2015 : le conte de fées tunisien
Les fêtes de fin d'années sont propices aux contes de fées. En voici un, bien tunisien, à la veille de l'entrée de la Tunisie dans une nouvelle année, particulièrement de l'an cinq de sa révolution qui fut un Coup du peuple. Et qui dit coup dit choc et résultat de ce choc.
La fille cultivant des sentiments
Il était une petite fille, si belle, si gentille, cultivant en son intérieur de somptueuses cultures des sentiments, ce qu'il y a de plus beau chez l’humain.
Comme toute gentillesse incarnée, elle avait sa fée qui veillait sur elle afin que s'accomplisse sa destinée. Et celle de la fille si gentille était de fleurir le monde de ses cultures.
Or, alentour, le monde était devenu hideux, exécrable où les méchantes sorcières faisaient régner la terreur de l'ordre du plus fou.
Et un tel ordre en était même venu à s'imposer à la maisonnée de la petite fille qui ne s'en affolait pas, continuant à s'adonner à sa passion, disant aux siens que les forts du moment n'étaient que des fous cherchant des trésors matériels, alors que les vraies richesses de la maison étaient immatérielles et de ce fait inépuisables.
C'est le langage du coeur qu'elle tenait aux siens et que lui susurrait sa fée lui disant que lorsqu'on n'a que l'amour à prodiguer, on finit par faire des miracles.
Et un jour, la sorcière qui croyait régenter tout dans la maison de la petite fille s'aperçut que les plantes cultivées amoureusement devenaient envahissantes, s'étendant partout comme un lierre. Or, il faut savoir que ce qui est mortel pour les sorcières est l'odeur exquise des rosiers.
C'est que la puanteur qu’elles respirent est incompatible avec l'air parfumé; aussi les roses de la petite fille finirent-elles par chasser la sorcière bien loin de l'étendue de leur parfum. Comment cela se fit-il, ne manqua-t-on de demander à la petite fille ; et elle répondait invariablement : la rose n'a pas de comment !
Mais comme la nature dans le monde des sorcières aussi a horreur du vide, la place de la sorcière fut aussitôt occupée par des apprentis sorcières dont l'odorat en formation pouvait supporter une certaine dose de parfum, tant qu'elles pouvaient l'altérer. Elles eurent pour tâche de transformer la roseraie en une culture de plantes vénéneuses et se mirent à importer en quantité dans la maisonnée de l'air impur viciant tout.
La rose est sans pourquoi
Cela ne fit pas se détourner la petite de sa culture des vais sentiments; elle ne prêta surtout pas attention à la culture qu'on importait et dans laquelle on voulait la reconvertir — celle des bons sentiments —, issue des ateliers de la sorcière, une fausse variante de roses artificielles à l'odeur évanescente, destinée à détourner des sentiments d'amour et de tolérance. Mais lorsqu'on venait dire à la petite fille qu'il était désormais nécessaire de se reconvertir à de telles fleurs artificielles, elle répondait que les roses naturelles n'ont pas de pareil.
Certes, il lui arrivait de douter quand on venait la matraquer avec des slogans, tel celui que le temps est à l'artifice, que la nature humaine ne peut plus se passer des productions de la civilisation matérielle. Toutefois, sa fée lui permettait toujours de finir par trouver la réponse adéquate, de garder la foi en la pertinence de sa culture des vrais sentiments.
Aussi, en était-elle arrivée à ne plus taire ses convictions que sa roseraie allait finalement avoir le dessus sur les roses artificielles et en exporter même tout autour et dans le monde.
Cela date du jour où un vieux voyageur, routier des sentiers de l'aventure humaine vint admirer la roseraie. Elle le reçut comme le fait avec tous ses visiteurs chez elle, lui offrant le gîte et des roses. Et il s’y plut tellement qu'il exprima le désir de rester un temps en un tel paradis.
On a dit que ce visiteur a été invité dans la maisonnée par la fée veillant sur la petite fille pour l’aider à étendre les dimensions de sa roseraie. Il faut préciser qu’il ne pouvait plus se passer des senteurs enivrantes de la roseraie, tenant à en faire bénéficier le plus grand nombre des humains. Et la fille ne voulut plus se séparer du vieil homme, y voyant l’avenir de sa culture des sentiments.
Quand on lui disait que le vieux n’était pas en mesure de réaliser des travaux nécessitant la force de l’âge, elle répondait que sa foi y pallierait, car la foi soulève les montagnes. Et quand on lui demandait comment, elle répétait comme toujours que les roses n’ont pas de comment
Si le conte ne dit pas si cela s’est fait, il ne dit pas non plus pourquoi, car les roses n'ont surtout pas de pourquoi. Il dit tout juste que le vieil homme est une incarnation du destin, que la petite fille s’appelle Tunisie, que 2015 est son année et le siècle 21 le sien.
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