Régionales françaises et rapport Jenkins : Grisaille d'Occident vue des pays du soleil maghrébins
On l'a déjà affirmé et démontré : les Lumières sont éteintes en France. Pays censé être des droits de l'Homme, l'Hexagone est de plus en plus grise.
Ne nous laissons pas aller au pessimisme, sans verser toutefois dans un optimisme naïf, plutôt un pessimisme raisonné qui est bien plus volontarisme ; le philosophe n'a-t-il pas raison, soutenant que ce qui ne nous tue pas nous renforce ?
Soumission volontaire
La France perd ce qui lui reste de valeurs sous les coups terroristes. Mais n'entretient-elle pas cette perte par la soumission volontaire de ses élites à un matérialisme vidé de sens ? Quand le pays était vraiment pauvre, le capitalisme pouvait représenter une valeur, cette plus-value qu'il déifie plus que tout quitte à verser dans la sauvagerie.
N'étant plus un pays miséreux, sinon mentalement, comment continuer à accepter une telle dévastation de l'âme, ce bel esprit français dont on ne trouve plus nulle trace dans le désenchantement généralisé actuel auquel on participe activement ? Cela se fait à force de soumission volontaire à un esprit yankee devenu conquête universelle, entendant faire du monde, y compris la vieille Europe, cette réserve indienne toujours vivace en son imaginaire, ayant scandé son expansion et sa vision purement mercantiliste.
Compromission délibérée
Si la jeunesse supposée être musulmane cause le malheur des innocents dans l'Hexagone en se laissant aller aux pires turpitudes, est-elle seule coupable ? L'est-elle même plus que ceux qui lui font directement ou indirectement subir un lavage de cerveau, transformant certains de ses pauvres hères en automates et les plus brillants parmi elle en démons singeant leurs maîtres, versant dans une surenchère de diablerie ?
N'a-t-on pas vu l'Occident, la France en tête, pour de basses raisons matérielles et de politicaillerie ouvrir la boîte de Pandore libyenne ? Qu'a-t-on fait d'autre en Syrie, en Irak et ailleurs ? Et que fait-on avec des États notoirement voyous ? Certes, la cause des valeurs reste sacrée ; mais la sert-on vraiment sans arrière-pensées et avec assez d'éthique ?
Comment pourrait-on le prétendre quand on fait alliance — et qu'on la célèbre éhontément — avec la source du terrorisme qui endeuille le monde, ce Daech officiel que sont des régimes de dictature affichant un islam rigoriste qui n'a rien d'islamique ?
On l'a déjà dit et démontré : le seul islam authentique est soufi ; ce que d'ailleurs la France sait parfaitement bien, ayant usé et abusé durant la période coloniale de cette veine pacifiste et œcuménique d'une foi guère plus belliqueuse dans ses déclinaisons caricaturales que les autres fois monothéistes quand elles étaient le pilier des États en Occident.
Il est vrai, l'islam est religion d'État sur ses terres théoriquement émancipées de la domination étrangère ; mais est-ce que le fait qu'il soit ainsi l'alpha et l'oméga de la vie publique incombe uniquement aux peuples concernés ? Leur responsabilité peut-elle vraiment être engagée dans un monde devenu immeuble planétaire et quand on sait le degré de soumission des élites gouvernantes aux intérêts occidentaux ? Ce qui se passe en Tunisie l'illustre à merveille.
L'exemple tunisien
Voici un pays qui pourrait faire référence pour un islam modèle : paisible et universaliste, le soufisme imprégnant son tissu social et le moindre du comportement populaire. Or, que voit-on ? L'Occident a canalisé le mécontentement social ayant amené à ce que j'ai qualifié de Coup du peuple pour une nouvelle donne géopolitique appelée Printemps arabe se voulant juste une nouvelle floraison pour son néolibéralisme.
On a ainsi exploité une tendance populaire avérée vers plus de spiritualité pour encourager la pire des religiosités, pourtant étrangère à la mentalité tunisienne, imposant la carte islamiste qui ne sert que les intérêts du grand capital puisque l'islam politique, tout comme hier le protestantisme, est le plus sûr pilier du capitalisme.
Pourtant, ce capitalisme a besoin aujourd'hui d'être réformé ; mais ses gourous ne se résolvent pas à l'inéluctable, pratiquant la tactique de la fuite en avant. Ils le font dans les nouveaux territoires gagnés à un capitalisme débridé au nom du consumérisme et grâce aux élites islamistes. Hier sevrées de tout, croupissant même dans les prisons, et passées aux délices du pouvoir, elles sont psychologiquement conditionnées, étant même prêtes à vendre l'âme pour ne plus sortir du paradis sur terre d'aujourd'hui.
On voit bien aujourd'hui comment la Tunisie, bien qu'elle ait voté majoritairement pour un parti supposé réformateur et moderniste, est enlisée dans une inertie mortelle du fait d'un diktat occidental imposant un parti islamiste qui n'entend rien entreprendre d'utile en termes législatifs de nature à servir la soif du peuple à plus de liberté et de dignité. La raison en est que cela rognera sa mainmise sur la société faisant sauter en éclats le mythe dont il vit qui est cette illusion du conservatisme social.
Le pays croule ainsi et de plus en plus sous les dettes, anciennes d'ancien régime comme nouvelles d'équipes gouvernementales soucieuses d'entretenir les privilèges indus des arrivistes nouveaux au pouvoir dont l'appétit est vorace à force de privation et au diapason de celui des anciens profiteurs du régime. Et dans cette dilapidation de l'intérêt national, on va même jusqu'à hypothéquer les biens du pays en usant de la grosse arnaque qu'est la finance islamique.
Bien pis ! Le pays est régi pour l'essentiel par la même législation liberticide qui a servi la dictature et qu'utilise un pouvoir renâclant à se transformer profondément comme l'exige l'esprit du temps, ne serait-ce que du fait du non possumus opposé par son aile la plus conformiste, religieuse comme profane.
Pour des initiatives anti-grisaille
On ne peut prétendre servir la morale en se comportant immoralement, faire de la politique en continuant à l'interpréter à l'ancienne, cette manière machiavélique que réprouve l'esprit de temps — dont on a dit être un temps de l'esprit —, à savoir cette antiquité de la pratique bestiaire où il sied de singer lion et renard.
Notre époque impose l'éthique en politique, ce que je qualifie de poléthique ; ce qui impose de cesser de prendre les citoyens pour les idiots qu'ils n'ont jamais été, même si la démocratie d'élevage en agi pour leur donner cette apparence. La démocratie est de plus en plus sauvage, et on le voit dans les urnes. Il est temps donc de veiller à une transfiguration de la pratique politique et du régime même qui ne se satisferait plus des mécanismes obsolètes supposés traduire la volonté populaire quand ils n'incarnent que la volonté d'une minorité.
C'est moins le parti d'extrême droit qui a triomphé au premier tour des régionales en France que le parti de l'abstention. La transfiguration du politique suppose de refonder la démocratie, aujourd'hui chose de professionnels de la politique, de vrais démons ! Il urge de sortir donc de la daimoncratie pour une postdémocratie, celle de la puissance sociétale qui soit une démoarchie.
Cela est aussi vrai pour la France et la vieille Europe que pour les nouvelles ou futures démocraties comme la Tunisie. Si on refuse en France le Front National, il est aussi impératif de refuser les islamistes en Tunisie, leur programme allant au-delà de ce que n'ose proposer le parti xénophobe de France.
Je ne m'étendrai pas trop ici sur cette similitude entre la négation des valeurs unissant de part et d'autre de la Méditerranée ces deux partis et qui doit impérativement amener à ce que l'on cesse la politique des deux poids deux mesures. En notre monde globalisé, la destinée de la Tunisie est liée à celle de l'Occident et inversement, la paix en Europe dépendant pour beaucoup de l'instauration d'un État et d'une société de droits en Tunisie.
Déclarer le jihad forclos en islam
Je me suffirai ici de deux exemples dont saisiront assurément l'importance l'Occident en général et la France en particulier qui demeure le partenaire historique de la Tunisie politique même si elle n'a guère plus aujourd'hui de prise sur les événements.
D'abord, la réticence des islamistes à permettre la réforme de la législation de la dictature pour la conformer à la nouvelle constitution dont on sait l'investissement occidental pour être ce qu'elle est. Trop de lois sont injustes, qu'on continue néanmoins à appliquer quand qu'il aurait fallu en suspendre sans tarder l'application par un vote solennel de l'assemblée des représentants du peuple ou même par circulaire ministérielle dans l'attente de l'impérative réforme d'envergure. Comment justifier une telle inertie coupable ? Entre autres, par l'urgence du combat antiterroriste, alors qu'un certain nombre de ces lois à abolir alimente justement le terrorisme ne serait-ce que mentalement !
La preuve en est que le régime n'ose pas, faute de soutien islamiste, déclarer hors la loi la notion de jihad en islam, bien qu'il ait été déjà démontré que cette réalité contingente a pris fin en islam tout comme l'émigration ou hijra. Peut-on raisonnablement endiguer — et encore mieux éliminer — le phénomène terroriste quand on le voit se nourrir non seulement de la légitimité du jihad en islam, mais aussi et surtout de la conviction qu'il est une obligation légale pour tout musulman ? Or, une telle mentalité terroriste se rencontre tant chez les kamikazes que chez leurs mentors, dont des théoriciens, philosophes et politiques d'envergure.
Qu'on ne s'y trompe donc pas ! La première manifestation sérieuse contre le terrorisme est d'arracher ses racines en osant rappeler l'évidence que l'usage de la force est un monopole étatique et que nul ne peut s'y adonner sans verser dans la criminalité. La religion est une affaire de vie privée ; c'est consacré en islam correctement interprété où seul l'effort sur soi, le jihad maximal, est désormais licite. Voilà ce que refuse de dire nos islamistes supposés modérés, bénéficiant de la caution occidentale et de son indéfectible soutien!
Bien évidemment, pour être crédible, il importe également de dénoncer le terrorisme d'État en osant rappeler à l'ordre les États voyous dont nous avons au Proche Orient une parfaite illustration, aussi bien religieuse que profane, le terrorisme n'ayant ni foi ni loi. Mais comment le faire quand on continue par ailleurs de refuser de reconnaître la légalité internationale afin d'avoir la légitimité d'appeler à y revenir ?
Publié sur Le Courrier du Maghreb et de l'Orient sous le titre :