Charlie, l'agneau et le bouc
Avec la fin des auteurs de l'odieux attentat ayant décimé la
rédaction de Charlie Hebdo, on est en droit de se demander sur la théorie du
complot qui n'a pas manqué de surgir et faire florès dès les détails connus de
l'horrible crime. Et la question classique d'être inévitable : à qui profite le
crime ?
Théorie du bouc émissaire
En la matière, une telle question pourrait renvoyer à la théorie
du bouc émissaire, le pharmakos de la Grèce antique et le bouc du judaïsme
porteur des péchés d'Israël, donnant par la suite la thématique dans le
christianisme de l'agneau immolé, expiant les péchés.
Charlie serait ainsi cet agneau chrétien et l'islam le bouc
judaïque. Par le sacrifice de la rédaction du premier, l'horrible geste des
adeptes du second, tous les crimes qui font mal à l'Occident, altérant sa
civilisation, hâtant son déclin, se trouvent représentativement accumulés sur
cette religion assez coupable déjà d'avoir enfanté Daech, incarnation absolue
du mal.
Pour certains, Charlie ne serait donc pas exempt de reproches, coupable
même de ce péché véniel de manier à merveille l'esprit coquin et l'impertinence
comme un art ; mais l'islam responsable de sa mort assume le péché mortel
par excellence.
Charlie avait des ennemis
Ce n'est un secret pour personne, Charlie Hebdo n'était que toléré
par certains, supportant de moins en moins son esprit caustique, trouvant que
sa rédaction dépassait les limites, ne se reconnaissant aucune ligne rouge,
assumant mal qu’elle incarne le principe du droit à l’effronterie en démocratie
sans la moindre restriction.
Car même en démocratie ancienne et bien établie, on assiste de
plus en plus à la mise en place progressive d'une loi d'airain, gagnant à
chaque crise majeure, déclenchant ce rite piaculaire ou de deuil dont parlait
Durkheim, qui permet à la collectivité de se ressouder à l'occasion de
catastrophe. Or, cela se fait immanquablement aujourd'hui, en notre temps des
contradictions, autour de ce qui est de nature à faire sauter en éclats ce qui gardait
unie la collectivité, ses différences assumées qui laissent place à une autre
constante anthropologique, celle de la recherche de bouc émissaire.
Charlie trahi ?
Cette loi d’airain gagnant du terrain à chaque événement majeur
est la doxa bien-pensante, le
politiquement correct. Aussi, assurément, pour certains, la catastrophe de
l'attentat contre Charlie est du bain béni, notamment parmi les ennemis des
valeurs pour lesquelles militait le journal. Et il l'est d'autant plus qu’on a
trouvé pour réaliser le crapuleux forfait les mercenaires adéquats en mesure de
faire à la fois charpie de Charlie et de l'islam.
Tout s’est passé, en somme, comme si l'on était aux jeux du cirque
avec un spectacle assuré par deux gladiateurs. Assurément héros du jour, choyés
par leurs écuries et applaudis par les spectateurs, ils n’échappaient pas mois
à leur condition et s'entretuent pour, au final, que la vie du survivant dépende
du bon vouloir du prince.
Dans ce qui deviendra assurément l'affaire Charlie, les
gladiateurs n’ayant pas eu la vie sauve ne peuvent plus témoigner, lever
éventuellement le voile sur leurs réelles motivations, celles de leurs
commanditaires ou des manipulations dont ils ont fait l'objet, au-delà du
convenu qui aurait été soigneusement ébruité.
Le terrorisme est pluriel
On l'a toujours dit : le terrorisme ne peut s'écrire qu'au
pluriel, étant une nébuleuse amalgamant tout et son contraire. Les terroristes de
Charlie Hebdo ne sont qu'en apparence musulmans, puisque la majorité des fidèles
de l'islam les rejette. Ils n'ont pas agi pour défendre cette foi non plus, les
plus compréhensifs des motivations supposées de leur horrible acte avouant
qu'ils ont été au-delà de l'éthique islamique.
Au mieux, donc, ils n'ont fait que relever de cette terrible
confusion des valeurs en islam qui amène les plus faibles, d'esprit à défaut de
sentiment spirituel, à verser dans l'innommable. Or, le plus souvent, il s'agit
d'une faune misérable psychologiquement, aux abois socialement, la plus
facilement influençable, et concomitamment manipulable par tous ceux qui ont
intérêt à ce que l'islam et les musulmans, à travers Charlie aujourd’hui, soit
désigné à une vindicte populaire propice à justifier ce qui est injustifiable
en temps normal.
L'islam est bien en cause
Malgré tout, l'islam engage sa responsabilité. Si la foi
islamique en général doit être mise hors de cause, une certaine lecture de
l'islam doit être dénoncée, celle qui se retrouve dans la plupart des
législations des pays arabes et musulmans, même les moins intégristes, comme la
Tunisie ou le Maroc.
On le vérifie régulièrement. En Égypte où l'on harcèle les
homosexuels, interdit un film de grand spectacle comme Exodus. Au Maroc où ce
même film n'est autorisé que censuré, où le festival d'un grand soufi est
l'occasion de faire la chasse aux pèlerins venus faire l'amour et non la
guerre. En Mauritanie où l'on condamne à mort pour apostasie pour un article
anodin parlant moins de religion que d'injustice sociale. En Arabie Saoudite où
on met à mort les homosexuels, où on emprisonne et on flagelle pour le simple
tort d'animer un blog.
On pourrait encore évoquer la Tunisie qui ruine la vie de jeunes
juste fautifs d'avoir fumé un joint, le Maroc encore ou l’Algérie où le simple
fait de manger en public durant le ramadan est passible de prison. Et
pourrait-on oublier le véritable apartheid dont font l'objet les femmes en
Arabie Saoudite où elles sont interdites même de conduite d’automobile ? Et
doit-on parler des pays qui mettent à mort les homosexuels comme l’Iran ou
l’Arabie saoudite ?
Un tel islam de la honte est certes moins conforme au dogme qu’à
une certaine lecture déformée et caricaturale héritée du passé et toujours en
vigueur ; or, il est bien plus répandu qu'on ne le croit et, pour
certaines questions, quasiment généralisé. Il est ainsi coupable de production
de jeunes dogmatiques, à la psychologie friable, aux horizons bornés,
facilement manipulables par ceux qui versent dans la haine et la terreur,
qu'ils se réclament comme eux de l'islam ou qu'ils le combattent au nom d'une
autre idéologie, religieuse ou profane.
L'Occident est aussi coupable
Qu'on ne se leurre donc pas ; tous les pays arabes musulmans
ont leurs lois scélérates, prétendant relever de l'islam alors qu'elles le
violent telles celles réprimant l'homosexualité ou l'apostasie, nullement
pénalisées en islam pur, introduites par les jurisconsultes musulmans influencés
par la tradition judéo-chrétienne de
l’époque.
De cela, l'Occident est bel et bien au courant et s'en accommode
parfaitement, une telle décadence chez les musulmans assurant sa domination sur
l'imaginaire arabe musulman, perpétuant la dépendance des esprits de son modèle
supposé parfait.
Or, cette domination ne serait plus totale si elle devait subir la
concurrence d'arsenaux juridiques qui ne soient plus liberticides, risquant
d’en arriver à rappeler les Occidentaux à leurs devoirs éthiques, en matière de
droits de l'Homme, par exemple, comme en termes de libre circulation humaine
sacrifiée sur l'autel de celle des marchandises.
On les voit ainsi ne rien faire de concret pour obtenir — pour le
moins des autorités des pays amis — qu’elles abolissent leurs lois scélérates,
ce terreau pour intégristes puisque de telles lois conditionnent les jeunes,
les faisant élever dans une culture de haine et d’exclusion et non de droits et
de libertés. Or, de cela, les
Occidentaux pourraient bien s’acquitter d'autant mieux que les dirigeants de
ces pays sont le plus souvent mis en place grâce à leur propre lobbying pour le
service de leurs intérêts.
Terrorisme mental d'un paradigme fini
C'est donc à un terrorisme mental qu'on a affaire, tout autant du
côté des pays arabes musulmans que du côté occidental; et il est déjà là, mais
on ne veut pas l'admettre, dans le droit positif des uns et des autres qui
conditionnent partout les esprits.
Si c'est assez évident du côté islamique avec les lois
liberticides supposées d'inspiration islamique ci-dessus évoquées, il ne l'est
pas moins en un Occident qui est le produit d'une tradition religieuse.
Celle-ci a gardé, pour ceux qui n'y prennent pas garde, une haine ancienne pour
une foi venue contester son hégémonie, détournant d'elle des fidèles, se
prétendant, suprême affront, être la lecture authentique de la foi
d'Abraham.
C'est un tel terrorisme, affublé de considérations politiques ou
économiques qui explique le prétendu conflit des cultures et des civilisations
chez certains, nourrissant ce qui pourrait se révéler être des croisades
postmodernes.
Au vrai, ce n'est que la manifestation d'un paradigme saturé,
celui qui avait fait les beaux jours de la Modernité occidentale dont les
concepts sont désormais vidés de sens. Car un nouveau paradigme est en
gestation, rompant fatalement avec un monde fini pour la naissance d'un autre,
la fin de l'un se manifestant par une faim de l'autre ; et elle est pour
l'instant anthropophage pour cause de famine de justice en un monde cruel à
force d’injustices.
Publié sur Contrepoints