Michel Boujenah en Tunisie : derrière le strass, la politique
Le récent appel de la puissante centrale syndicale tunisienne UGTT à l'annulation du concert de Michel Boujenah dans le cadre du festival de Carthage ne serait que l'arbre cachant la forêt de la normalisation des rapports de la Tunisie avec Israël.
À la veille de la visite du président palestinien en Tunisie, au lendemain de son passage à Paris, on a enregistré un appel surprenant de la part du puissant syndicat UGTT à annuler le concert du natif u pays, Michel Boujenah, au prétexte de ses accointances avec Israël.*
Double jeu islamiste
Rappelons que ledit fait actuellement la pluie et le beau temps dans un pays, où l'État peine encore à retrouver la santé. Or, engagé d'une nécessaire et salutaire guerre contre la corruption qui mine la Tunisie, au point d'en défaire les pourtant solides fondations de l'oeuvre de Bourguiba, le chef du gouvernement ne peut se passer de cet allié, bien que devenu encombrant. Profitant des années suivant le coup du peuple, la révolution tunisienne, les islamistes ont bien contrôlé la plupart des rouages de l'État jusques et y compris ce qui serait une mainmise sur les dirigeants syndicaux.
Aussi voit-on M. Chahed faire le pèlerinage aux États-Unis en vue d'y renforcer son pouvoir en s'assurant du soutien américain, dont bénéficie déjà le parti Nahdha, et ce surtout dans sa croisade pour assainir les rouages de l'État; ce qui ne peut pas trop plaire au parti islamiste étant de nature à lui porter préjudice. .
Déjà affaiblis par la nouvelle donne internationale, les islamistes tunisiens le seraient de plus en plus dans le pays et chercheraient à faire diversion. Aussi soufflent-ils le chaud et le froid. Ainsi, certains des libéraux ou supposés tels au sein du parti osent enfin évoquer les sujets dont on ne voulait même pas parler jusque-là, comme la dépénalisation du cannabis et l'abolition de l'homophobie.
Dans le même temps, on agit en douce en agitant d'autres sujets sensibles aussi qui ont fait jusqu'ici l'objet d'un commerce juteux auprès de l'opinion publique; mais on se garde de le faire au nom du parti, laissant à d'autres la mission du prête-nom.
Reconnaître Israël
Cette fois-ci, c'est la cause palestinienne au travers de la nécessaire normalisation des rapports entre la Tunisie et Israël à laquelle de plus en plus de voix appellent. Il semble même que la question a fait l'objet d'échanges dans le cadre de la visite de Mahmoud Abbes à Tunis du 6 au 8 juillet.
Ce serait pour contrarier une telle évolution que s'insère le communiqué du syndicat qui a suscité une réponse alambiquée du ministère des Affaires culturelles bottant en touche en réservant sa réponse après la consultation de la société civile.
Or, la venue chez lui de l'enfant du pays est déjà plébiscitée par le public, les billets du spectacle ayant tous été déjà vendus. De plus, les Tunisiens s'ils sont pour la défense de la cause palestinienne et pour que la justice leur soit rendue, ils le sont aussi et surtout dans le cadre d'une paix globale dans le cadre de la légalité internationale. C'est que Bourguiba a été le premier à y appeler, dont le souvenir et la cote d'amour connaissent auprès des Tunisiens un spectaculaire regain à la suite des récents errements enregistré dans le pays.
Dans leur majorité, les Tunisiens — légalistes dans l'âme — ne sont pas opposés à la normalisation des rapports avec un État qui bénéficie de la légalité internationale et la reconnaissance internationale; seule une minorité dogmatique faisant commerce de cette cause s'y opposé. D'ailleurs, le problème de la reconnaissance d'Israël ne doit plus poser de problème depuis sa conclusion par les premiers intéressés, les Palestiniens.
C'étaient même ces derniers qui ont demandé à la Tunisie, lors des négociations de paix, d'ouvrir une représentation en Israël, qui a été dirigée au reste par l'actuel ministre des Affaires étrangères. Ce que ses ennemis islamistes n'ont pas manqué et ne manquent pas d'en faire état pour contester sa diplomatie s'efforçant de renouer avec les fondamentaux de la politique étrangère tunisienne se voulant non alignée sur aucun intérêt, sinon celui de la patrie et de la légalité internationale.
Officialiser l'informel
D'après quelques indiscrétions, il semble même qu'une demande similaire aurait été faite par les dirigeants palestiniens à la Tunisie pour l'établissement de relations diplomatiques avec l'État hébreu dans le cadre de la résolution des Nations Unies de 1947 afin de peser sur lui pour y revenir.
C'est qu'en tout état de cause, les Palestiniens savent que des relations informelles existent déjà entre Israël et les pays arabes et il n'est point sain de continuer dans l'hypocrisie actuelle. À Paris comme à Tunis, les Palestiniens ont d'ailleurs rappelé la nécessité de la solution des deux États.
Or, c'est ce prévoit la légalité internationale de 1947 que refuse désormais Israël en se basant sur le refus de son État par les Arabes dont le refus revient à desservir la cause palestinienne, puisqu'il s'agit de l'acte de naissance non seulement d'Israël, mais aussi et surtout d'un État palestinien souverain.
Il est vrai, ceux qui sont opposés dogmatiquement à la normalisation avec Israël partent du fait qu'il ne reconnaît plus une telle légalité; mais c'est le renforcer dans cette attitude abusive et d'arrogance en allant dans son sens par l'ostracisme inutile qu'on pratique à son égard, devenant même néfaste, encourageant un certain terrorisme. Il est même impératif de se reconnaître mutuellement pour envisager une paix qui soit enfin celle des braves ! Ce qu'on bien fait les Palestiniens, au demeurant !
Surtout qu'on a bien vu se multiplier les rapports informels entre Israël et certains pays arabes, comme la reprise récente de la ligne commerciale entre le Maroc et Israël et l'appel à une ligne similaire entre Djerba, qui abrite le célèbre site de pèlerinage de la Ghriba, et Tel-Avis.** La sagesse finira-t-elle par l'emporter ? Le chemin est encore bien long et nécessite des justes des deux côtés.
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Publié sur Contrepoints