Adresse aux autorités tunisiennes responsables des migrations :
Osons enfin la révolution !
Messieurs le ministre des Affaires étrangères et le secrétaire
d'État aux migrations.
Nombre de nos jeunes continuent à mourir sous vos yeux en
Méditerranée. Leur seul tort est de revendiquer un droit fondamental de l'Homme
: la libre circulation, synonyme aujourd'hui de dignité, comme elle a été de
survie, tout simplement, au long de l'histoire humaine.
Or, que font les autorités nationales, issues justement d'une
Révolution dont les veines jugulaires se nommaient liberté et dignité ? Elles
se limitent à agir en support d'une politique sécuritaire occidentale, immorale
désormais en ce qu'elle réserve aux hommes un traitement bien inférieur à celui
des marchandises pour lesquelles, du fait même de la philosophie économique de
l'Occident, est revendiquée une totale liberté de circulation.
Certes, sous la pression des associations militantes et de la
société civile, vous commencez enfin, quoique bien timidement, de considérer —
et à juste titre — que la problématique de la clandestinité ne saurait être
juste traitée sous l'angle sécuritaire; et que la fermeture des frontières
européennes avec la calamiteuse politique des visas contribuent amplement à
l'aggraver. De fait, elles en sont bien à l'origine, créant de toutes pièces ce
qui n'est qu'un mythe.
Vous appelez aussi de toute urgence à un dialogue international
franc pour organiser l'immigration légale; mais c'est tout ! Ainsi, vous ne
contestez ni les fondements erronés de cette fausse question ni ne proposez de
solution, alors qu'elle existe bel et bien. Comme on dit — n'est-ce pas ? —, la
meilleure façon de se débarrasser d'une question épineuse est de l'enterrer
dans les méandres d'un pseudo dialogue stérile !
Vous savez pourtant que le problème aujourd'hui n'est plus celui
de l'émigration ou de l'immigration; il s'agit plutôt d'une question de
mouvement vital, bien moins que d'expatriation, d'ailleurs, quoique celle-ci
soit devenue la règle de nos jours dans la vie des gens, et ce au Sud comme au
Nord.
Surtout, vous n'ignorez pas que l'on risque sa vie en Méditerranée
moins pour s'installer durablement en Europe que pour y quêter les moyens d'une
survivance, personnelle comme familiale, y recherchant de meilleures conditions
de vie, à tous les niveaux certes, mais surtout sur le plan économique, que
l'ordre mondial refuse aux plus pauvres par dogmatisme ou par soumission à la
loi d'airain des profits égoïstes des financiers multinationaux.
Il est aujourd'hui plus que certain, toutes les études
scientifiques indépendantes l'ayant démontré, que c'est la fermeture des
frontières qui crée le clandestin, et qu'un régime de circulation libre ferait
disparaître le mythe du problème de l'immigration, y compris et surtout
clandestine.
Il y a longtemps déjà, des observateurs perspicaces ont parlé de
la fin des immigrés, car il n'y en a plus; il n'y a de nos jours que des femmes
et des hommes qui circulent et s'expatrient, les humains l'ayant toujours fait
depuis la nuit des temps. Ainsi le veut non seulement la condition humaine,
mais aussi le nécessaire progrès chez les hommes.
Étudiant et réfléchissant à la question des mouvements humains
depuis des lustres, j'ai proposé des mécanismes précis et efficaces de nature à
résorber la survivance antédiluvienne d'un monde fini qu'est l'immigration,
notamment clandestine, que seuls considèrent d'actualité bien à tort des
intérêts mercantiles, économico-politiques, outre une vision dépassée de la
socialité.
Pour que cette aberration change, pour que l'on soit enfin au
diapason du paradigme nouveau se mettant en place sous nos yeux encore voilés
par les mythologies du passé, il faut que les pays source des masses en
mouvement réagissent enfin et disent non à la désinformation occidentale. Il
n'y a de vagues d'émigration que du fait de l'impossibilité de circuler
normalement et sereinement entre les deux rives de la Méditerranée. Et que les
consciences honnêtes se le rappellent et le rappellent : il n'est aucun rapport
véritablement entre le mouvement des femmes et des hommes venus des pays du Sud
et la crise sévissant en Occident !
Cette crise n'est que dans les têtes conditionnées et/ou « conditionnantes
»; elle est voulue en tant que phénomène purement économique, analysé et
construit à l'aide de concepts voulus rationnels, mais formatés selon une
idéologie réductrice irrationnelle. Si crise il y a, elle n'est que synonyme de
passage fatal d'un état dépassé, ayant épuisé ses valeurs, à un autre en train
de naître, bien meilleur. La crise actuelle témoigne avant tout d'un changement
de paradigme, de l'émergence de nouvelles valeurs et de nouvelles manières
d'être au monde et en société. Avec son cheval de bataille de l'immigration, la
crise relève de l'aventure de notre temps, impliquant urgemment un changement
des relations entre générations, entre classes sociales, entre continents et
cultures différentes. C'est bien cela qui importe bien plus que de la faire
relever des simples et simplistes équations économiques et monétaires. Aussi n'est-il
que temps de démystifier la crise !
Que la Tunisie, berceau de la première révolution du nouveau
siècle, s'y attelle ! Qu'elle appelle, par une politique enfin axée sur les
valeurs de ses masses révolutionnaires, à transfigurer la gestion de la
politique à l'antique encore en cours chez nous et dans le monde. Que notre
diplomatie ose enfin innover en la matière en proposant une approche qui soit
sensée et profitable à court, mais aussi à long terme, aussi bien aux pays du
nord que du sud de la Méditerranée !
Entre autres solutions, j'ai déjà appelé à plusieurs reprises nos
autorités à réclamer la création d'un espace de démocratie méditerranéenne
ouvert aux démocraties avérées ou en construction, comme c'est le cas de notre
pays. Et j'ai proposé dans ce cadre que le visa biométrique actuel — inepte eu
égard à ses visées sécuritaires mêmes, mais aussi immoral par ses implications
inhumaines —, soit transformé en un visa de circulation, bien plus en mesure de
réaliser le juste équilibre entre les exigences sécuritaires européennes et la
revendication légitime du peuple tunisien.
C'est la seule issue de raison aujourd'hui de nature à concilier
le légitime souci sécuritaire occidental et la grave entorse faite à la
souveraineté des États du Sud et au droit international avec la perpétuation
sans compensation de l'irrégulière levée des empreintes digitales de leurs
ressortissants par des autorités étrangères sur le sol national. En effet, un visa de circulation
remplit amplement les spécifications du visa biométrique actuel tout en
permettant une libre circulation, étant délivré pour une période d'un an
automatiquement renouvelable et sauf exception, permettant une circulation
libre des ressortissants d'une démocratie en formation, sans inutiles
restrictions ni caprices. C'est de cette manière qu'on consolidera du même coup
l'érection de la démocratie en Tunisie.
Cette solution est la seule juste et raisonnable, montrant la voie
de justice tout en étant une voix de justesse. Toutefois, en notre monde
globalisé, elle n'a de chances de réussite que si les premiers concernés la
revendiquent et en fassent même la condition sine qua non de la poursuite de
leur coopération avec leurs partenaires, notamment européens, en matière de lutte
contre ce qu'on appelle encore à tort émigration clandestine.
Avec le visa biométrique de circulation, il n'y aura d'ailleurs
plus de tentatives nationales de départs clandestins du pays, puisqu'on pourra
le faire dorénavant en toute légalité. Pareillement, il n'y aura plus de
tentation de maintien dans l'illégalité des expatriés une fois entrés en
Europe, puisqu'ils disposeront de la garantie de pouvoir y circuler librement
tous les trois mois par an qu'autorisent le visa de circulation. Bonjour alors
à la dynamique économique, créatrice de richesse entre les deux rives de la
Méditerranée ! Car on l'aura immanquablement, la tête de la plupart des
candidats à l'émigration étant pleine de projets parfois tellement novateurs.
C'est le chercheur sociologue qui parle ici, spécialiste des
questions de la socialité et de l'imaginaire de l'expatriation, qui plus est.
C'est aussi le diplomate qui, bien qu'ancien conseiller social à l'ambassade de
Tunisie à Paris, est encore interdit de servir son pays et sa communauté, les
autorités de la Tunisie révolutionnaire tardant à lever l'injustice l'ayant
frappé sous l'ancien régime (cf. à ce sujet, mon article sur Nawaat : Ces injustices de la dictature qui n’ont pas été levées au ministère des Affaires étrangères). Pourtant, cette injustice avait pour cause un
militantisme avéré contre le dogmatisme et le conformisme ambiant, servant les
valeurs des droits de l'Homme au sein de l'Administration de la dictature, soit
dans l'antre même du monstre. Et c'est ainsi que demeure mon combat : au
service des valeurs.
Aussi, je saisis cette occasion pour répéter ma totale
disponibilité à servir mon pays et mon peuple à travers cette question
faussement épineuse. Une batterie de solutions existe que j'avais déjà exposée,
outre celles ci-dessus évoquées; elles n'attendent que la volonté sincère pour
les mettre en œuvre, une volonté de la trempe de celle chantée par notre poète
national, qui ne croit nullement à l'utopie.
Et qu'on me permette de le répéter le plus solennellement ici :
aujourd'hui, il nous faut dire en toute amitié à l'Occident, notre horizon
inévitable, et à la vieille Europe en premier, notre voisin immédiat, que le «
tout sécuritaire » en matière de mouvements humains a fait son temps. On est à
un moment de mutations, un monde nouveau est en gestation et on doit être à la
hauteur du paradigme qui se construit sous nos yeux. Et n'y suffira plus le
plus d'efforts en matière de développement prôné par les associations pour
améliorer la situation économique et sociale des candidats au départ.
C'est d'un branle-bas de combat total, une révolution mentale
qu'il s'agit désormais. De part et d'autre de notre lac méditerranéen, les
législations restrictives et répressives doivent disparaître pour que la
liberté soit de nouveau honorée en un espace de paix et de démocratie. La
liberté sans restrictions est au cœur du libéralisme, fondement de la
philosophie politique et économique occidentale; adhérer à celle-ci suppose
immanquablement l'adhésion sans restriction à la première. La catégorie
abracadabrante de la migration clandestine, à la fois épistémologiquement et
socio-économiquement, doit enfin disparaître, sa mort devant être constatée.
Et elle doit l'être non seulement de notre mentalité, mais aussi
de l'arsenal juridique, puisque l'on est arrivé dans notre délire sécuritaire —
ô combe de la malhonnêteté ! — à punir même l'acte humain par excellence consistant
à venir en aide à la désespérance absolue qu'est la tentative de s'expatrier.
Pendant ce temps, les vrais coupables, ces filières maffieuses des passeurs et
leurs complices, échappent souvent aux filets de la répression. Or, quels sont
leurs plus objectifs complices que ces politiques qui mettent en œuvre — et y
tiennent envers et contre toute logique et éthique — la politique migratoire
actuelle insensée et meurtrière ?
Il n'est que temps, en Tunisie, de nous réveiller de notre
léthargie et d'oser enfin assumer l'impératif que commandent notre souveraineté
et l'exigence dont a été grosse la Révolution tunisienne ! Osons donc agir en
vue de révolutionner l'appréhension de la question migratoire et de l'imposer à
des partenaires versant inconsciemment dans l'autisme politique ! On sera alors
non seulement dans le sens de l'histoire, mais surtout en conformité avec nos
valeurs, tout en rappelant l'Occident aux siennes propres.
De la manière la plus solennelle, je le réitère donc ici : je suis
prêt à pareille transfiguration salutaire de cette politique étant un diplomate
de profession en souffrance surréaliste de recouvrement de ses droits légitimes,
spécialiste en plus de la socialité émergente, n'ayant servi que notre
communauté et si longtemps, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des
structures diplomatiques et consulaires. Avec pour seul credo : d'abord et avant tout, les droits de
l'Homme ! Ce n'est rien d'autre auquel j'appelle et appellerai toujours au nom
du peuple tunisien, l'auteur du Coup du peuple, ce modèle de la révolution
postmoderne.
Publié sur Leaders