Ce qu'on ne dit pas sur l'islamisme djihadiste
Ce qui suit ne prétend pas être la vérité sur l'islamisme djihadiste; qui la détiendrait lorsqu'on se veut objectif et que l'on sait que même la vérité scientifique est relative, soumise pour le moins au fait polémique?
Il s'agit plutôt d'une contribution pour un nouvel esprit d'appréhension, avec le moins de subjectivité, d'un phénomène relevant pour beaucoup d'un noumène essentialiste, l'idiosyncrasie d'une religion.
Méthodologie mythocritique
Bien loin de la doxa bienpensante de nos temps de conformisme logique porté à son degré paroxystique par les horreurs terroristes, il nous importe de rappeler que le phénomène du djihadisme islamiste, comme tout phénomène, est objet d’expériences possibles, antinomiques de l’objet en soi, ici la foi; l'étymologie grecque du mot (phainomena) renvoie d'ailleurs aux choses célestes.
Or, notre époque postmoderne est propice au regain de spiritualité. Qu'est-ce qui fait que l'on glisse plutôt en religiosité dans sa forme exacerbée niant sa vocation première de lien, selon l'un des deux sens étymologiques, le plus fiable du mot (religare)?
Ne nous faut-il pas nous interroger, pour le moins, sur les relations entre le phénomène dont il est question et les autres aspects essentiels du temps que sont le matérialisme triomphant, en sa forme capitaliste sauvage, et l'ordre mondial injuste?
Claude Bernard, dans ses Principes de médecine expérimentale, rappelait déjà que pour comprendre, les sciences d’observation ont pour essence et but la connaissance de la loi de relation ou de classification des phénomènes de la nature. Ce qui s'applique bien évidemment aux phénomènes de la nature humaine où, mieux qu'en toute autre science, connaître (con-naître), c'est bien naître avec autrui, l'autre soi-même.
Notre époque d'imagification poussée jusqu'à la gadgétisation de la vie ne tend-elle pas à transformer en artefact tout ce qui déroge à sa féérie technologique, même et y compris le phénomène n'ayant nulle origine artificielle ou accidentelle?
C'est le cas de celui qui nous occupe, illustration comme une autre, quoique dramatique, de ce « flux héraclitéen des vécus », selon l'expression de Husserl, dont il nous faut rendre compte en venant à la chose même, la débarrassant de toute interprétation, optant pour la présentation et non la représentation.
Cela n'est possible que si l'on ne stigmatise pas ceux qu'on juge, la meilleure réflexion étant celle qui vient du commerce des hommes, y compris les primaires parmi eux, pouvant être premiers. Ce qui implique de répudier la moindre retraite épistémologique (au sens étymologique de tirer vers l’arrière : retrahere) pour être « sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes » comme disait Sartre dans son Idée fondamentale de la phénoménologie de Husserl.
Aussi, notre méthodologie impose-t-elle de sortir de nos mythes actuels, tout en osant allant vers ceux qui peuplent l'inconscient collectif, dictent le comportement à partir d'un imaginaire populaire; ces archétypes au sens à la fois platonicien d'idées autour desquelles sont construits nos grilles et modèles de lecture que jungien de symboles alimentant l'imaginaire et l'inconscient, à la source de leurs productions culturelles.
Malaise dans la civilisation
Il nous faut non seulement montrer, mais monstrer — la monstration antique manifestant la volonté des dieux, ici sacrés comme profanes —; ce qui est bien à l'état brut de l'islamisme djihadiste, primitif et donc primordial.
Cela veut dire que les islamistes en présence desquelles nous sommes se réclament d'un islam rigoriste, en faisant une théologie radicale, de libération ou terroriste, selon les points de vue. Ainsi appréhendé, le phénomène ne rappelle-t-il pas déjà une autre théologie, dont la chrétienne consacrée comme étant de libération?
C'est dire aussi, s'agissant du djihadisme, qu'il n'a nulle racine islamique tout en ne manquant de rappeler, par contre, une figure biblique, celle de Samson, juge d'Israël. En effet, la guerre sainte n'existe pas en islam pur, le martyre tel que pratiqué par les kamikazes ne relevant nullement de l'islam correctement interprété, y étant témoignage, ce qui nécessite de vivre pour témoigner et dire le vrai, plutôt que de mourir. {1}
Par un tel dévoilement adogmatique des choses, le lien voulu indéfectible entre islamisme et djihadisme ne se trouve-t-il pas relativisé? Immanquablement, cela amène à la question que commande un minimum d'objectivité : que serait l'islam majoritaire au vu de ses manifestations terroristes ainsi recadrées? Et n'y voit-on pas, pour le moins, une sympathie pour les terroristes?
D'abord, force est de reconnaître que, populairement, l'islam est fondamentalement paisible à l'exclusion de groupuscules d'agités agissants. Il est un islam de paix et même de passivité, celle dont on affublait le soufisme du temps de la colonisation. Or, l'islam populaire est soufi {2} qu'on le reconnaisse ou qu'on le taise pour différentes raisons, dont surtout le milieu de contraintes légales et morales amenant les gens de peu à louvoyer, vivre leur réelle vie en catimini, à bas bruit.
Aussi, les marques de sympathie apparentes ne se retrouvent pas nécessairement quand on va aux creux des apparences. C'est l'hypocrisie sociale, fort répandue au demeurant en terre d'islam, qui ne traduit qu'une labilité de la société, sa ruse de vivre en milieu hostile. Pour en rendre compte, j'use de ce que je qualifie de parabole (pouvant devenir complexe) du moucharabieh.
Mais que sont les minoritaires faisant l'exception ? Sont-ils indépendants de tout pouvoir ? Ne sont-ils pas manipulés et manipulables ? Pour simplifier, identifions-les ici comme étant une jeunesse déboussolée et embrigadée, des théoriciens et jurisconsultes voyous et des États terroristes.
Les jeunes n'ont que le vernis religieux, maquillé en religiosité pour remplir leur vacuité spirituelle. S'ils sont manipulés, c'est qu'on leur livre un argumentaire sur une thématique faussée articulée sur la supposée valeur éminente du jihad justifiant leurs crimes tout en les consacrant religieusement.
Car leur jihad, qui est d'abord mineur en l'occurrence, est forclos en islam, tout comme l'a été l'émigration (hijra).{3} C'est ce que les jeunes ne savent pas ou ne veulent pas savoir puisque leurs gourous le taisent, assurant même le contraire.
La responsabilité incombe donc aux théoriciens voyous se gardant de dire la vérité sur cette question sensible, n'arrêtant pas d'en parler faussement, agissant en faussaires afin de mieux réussir leur oeuvre de lavage de cerveau de jeunes en révolte contre leur société, mal dans leur peau, en rupture de ban avec les leurs, en crise existentielle.
Les uns, les manipulés, et les autres, les manipulateurs, se laissent d'autant mieux faire ou redoublent de zèle dans leurs diaboliques menées qu'ils ne connaissent — s'agissant de la jeunesse — rien ou si peu de la religion, leur dernier souci, ou — s'agissant des théoriciens — qu'ils prétendent servir alors qu'ils s'en servent comme l'on se sert d'eux, étant par ailleurs au service de pouvoirs occultes, musulmans ou non, parmi lesquels des États voyous.
Il y a ainsi un business de la désinformation servant surtout les profiteurs d'un ordre saturé auquel ils s'accrochent pour le maintenir malgré le désordre mondial actuel. Alors, fatalement, se pose la question classique de savoir à qui profite le crime, sachant qu'il dessert à n'en pas douter la majorité musulmane, ainsi qu'une saine conception de l'humain?
C'est ce qui est à la source du malaise actuel en notre civilisation qu'on savait mortelle déjà, malaise dont on ne veut pas prendre compte, mais qui ne saurait être plus longtemps ignoré sans davantage d'horreurs. Or, on pourrait en faire l'économie si l'on faisait la politique autrement, y intégrant l'impératif éthique, la transfigurant en poléthique pour un monde d'humanité, une mondianité.
Le monde d'après
Dans les États voyous, on voit de plus en plus consacré l'usage de la tactique éculée consistant à diviser pour régner, maintenir un impérium physique comme moral, sous des dehors démocratiques (une démocratie d'élevage) qui ne trompent plus, ne traduisant que le pouvoir de démons professionnels de la politique en ce qui est devenu, au mieux, une démocratie sauvage, sinon une daimoncratie, la chose des démons de la chose publique.
Quid du rapport au terrorisme de l'islam institué en États et qui est loin — faut-il le rappeler encore — de refléter la foi populaire, à des années-lumière de ses manifestations officielles? Ni l'islam se disant modéré ni, à plus forte raison, celui supposé être une lecture rigoriste, ne se décident à déclarer illicite le jihad mineur périmé, combien même ils osent prétendre vouer aux gémonies ceux qui en usent, ce qui revient à les encourager, justifier implicitement leurs horreurs.
Ce qu'il faut surtout noter ici, c'est que de tels États, modérés comme extrémistes, surtout ces derniers, ont les faveurs de l'Occident. Celui-ci, au prétexte de réalisme politique et/ou idéologique, plus soucieux des intérêts de ses dirigeants que de ses peuples, ne s'embarrasse pas de surenchère machiavélique, violant ses valeurs humanistes. Pour preuve, contesterait-on que nombre de régimes arabes et/ou musulmans ne tiennent que grâce au soutien dont ils jouissent auprès de l'Occident mercantile? N'est-ce pas le cas, particulièrement, de la tête de proue de l'islam rigoriste? {4}
Au nom de ce machiavélisme au vernis de la realpolitik, on dévergonde la politique, maintenant sa conception antique du jeu du lion et du renard déjà périmé, surtout en notre âge des foules qui sont en mesure d'agir pareillement, et encore plus bestialement.
Or, ni le bon sens, ni l'éthique, ni la logique n'admettent plus guère qu'on affirme lutter contre un terrorisme sur la cause avérée duquel on ferme les yeux. Plus que jamais, on tolère moins que l'on ne se prononce pas sur les menées occultes à l'origine de nombre d'actes dénoncés, y compris ce monstre qu'est Daech qui ne serait au mieux qu'un Frankenstein échappé à son maître. N'est-il pas la réplique du régime wahhabite installé à La Mecque alors que cette hérésie est l'anti-islam par excellence? Ainsi a-t-on pu dire, avec raison, que le wahhabisme est un Daech ayant réussi.
S'il y a le feu à notre planète, il ne faut surtout pas oublier qu'il peut toujours y avoir des pompiers pyromanes; c'est le système obsolète dans lequel on continue de vivre qui l'impose. Ce qui suppose d'entrevoir le monde d'après à la faveur du chaos actuel qui annonce bien un monde nouveau à naître, la fin de l'ancien étant une faim de nouveauté; c'en est même un signe tangible, l'Antéchrist préludant la venue du Christ.
Il est bien temps d'arrêter de se focaliser sur le menu fretin de ces bandits qui ne sont que des pantins, affublant leur radicalisation et leur nihilisme du vernis religieux; cela n'est nullement inédit. Être crédible, sage et efficace consiste à s'attaquer à la religiosité de façade entretenue par les pouvoirs voyous aux commandes des destinées des multitudes, d'islam et de non-islam, et ce au service d'un ordre injuste, celui de minorités désormais chahutées dans leurs intérêts exorbitants acquis au détriment de majorités brimées, démunies de leurs droits et libertés intangibles.
Alors, et sans que cela apparaisse par trop bizarre, sinon juste d'emblée, la jeunesse terroriste, malgré ses horreurs et atrocités, pourrait se révéler n'être que des garnements terrorisés, de petites frappes jouant aux monstres et se jouant d'eux-mêmes en redoublant de turpitudes pour ne plus avoir peur et contrer celles de leurs ennemis. N'est-ce pas ce qui les amène à s'offrir la mort, moins pour un prétendu paradis, que pour échapper à leur enfer sur terre ou ce qu'ils perçoivent comme tel.
Un tel propos est certes iconoclaste, mais ne livre-t-il pas juste une part de vérité occultée, constante anthropologique qui plus est dont rendent compte les livres sacrés, jusques et y compris la Bible, les excès amenant les excès ?
NOTES :
Publié sur Contrepoints, légèrement modifié, sous le titre :
Qu’est ce que l’islamisme djihadiste ? Le regard d’un philosophe