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mercredi 25 septembre 2019

Pour une postdémocratie 1

En marge des élections

DU DROIT ET DE LA POLITIQUE






En marge des élections en cours et leurs soubresauts juridico-politiques, cette réflexion sur l'esprit du droit et la réalité sociopolitique dans un pays en transition démocratique s'insère dans le cadre du débat s'imposant sur le renouvellement des concepts saturés du monde, notamment son ossature normative. On voit bien l'importance du rôle de l'informel dans la vie et les économies — nerf de guerre de ce mode matérialisé à l'extrême —, y compris développées ; que dire dans celles des pays en développement ! Il en va pareillement pour le rôle du droit.

Eu égard aux contraintes inhérentes aux régimes en développement, et qui ne dépendent pas seulement de leur condition interne, mais bien plus de la situation extérieure et des impératifs de l'ordre mondialisé en total désordre, on est réduit à une sorte de sous-droit, une loi qui serait flexible en un droit informel.

Cadre conceptuel obsolète

Plus que jamais immeuble planétaire, le monde ne peut continuer sur le schéma issu de la Seconde Guerre mondiale avec des institutions cacochymes tournant à vide; un autre paradigme des rapports internationaux s'impose. Il est même en gestation, supposant que les notions et concepts pour le gérer et l'ordonner diffèrent de ce qu'on a hérité d'obsolète du passé.

C'est la voie passante si l'on veut répondre adéquatement au phénomène majeur des temps présents, relever le défi allant grandissant de la grave anomie du vivre-ensemble qu'est le péril terroriste et que ne peut contrer efficacement le droit seul, dans sa physionomie actuelle. Assurément, le crible du droit reste utile et même indispensable, mais bien moins pour le saisir que pour filtrer; et encore imparfaitement.  

Car dans les sociétés en développement, la labilité sociale comme juridique et politique est la règle, la loi étant loin d'y être la norme respectable et respectée comme elle peut l'être dans un État de droit malgré ses propres cas d'illégalités trouant aussi la légalité, à l'image de l'ordre mondial lui-même qui n'est, au mieux, qu'une multiplication dysharmonique d'ordres.

Or, on ne peut plus ignorer que le pouvoir, du latin populaire potere,  emporte le sens du droit chez le commun des mortels, en tout cas dans les pays du Sud, et en Tunisie en particulier où autorités et droit se confondent dans l'imaginaire populaire. Et le sens de justice qu'on accole souvent au droit n'est que dérivé, le sens étymologique étant directum (de directus) : ensemble de règles juridiques, terme employé, il est vrai, pour ce qui est juste et honnête.     

Une telle question de sens continue à se poser en matière des rapports et des arcanes du droit et de la politique. Elle est même impérative pour les thématiques sensibles d'actualité, tel le fait terroriste, phénomène majeur de ce début de siècle, qui est aussi une fin d'un monde néo-antique, celui de la modernité occidentale. Pourtant, le cadre conceptuel qu'on utilise pour comprendre le présent, tenter de faire face à ses contraintes et défis est demeuré archaïque, d'un autre temps, quasiment périmé. Il est loin du sens étymologique de premier, essentiel, qu'on retrouve dans la définition la meilleure donnée à cette postmodernité succédant à la modernité et qui est d'être l'alliage ou l'alliance du technologique et de l'archaïque dans un manifeste zéroïsme de sens jubilatoire où le zéro cumule son sens premier, celui de concept mathématique qui en fit une révolution, le sifr arabe, et son sens galvaudé actuel de nullité ou chose sans valeur.

Postmodernité des temps présents

Qu'on ne le réalise pas ou qu'on se refuse à l'admettre, nos temps présents sont, universellement, postmodernes. Le temps étant loin d'être linéaire, cela ne veut bien évidemment pas dire une époque subséquente à la modernité. Faisant relever la notion de la postmodernité de l'approche épistémologique de la phénoménologie sociopolitique, elle signifie la synergie précitée de ce qui est le propre de la modernité, sa sophistication technologique, et l'archaïsme le plus brut en son sens premier d'essence des choses.

Nous en avons une éloquente illustration avec ce qui se passe en notre pays, notamment ce glissement de la belle spiritualité populaire vers une hideuse religiosité dans le sillage des menées actives, dans le monde, pour réveiller le démon intégriste en islam. Ainsi a-t-on eu Daech, cette quintessence terroriste, plus belle illustration de notre postmodernité. Avec une telle nébuleuse antihumaniste, on a affaire à la pensée humaine à son plus bas et arriéré niveau, qui ne doit son existence et surtout son impact que grâce à l'exploitation manichéenne de la foi des gens par l'usage intensif de technologies sophistiquées, Internet en premier.

De fait, en une terrible confusion des valeurs avec nos notions habituelles devenues floues à force de perte de sens effectif, les concepts dont nous ne pouvons que faire usage faute de mieux ne sont plus appropriés à faire désormais barrage à un terrorisme mutant, aux facettes multiples. Le droit est bien peu outillé pour venir à bout d'un tel phénomène de nature foncièrement politique ou sociopolitique (ce qui ne fait que renvoyer au sens premier du politique), nécessitant un traitement sociopolitique.

Or, étymologiquement, le mot politique dérive du latin classique politicus et du grec ancien politikos avec le sens de : ce qui est relatif à l'administration des citoyens, aux citoyens. Ce qui signifie le besoin d'une thérapie homéopathique que je qualifie de poléthique, intégrant l'éthique, une exigence populaire fondamentale de nos jours en cette époque qui est l'âge des foules par excellence.

Au demeurant, on le mesure bien dans les résultats de nos élections. Ce qui revient à rappeler la réalité à ne point négliger de la minorité du droit par rapport à la politique, l'État de droit étant d'abord un État, donc un pouvoir ou un rapport de force, soit une politique. Il ne reste pas moins que sa spécificité est d'être articulé sur un ensemble de règles de droit pour peu qu'on ne les vide pas de tout sens, les instrumentalisant au service d'un pouvoir déterminé ou d'un rapport de pouvoirs.

Il y a une réalité mouvante du phénomène social dont il importe de prendre conscience afin d'échapper au piège de la fixité inertielle qui est dans la nature même de la règle de droit en vue de la mettre au service, non du pouvoir qui l'instrumentalise, mais pour gérer et maîtriser la polyvalente labilité du politique, l'essence même dudit pouvoir. C'est ainsi qu'il est possible de sortir de l'impasse actuelle où se trouve le droit asservi par le politique tel que le démontrent amplement nos actuelles élections.

Mouvante réalité du phénomène social   

Pour nous en tenir à ce fruit des rapports de force et de pouvoir qu'est le phénomène social majeur du terrorisme, avec toutes ses variantes, physiques mais aussi morales et mentales, c'est une mouvante réalité que le droit ne saurait appréhender adéquatement du fait de sa nature même axée sur la fixité ou le fixisme de la règle de droit.

Certes, le droit peut évoluer et s'adapter, mais il sera toujours en retard sur l'extrême mouvance d'une telle réalité phénoménale voyant le jour dans le terreau humain qu'entend régenter le droit. Généralement, la loi intervient en réaction alors que le phénomène qui nous occupe ne saurait être efficacement combattu que par une action a priori. C'est donc en anticipant l'apparition du terrorisme, agissant sur ses causes et ses diverses mutations, qu'on peut espérer arriver à l'éradiquer. Ce à quoi ne saurait suffire la règle de droit et la lourde solennité de son mécanisme. Surtout quand elle fait l'objet de manipulations.

On le sait, la motivation principale des terroristes est quasiment anarchique, entendant abattre l'autorité pour installer la leur. Ce qui est à la source d'une telle motivation est donc la perception juste ou injuste d'un ordre dont on ne veut plus. C'est donc la rupture du contrat social qui est à l'origine du phénomène ou, disons-le autrement, l'absence de pacte social incluant toutes les parties prenantes, non seulement dans une société donnée, mais quasiment partout à l'heure de l'immeuble planétaire qu'est devenu l'univers. Comment, en notre monde actuel, avec ses institutions obsolètes, arriver à trouver des solutions à tous les dysfonctionnements de toutes sortes à l'origine de la bascule dans les chemins de traverse du terrorisme, affiché et surtout occulte ?

Inertielle fixité de la règle de droit

En notre monde en plein désarroi, le phénomène terroriste n'est qu'une manifestation du chaos; il traduit une logique paroxystique de faire ordre du désordre quitte à ce que cela ne soit qu'un ordre mythique, celui d'un dogme. Toujours est-il qu'il rejette une hiérarchie de normes jugées injustes, qui trouve dans la règle de droit, l'ordre juridique contesté, sa justification même, sa raison d'être.

C'est donc l'inertie de cet ordre, incarné juridiquement, et qui est aussi et surtout économique, social, culturel ou politique, qui est bel et bien en cause. Or, la fixité de la règle de droit inscrit dans le marbre une telle fixité inertielle. Ce qui ne saurait qu'occulter le phénomène terroriste si l'on vient à le contrer, mais pas l'éliminer, puisqu'on le combat par la cause qui lui donne jour : la fixité des choses et leur caractère inertiel.

Au mieux, la règle de droit peut être utile si elle est en avance sur son temps, allant au-delà de la réalité qu'elle a vocation de règlementer et/ou de régenter ; ce qui relève de l'utopie. Et justement, le terrorisme est un phénomène utopique par essence, ne s'en distinguant que par la brutalité de sa méthode ne faisant économie d'aucun excès, la violence physique en premier, le changement par la destruction seul comptant. Rappelons que c'est bien le changement radical qu'entend faire advenir l'utopie, mais par la construction ; aussi n'est-il radical qu'épistémologiquement.

Le phénomène terroriste, comme l'utopie, manifeste le besoin d'un ailleurs issu du refus d'un présent. C'est un peu une action du dehors s'exerçant sur le dedans juridique pour sortir de l'intimité d'un ordre manifesté par l'État et ses règles de droit obsolètes sinon contestées, en tout cas n'ayant pu se prémunir de la négation absolue terroriste, pour une extimité qui ne serait pas nécessairement un désordre, plutôt une multiplicité d'ordres. N'est-ce pas la polyvalente labilité du politique qui y est la plus appropriée?

Polyvalente labilité du politique

L'extrême complexité du phénomène terroriste, particulièrement dans sa déclinaison morale et dogmatique à l'apparence potable, et sa nature essentiellement politique au-delà des aspects divers qui en font l'internationale nébuleuse qu'il est, permet d'échapper à toute stratégie qui ne serait pas adaptée en reproduisant pour le moins ses caractéristiques selon le mécanisme du vaccin ou de l'homéopathie. En cela, la polyvalente labilité du phénomène politique se révèle bien appropriée à se saisir du phénomène terroriste, le comprendre pour avoir une chance quelconque d'en désamorcer la nocivité.

Peut-on, en effet, régler un problème politique quel qu'il soit sans, pour le moins, des ingrédients politiques dans la recette se voulant antidote ? Certes, le droit sera de la partie forcément, mais devant venir à la rescousse afin de mettre en forme les aspects politiques préalablement définis et arrêtés. Seul le politique est en mesure d'appréhender et encore mieux apprécier les tenants et aboutissants de ce phénomène social qui est anomique ; et l'anomie n'est déjà que la mise en cause de la règle du droit, l'échec du droit.

Le terrorisme ainsi réhabilite le politique qu'il chahute, car il conteste moins le politique que son ordre juridique qui est du politique ordonné en droit. Aussi, la vraie politique est celle qui sait s'adapter, en relever le défi, réussissant l'épreuve. Et c'est le propre du politique, le fin politicien, d'user de la pratique politique en termes de règles de droit. De la sorte, en retrouvant toute sa capacité à gérer et même arriver au bout du phénomène par excellence comme le pouvoir et le droit, le politique réussit à faire politique du droit, démystifiant l'un et l'autre, sortant de la fiction juridique du droit comme ordre nécessaire pour le politique alors qu'il est l'ordre généré par le politique.

Si j'appelle à articuler la militance sur l'éthique, invitant à intégrer la conscience dans le droit et l'éthique en politique qualifiée de poléthique, c'est bien en raison du fait que ce besoin se fait trop pressant, étant devenu même irrépressible de nos jours, un impératif catégorique postmoderne.

Gestion politique des élections

On ne peut plus se satisfaire ni du droit ni de la politique à l'antique, l'un hiérarchisant les normes nominalement en oubliant celles qui sont les plus fondamentales, les normes politiques, et l'autre se voulant force et ruse entendant se libérer du moindre frein moral.

C'est ce que rappelle, à sa manière paroxystique, le phénomène terroriste qui certes n'est nullement motivé par un besoin d'éthique, mais en traduit la cruelle absence. N'est-ce pas la meilleure parade à lui opposer, surtout quand il s'affuble de costume politicien, qu'une pratique politique éthique ou un droit juste de justesse, non seulement de justice ?

Il reste, bien évidemment, à définir ce qui est éthique et juste ; c'est le propos même de la chose politique en sa noblesse retrouvée. Ainsi, la parade ultime est l'effectivité de l'État de droit éthique garant des droits et des libertés citoyens.

Or, en Tunisie, on a eu à cœur de s'en tenir d'abord de la forme, ayant le souci formel du respect de la date prévue par la constitution de tenue des élections négligeant ce qu'un tel respect imposait quant au fond : la mise en vigueur préalable d'une constitution restée lettre morte dans ses dispositions essentielles dont la mise en place de la cour constitutionnelle.

On a pu dire qu'on a fait la politique de ses moyens, mais non pas juridiques, plutôt exclusivement politiques. Ce que dit le droit en termes de légitimes intérêts a moins importé aux élites que ce qu'imposait la politique et la complexité de la réalité sur le terrain, ce véritable bourbier. On n'a même pas tenu compte de ce qu'imposait la politique en comportement éthique !

Une politique complexe, comme on dirait d'une pensée, a eu donc légitimement le dessus sur la moindre velléité — si jamais elle a existé — du respect imposé par l'adhésion à l'État de droit. D'autant que, le monde ayant changé, les politiques sont en devoir de changer aussi leur façon de le penser pour mieux le comprendre. Le terrorisme, particulièrement mental, auquel est confronté le pays donnera peut-être, à ses élites les moins dogmatiques, l'occasion de se réajuster en vue d'une mise à niveau de leur mentalité, concepts et institutions.

Repenser droit et politique

On doit se rendre à l'évidence que le droit seul, aujourd'hui, permet juste de faire le maximum ou le minimum, en ce sens qu'il applique la règle de droit ou ne l'applique pas, ou alors en apparence, formellement. Or, si le droit est inévitable pour le vivre-ensemble, la nature de la vie commune a mué en une quête d'un être-ensemble, plus exigeante en termes de labilité des normes sociales, au diapason de cette réalité sociale qu'on qualifie d'hypocrisie et qui est impérative pour toute vie en société, la socialité postmoderne.

Cela impose de savoir éviter le juridisme d'un côté ou le maximum de rigidité juridique, non pas pour un minimum de lois pouvant déboucher sur l'anomie, surtout quand on a été habitué à un milieu de contraintes légales doublées de contraintes morales, mais d'une sorte de maximum du minimum, un maxinum, ou le minimum du maximum, un minimax.

Il s'agit là d'une nouvelle façon de penser à laquelle il nous faudra nous habituer, une pensée qui serait contradictorielle où les contraires ne s'opposent plus, mais se complètent pour une harmonie conflictuelle, ce qui nous sort du cartésianisme devenu cartésisme. Le droit n'y gagnerait qu'en effectivité plus grande, une touche de politique devenue poléthique qui serait comme l'esprit donnant vie au corps, une sorte de nouvel esprit des lois, l'esprit du droit, un esprit politique, mais appliqué ou limité par le droit, un maxinum ou minimax de politique dans le droit.   

D'où l'impérative nécessité de sortir, pour le moins, du juridisme — réel ou affecté —caractérisant nos sociétés, les moins rompues aux arcanes de l'État de droit étant celles qui fantasment le plus sur ses vertus. Aussi proposerais-je de passer au jurisme qui serait en quelque sorte du droit de la politique. Composé à partir du mot juriste, ce serait le fait de ne point s'adonner au formalisme ou au légalisme, caractéristique du juridisme, mais de faire montre de grandes connaissances juridiques et d'une maîtrise du droit et de sa pratique à visée téléologique venant  rompre avec l'attachement formel étroit à la règle de droit stricto sensu.

Ainsi mâtinée de politique, celle-ci aura sa propre administration adaptée à sa condition mouvante. En somme, on verrait émerger des catégories connues ailleurs qu'en droit, qui seraient des soft ou hard Law, ce qu'imposerait une sociologie politique du droit devenue sociAlogie juridico-politique, mieux en prise avec la socialité postmoderne et l'impératif éthique, marque éminente du retour du spirituel en cette socialité en effervescence de la postmodernité.  


Publié sur Réalités magazine
n° 1761 daté du 27 septembre au 3 octobre 2019