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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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jeudi 10 juin 2021

Maladie d’islam 6

L'islam au pouvoir ou, dans une société en mutation, des habits neufs pour Ennahdha ?

 

 

Ennahdha vient de fêter le quarantième anniversaire de sa création le 6 juin 1981 dans l'illégalité sous la dénomination de Mouvement de la tendance islamique. Devenu ce qu'il est en février 1989, il a été légalisé le 1er mars 2011 au lendemain du coup du peuple qui l'a porté au pouvoir, une révolution aux allures de coup d'État au nom du peuple. Cet anniversaire serait-il l'occasion pour ce parti de faire son bilan au pouvoir au vu de la lente mais continuelle désagrégation de sa cote d'amour auprès des électeurs, et aussi de la majorité qui ne vote pas ? Il est bien nécessaire pour ses dirigeants qui prétendent donner l'exemple avec le souci de responsabilité qu'ils affichent en ces temps de crise politique, sinon politicienne. Ce qui impose de délaisser enfin la langue de bois et de jonglerie habituelle pour une parole de vérité en une pratique éthique, cette poléthique devenant impérative pour qui prétend se réclamer de l'islam, éthique par essence.

Début d'un cycle nouveau ? 

Le monde tel que nous le connaissons est en train de mourir, s'il n'a déjà rendu l'âme ; et la société tunisienne est en pleine mutation. Si l'on en prend conscience, tout est encore possible pour aller dans le bon sens, celui d'une solidarité plus grande et des initiatives sérieuses en vue de moins d'injustice, plus de liberté réelle, non formelle. Pour le parti Ennahdha, cela suppose enfin des habits neufs. Il s'agit de réaliser ce qu'il n'a pas encore fait, sa révolution mentale afin de se libérer des réflexes d'antan, oser innover, faire éclore, en sa vision de la religion et du monde, une imagination créative.

Or, c'est déjà en cours dans cette société, mais sur un mode mineur et informel. De plus, il est un conflit latent de générations au sein du parti islamiste, comme dans tout le pays au demeurant, amenant certains de ses hauts cadres à s'en éloigner sinon en démissionner. En effet, les caciques du parti, ses vieux routiers continuent à relever d'une conception caricaturale de l'islam que les jeunes sont mieux à même de discuter et rejeter.

Car l'islam bien compris, l'islam des Lumières, se veut religion universelle et rationnelle, tolérante et libertaire même, une foi de droits et de libertés individuelles. Ce que ne veulent entendre les dogmatiques du qui partagent cet intégrisme avec certains modernistes laïcards militant moins pour de tels droits et libertés que contre la religion.

 

Laïcité, spiritualité et islam

L'antagonisme semble irrémédiable entre l’esprit laïque et l’esprit religieux, puisant sa virulence dans l’attachement à l’islam pour les uns et son rejet pour les autres ; pourtant, les uns et les autres se trompent et sur l'essence de la religion et sur la signification réelle de la laïcité. Déjà, contrairement aux idées reçues, cette dernière n’est pas une dépossession de l’État de sa tradition religieuse. Elle est même, comme en France, un biais commode assurant la prédominance de certaines croyances sur d’autres. De plus, en son sens étymologique, la laïcité est tout autre de ce qu'on a eu l’habitude de croire. Elle est ce qui est commun, ce qui est du peuple ; or, en Tunisie, ce qui est commun au peuple dans sa majorité écrasante ce sont ses valeurs islamiques. Aussi, être laïc, dans le sens vrai, étymologique du terme, c’est tenir compte de ces valeurs. Il reste, bien évidemment, à préciser ce qu'elles sont au juste.

Par ailleurs, il est erroné de vider la religion islamique de sa teneur politique qui en est un substrat essentiel, sinon quintessencié. Mais la politique qu'est l'islam n'a rien à voir avec le culte, elle est à prendre en son sens étymologique aussi de bonne gouvernance, donc civile, de la cité. Ce qui implique de faire progresser la conception religieuse de l'islam du cultuel au culturel et sa conception politique de la lutte pour le pouvoir à la gestion raisonnée de la cité. 

D'ailleurs, en islam pur, la mosquée est plus qu’un simple lieu de culte ; c’est un centre du savoir, non pas seulement théologique, mais touchant à tous les aspects de la vie sociale. Elle était aussi un lieu de culture ou les poètes déclamaient, y compris des vers grivois, où les savants professaient, parfois des idées iconoclastes. 

De plus, la prière n'est pas ce rite presque artificiel qu’elle est devenue, mais un sérieux effort de concentration mentale, à l'efficacité scientifiquement démontrée, sur les réalités du quotidien qu’on est appelé à gérer avec l’aide sollicitée de Dieu. C'est depuis que la mosquée n’a plus été hantée que par les orants, qu’elle a été désertée par le savoir profane, que l’intégrisme y a progressé en contradiction avec la lettre et l’esprit de cette religion qui se veut une gestion rationalisée de la cité. Si l'on revenait à la riche littérature arabo-islamique, on mesure à quel point les penseurs et écrivains d’antan pratiquaient la libre pensée, prenant souvent des libertés inouïes et de la hardiesse pour parler des choses de leur religion, une audace qui serait considérée comme blasphématoire de nos jours. 

C’est l'imbrication de l’islam en tant que spiritualité dans la vie de tous les jours qui permettait une telle liberté, la foi ne relevant pas de la simple ostentation ni ne se limitant au rituel canonique, mais impliquait aussi tous les actes de la vie sociale faite de respect d’autrui et des règles de la convivialité sociale. Ce que l'islam a perdu à force d'intégrisme d'un côté et de stigmatisation du fidèle, l'excès générant de l'excès.

 

Quel islam en postmodernité ?

Il serait erroné d'imputer les manifestations de religiosité dans la société tunisienne, désormais postmoderne, aux seuls intégristes ; tant nos élites laïques que leurs ennemis intégristes musulmans en sont responsables. Les uns et les autres font fi du riche legs humaniste arabo-musulman pour une caricature de la modernité d'un côté et de la religion de l'autre. Dans le même temps, ils heurtent un sentiment social assez général d’attachement moins à une tradition religieuse qu'à une vision culturelle de la foi. Toutefois, elle a vite fait de virer en vision cultuelle moins par esprit religieux que par rejet d’un modèle étranger essoufflé et usé, moins par  prégnance des valeurs islamiques que du fait d'une farouche fidélité à la tradition, aux habitudes.

En diabolisant les religieux, les laïcs tunisiens s'improvisent meilleurs complices objectifs des intégristes parmi eux, car ils les aident à les diaboliser en retour aux yeux des masses. Ce faisant, les uns et les autres omettent de distinguer derrière l’irréalité du « pensé » populaire, tel qu’ils se l’imaginent faussement, la réalité de « l’impensé » tel que la société, pas assez libre, ne permet pas de le dire. Pourtant, il suffit de ne plus regarder les gens au travers des oeillères idéologiques, religieuses ou profanes, pour déceler derrière leurs manifestations liberticides, sorte de réflexes conditionnés, une véritable soif de réenchantement contrariée, un élan libertaire contrarié ne se vivant pas moins en catimini, à l'abri des regards pour ne pas finir à l'ombre. 

Le réajustement nécessaire du rapport de modernistes à la réalité, leur vision de la chose politique s’impose aussi aux hommes politiques militant pour une appréhension plus spirituelle de la société et de ses valeurs. L'islam d'aujourd'hui ne peut plus être celui des salafistes, mais cette foi qui a permis une brillante civilisation universelle en faisant son credo de l'usage de la raison, consacrant les libertés, toutes les libertés, et les droits citoyens, tous leurs droits, notamment ceux régissant le domaine intime de la vie que l'islam sanctuarise. Ce qui impose aujourd'hui, au nom même de l'islam, l'abolition de toutes les lois scélérates de la dictature qu'on prétend morales alors qu'elles sont d'autant plus immorales qu'on les prétend musulmanes.

C'est ce que doit faire Ennahdha s'il tient à honorer sa vocation de parti islamiste, renouvelant du coup son appréhension de la religion — révolutionnaire en son temps — en passant d'une conception réductrice cultuelle, centrée sur le cérémonial, la liturgie et une interprétation littérale du corpus sacré, à une conception culturelle, ouverte, usant de la raison en conformité avec l'exigence coranique, interprétant les textes religieux selon leurs visées oecuméniques humanistes. 

Comme on s'accorde en islam pour dire que la religion a pour but l'intérêt du croyant, il reste à le définir, ce qui est le propre de chaque génération ; et c'est ce qui relève, dans une démocratie, des attributions d'un législateur librement choisi, nullement dogmatique, à l'écoute des exigences populaires. Or, les plus importantes portent sur la réalité d'une société de droits. À son âge emblématique de la quarantaine, Ennahdha réussira-t-il sa mutation au diapason d'une société qui a déjà changé en un monde nouveau, devenant ainsi un parti éthique, véritablement islamique ou i-slamique, selon mon néologisme, au sens des retrouvailles nécessaires avec une saine lecture d'une foi en avance sur son temps (je dis rétromoderne), transformée à force de viols et de caricatures en idéologie obscurantiste ?   

 

Tribune publiée sur le magazine Réalités

n° 1849 du 10 au 16/6/2021 pp 26-27