géopolitique) est minime par rapport aux préoccupations économiques, financières et sociales, constituant le quotidien des peuples.
Essayant de répondre à la question de savoir pourquoi on en est là, M. Meddeb rappela les trois raisons qui étaient derrière la révolution tunisienne en signalant qu'elles n'étaient pas propres à la Tunisie, ayant été déjà évoquées en 2002 dans l'introduction au rapport du PNUD. On y notait ainsi que le monde arabe avait fait d'immenses progrès de développement humain sauf dans trois domaines correspondant à une triple exigence non satisfaite :
— une exigence de la voix ou la capacité de s'exprimer et la liberté de conscience;
— une exigence de meilleures conditions sociales, avec les inégalités les plus flagrantes et le taux de pauvreté le plus élevé dans le monde atteignant moins 40%. En Tunisie, rappela M. Meddeb, on parlait officiellement d'un taux de 4% alors qu'on était réellement autour de 16 à 17%. De plus, la fracture numérique y était la plus forte avec 10% seulement avec un accès à internet dans le monde arabe. Et l'analphabétisation était de 18%, soit deux millions, et ce malgré l'œuvre de Bourguiba.
— une exigence de plus grandes opportunités économiques avec la liberté d'entreprendre. D'ailleurs, il n'est pas étonnant, nota-t-il, que cette liberté fût en quelque sorte l'étincelle de la révolution, rappelant que les constituants ont refusé de consacrer cette liberté. Cela montre bien qu'on n'a pas cherché à répondre aux exigences de la révolution.
Évoquant la situation actuelle, notre expert relève que les finances sont exsangues et qu'on connaît juste une partie de la réalité, certainement pas tout. Un groupe de réflexion vient d'ailleurs d'être créé auprès du président du gouvernement, dont M. Meddeb fait partie, appelé à informer M. Jomaa sur la réalité de la situation. Celle-ci est extrêmement difficile. Et il pense que le président du gouvernement, fidèle à sa promesse de dire la vérité au peuple, ne tardera pas de le faire dans un discours à la nation.
Car l'héritage des trois dernières années est très lourd. On ne s'est pas occupé des anciens problèmes, et on en a créé; aussi, le gouvernement actuel paye l'addition. Dire donc qu'on peut revenir à une croissance et nous en sortir est un leurre, sauf à satisfaire aux trois conditions suivantes d'un nouveau modèle de développement  qui soit inclusif, avec la disposition d'institutions durables et d'une gouvernance pour la performance.
L'inclusion, ce sont les solidarités multiples : sociale pour remplacer la solidarité traditionnelle, régionale surtout, supposant de donner les attributs de la compétitivité aux régions tout en tirant les leçons des expériences réussies des pays ayant travaillé sur l'équilibre entre les régions; et enfin solidarité intergénérationnelle touchant à la gouvernance macroéconomique et la gestion durable des ressources naturelles. À ce propos il cita le chiffre ahurissant de 25000 ha de terres arabes détruits tous les ans, notamment sous l'effet de l'urbanisation.
Évoquant le sujet d'actualité de l'eau, il se démarqua des propos récents du président Marzouki, rappelant que si la Tunisie est dans une situation de stress hydraulique depuis longtemps, la solution est loin d'être dans le leurre de la mobilisation des ressources qui se réduisent déjà à 4% ou dans le dessalement qui revient très cher tout en étant énergivore et polluant. Traiter le problème de l'eau appelle à s'occuper non plus de l'offre, mais de la demande. Ainsi, en agriculture, l'absence de politique agricole avec en priorité l'homme fait que si on y a 83% de consommation de la ressource, on n'a que 12% de rendement.
S'agissant du secteur de l'économie sociale et solidaire de marché, ne faisant pas appel aux subventions de l'État, M. Meddeb a précisé que c'est le principe de subsidiarité qui s'applique ici, à savoir que les institutions s'adonnant à une telle solidarité s'ajoutent aux secteurs public et privé et ne les remplace pas. Et il donna l'exemple du Japon où la plus grande mutuelle relève de pareil secteur. C'est par ce secteur d'économie solidaire que la relance pourrait se faire dans le cadre de la coopération euroméditerranéenne appelée à tirer le pays vers le haut.
Pour ce qui est de la gouvernance, l'expert donne des pistes portant sur l'ancrage structurel de la Tunisie à l'Europe, et qui est encore plus profond, étant aussi culturel, mais également dans une réelle interdépendance, tout autant économique que commerciale et humaine.
Les écuries d'Augias
Faisant la synthèse du séminaire, l'ancien ministre Ounaies rappela que si la Révolution tunisienne eut lieu dans un environnement international porteur, elle évolua dans un environnement régional hostile. Il martela aussi que l'ancrage de la Tunisie à l'Europe est conceptuel et non seulement financier. Il affirma de même que l'immense leçon de la Révolution tunisienne est qu'elle a fait la société se tourner vers ses problèmes essentiels : la démocratie, la réforme de la société et ses problèmes fondamentaux.
Il a également estimé que le non-État instauré dans le pays depuis 25 ans a favorisé le développement du marché parallèle, du trafic et de la corruption; car toutes ces tares ont commencé à partir de l'État. Or, ce qui est très grave, c'est que l'on soit arrivé aujourd'hui à 50% de non-État; aussi faut-il absolument nettoyer les écuries d'Augias ! Un tel travail herculéen suppose le retour à un concept rigoureux de l'État, la suprématie de la loi et l'État exemplaire. Et il finit par affirmer qu'il nourrit l'espoir de la réussite d'une telle performance grâce à l'exemple du dialogue national qui est un pur produit du génie tunisien. Mais il doit pouvoir se structurer au-delà de l'électorat, des expertises et des partis politiques sous la forme d'une haute instance nationale incarnant ce dialogue que ne sauraient assurer les structures constitutionnelles, n'étant incarné à merveille que par la société civile.
de M. Khemaies Jhinaoui, 
président de l'AICD



Bureau exécutif de l'AICD

Khemaies Jhinaoui: président (ancien secrétaire aux affaires étrangères, ambassadeur), 
Naziha cheikh : vice-président (ex-secrétaire d'Etat à la santé),
Leila khayat : vice-président (ancien présidente de la fédération mondiale et tunisienne des femmes chefs d'entreprises), 

Abdallah Ben Abdallah : vice-président (journaliste),
Noureddine Fathalli : secrétaire général (professeur universitaire),
Zeineb Chlaifa : trésorier (banquière).
Membres :
Tahar Taieb (avocat),
Nejib Ben Abdallah (journaliste),
Chedli Seghairi (ancien diplomate),
Mohamed Messaoud (ambassadeur à la retraite),
Mohamed Mouaouya (professeur universitaire).
Publié sur Leaders