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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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lundi 20 mars 2023

De fin à faim d’histoire 9

L’impératif juridique et éthique du parlement





C'est bien connu, la politique a ses propres règles qui, de fait sinon de droit, font loi, du moins la loi du plus fort ; quitte à se révéler être celle du plus fou. Car les maléfices des délices du pouvoir ne sont plus à démontrer ; et ils sont autant de sortilèges corrompant nolens volens les plus intègres qui cèdent à leur corps défendant, sinon volontiers, à cette folie des grandeurs à laquelle résistent rarement les gouvernants.

Pour cela la veille axiologique est constamment de rigueur chez les plus justes, afin que leur pratique de la politique n'aille pas à une telle extrémité en se préoccupant d'être la plus crédible, juste et éthique réellement, s'adonnant à ce que je nomme poléthique : un impératif catégorique éthique et juridique. Sans nul doute, c'est ce qui s’impose au nouveau parlement tant décrié par ses opposants et qui, factuellement, ne représente qu'une forte minorité populaire. 


Appliquer la nouvelle Constitution 

Élue en vertu d’une nouvelle Constitution, l’assemblée nouvellement installée au palais du Bardo se doit déjà de se conformer à ce texte le plus élevé des normes juridiques du pays. Tout comme le précédent resté cependant lettre morte avant d'être annulé, il consacre la souveraineté populaire ; or, elle n’est rien d’autre que les droits et les libertés du peuple, devant être concrets et concrètement vécus. Ce qui impose d'office de défaire la législation encore appliquée et dont l’essentiel des textes, notamment ceux du Code pénal, est un héritage du protectorat, vicié encore plus par les abus du régime de la dictature. D'autant mieux que ce sont de tels textes scélérats qui ont assuré des années durant le maintien au pouvoir du régime du dictateur avec lequel on s'enorgueillit de rompre. Peut-on continuer donc à les garder en vigueur, comme l’ont fait les supposés révolutionnaires à la suite de la supposée déchéance de la dictature, néanmoins toujours en place grâce à sa législation martyrisant au quotidien le peuple ? N’est-ce pas, du nouveau parlement, le premier devoir devant être satisfait incontinent ?

Au demeurant, à peine élus, les nouveaux représentants du peuple ont été mis en garde par le président de la République de faillir à leur devoir d’assurer la souveraineté de leurs électeurs. Depuis Ghardimaou, localité déshéritée de la Tunisie profonde, il a rappelé à bon droit que la Constitution prévoit désormais la possibilité de révocation des élus s’ils manquent à leur devoir de répondre aux attentes populaires. En effet, si au bout d'un an, le mandat électoral s'avère stérile en réalisations concrètes dans ce sens, les citoyens d’une circonscription, représentant le dixième du corps électoral, sont en parfaite mesure de donner congé à leurs prétendus élus ayant failli à servir leurs attentes en violant le contrat de mission qu'ils ont assumé la charge d'honorer. 

Quelle sont de telles attentes sinon, pour l’essentiel, les droits et les libertés des Tunisiennes et des Tunisiens, lesquels priment même pour eux leurs autres droits basiques à trouver du travail, à manger, étant la manifestation première et exclusive de leur prétention justifiée à la dignité, le restant n'en étant que l'aspect matériel secondaire qui ne faits que venir compléter, mais pas remplacer, les attributs de la citoyenneté qu'est la possession de droits et de libertés, condition sine qua non d'une dignité avérée, d'une souveraineté réelle et non point simple slogan vide de sens, vain mot d'ordre relevant du mirage politicien dans la bouche des saltimbanques de la politique non éthique. 


Rompre avec le mensonge en parole 

En s’adressant ainsi qu'il l'a fait aux nouveaux députés, M. Kaïs Saïed a eu raisin d’affirmer que la Tunisie, cette exception en puissance selon ma qualification, écrit une  « nouvelle page de l’histoire » ; ce qui impose que les politiques se défassent « de la mentalité qui prévalait pendant plus de dix ans ». Or, ce n'était rien d'autre que de s’adonner à la politique à l’antique, pratique politicienne d’une politicaillerie sans lettres de noblesse, ni sincère ni honnête, où il ne sied que de feindre et instiguer, sans nulle moralité alors que le peuple a plus que jamais soif d'une politique éthique. Concrètement, pour commencer, elle consiste à répudier la langue de bois, rompre avec le mensonge en parole. 

Disant cela, il nous faut nous garder de croire que ce qui prévaut chez nous comme pratique politicienne mensongère serait une tare spécifique à la classe politique nationale. C’est plutôt un travers commun pratiquement aux dirigeants du monde entier qui ne s’efforcent pas de veiller à l'effectivité des valeurs dont ils se réclament, que leur impose encore plus leur ministère au service des masses. 

En effet, dans son « Apologie pour l’Histoire », Marc Bloch le notait bien : « Aussi bien que des individus, il a existé des époques mythomanes […] C’est d’un bout à l’autre de l’Europe, comme une vaste symphonie de fraudes. Le moyen âge, surtout du VIIIe au XIIe siècle, présente un autre exemple de cette épidémie collective… Comme si, à force de vénérer le passé, on était naturellement conduit à l’inventer. »

Aujourd'hui, notre époque férue de références à un autre âge mythique, notamment religieux chez nous, est bien celle du mensonge en parole ; et ce partout, y compris dans les vieilles démocraties de la souveraineté réelle du peuple. Au reste, n’a-t-on pas, par une boutade célèbre, distingué de son antithèse qu'est la dictature le régime supposé le plus parfait, le caricaturant comme substituant au « La ferme ! » des dictateurs la cynique expression « cause toujours, tu m’intéresses » ?  

Nombre de nos intellectuels, consciemment ou inconsciemment, ne sont que ce que Platon qualifiait de « montreurs de marionnettes » : ces sophistes s’érigeant en experts ou sachants, au nom d’une rhétorique éculée, un prétendu savoir scientifique, s’employant à manipuler les mentalités sclérosées au lieu d'agir à les débloquer. D'où la perversion de tout, non seulement de la cité comme l’assurait Platon affirmant que cette perversion «  commence par la fraude des mots ». 

Par conséquent, faire oeuvre utile en Tunisie, agir tel qu'on le prétend à assainir la situation prévalant dans le pays du fait des années de dictature et de fausse révolution, ne doit pas se limiter à agiter des mots d'ordre supposés venir à bout des travers générés par des années de servilité du fait de la soumission aux lois du plus fort, le plus fou qui plus est. Car l'impératif de survivre amène à la ruse, même vicieuse, de vivre. Aussi, ce qui serait efficient c'est d'agir sur la cause même de cet état déplorable ; ce qui commande d’abolir les lois maintenant l’asservissement de ce peuple dont on n’arrête de prétendre rétablir la souveraineté.  


En finir avec la fraude aux mots

Certes, il est rassurant de relever que la conjoncture semble plutôt favorable, permettant de militer dans ce sens, à commencer de la part des nouveaux députés en un parlement renouvelé. Ce que confirment les premières déclarations aux médias son président qui, en sa qualité d'ancien bâtonnier de l’ordre des avocats, ne peut qu'être sensible à la thématique de la non-effectivité du droit positif dépourvu de légitimité. Or, même s’il est légal, le droit actuel tunisien est frappé d'illégitimité absolue étant contraire aux standards internationaux de la règle juridique, étant non seulement injuste, mais sans nulle éthique dans un pays attaché à ses valeurs spirituelles fondant son identité même. 

De fait, le doyen Bouderbala a assuré, aussitôt élu à la tête de la nouvelle ARP, qu'elle ne sera pas «  fictive », bien au contraire ! et d’affirmer qu’on n’y aura « pas froid aux yeux pour demander au gouvernement, au cas où il présente un projet de loi qui ne convient pas à l’intérêt de notre peuple, de le revoir ou de le changer ». Aussi est-on en droit de lui demander : quid alors des mauvaises lois déjà en place, celles de la dictature et du colonisateur encore en vigueur ? Qu'entend donc faire en l'objet l'assemblée qu'il préside ?

Par exemple, en ce début du mois du jeûne, osera-t-il enlever toute effectivité à ces circulaires - illégales déjà - imposent de force le jeûne, commandant la fermeture des cafés de jour ou l’interdiction totale de vente d’alcool ? D'autant que leur fondement moral, et non seulement juridique; est faux, étant une violation caractérisée des principes mêmes de la religion du pays qui consacre la liberté et les droits fondamentaux du croyant, dont notamment la libre entreprise et du commerce. Osera-t-on enfin faire un sort au prétexte fallacieux du respect dû au jeûneur alors que le vrai fidèle n'a à se soucier que de son rapport, particulièrement en ce mois, à son créateur ? Car prêter nullement attention au comportement d'autrui, quel qu'il soit, ne serait qu’un empiètement sur sa liberté, empiètement interdit par la foi d'islam correctement interprétée. 

Au demeurant, la nouvelle Constitution du pays impose désormais une telle entreprise d'adéquation avec les préceptes véritables de la religion du pays, et qui ne saurait être utile qu’en faveur dune réouverture de l’effort d’exégèse et non en appliquant la jurisprudence religieuse léguée par les anciens jurisconsultes. Ces derniers ont certes fait un effort louable de compréhension de leur religion, mais ils l'ont fait pour leur époque ; aussi leur fiqh est-il aujourd’hui dépassé, se retrouvant en décalage et disharmonie  avec les visées humanistes de l’islam, imposant forcément sa rénovation. 

À ce niveau religieux, reprendre l'exégèse de notre foi relève aussi de la rupture impérative avec la fraude aux mots ; car en religion, encore plus qu’en politique, il est impératif de bien nommer les choses puisque « mal nommer les choses contribue aux malheurs du monde » ainsi que l’affirmait avec raison Camus. C'est ce qui fait, sans conteste, le malheur actuel de la foi d’islam qui d’une religion des Lumières, ayant contribué à l’émergence de la Modernité occidentale, a mué en une croyance obscurantiste de par les manquements des siens à ses visées.

Loin de la fraude actuelle à la nature véritable d’un islam qu’on prétend servir à bon droit, il importe de rappeler son génie des origines qui est d’être une religion de droits et de libertés, tous les droits et toutes les libertés, c’est-à-dire un pur islam humaniste, celui d'une religion œcuménique et qui a été, d’abord et avant tout, une culture bien moins que d’être ce qu'on en fait : un pur culte rétrograde. 

Cela revient à retrouver le génie de l'islam des origines, ce que je nomme i-slam pour le distinguer de l’islam des intégristes, la tradition issue d’une exégèse obsolète et forclose, non seulement dépassée, mais violant les authentiques visées de la foi d'islam, ignorées ou travesties par les dogmatiques. Ce qui impose aux musulmanes de ne plus accepter le fiqh que sous réserve d’inventaire en parfaite conformité avec le pur islam. 

Le parlement tunisien saura-t-il y aider en osant déjà commencer par mettre à bas les textes actuels à connotation faussement morale, se prétendant à tort d’inspiration islamique ? Il agira à bon escient en saisissant l'occasion de ce ramadan qui commence, mois de la plus parfaite piété,  laquelle n'est  autre que d'avoir le courage de la vérité ! 


Tribune publiée sur Réalités et Réalités magazine 

n° 1939 du 23 au 30 mars 2023