Sortir de la «daimoncratie» avec une «poléthique»
Nos intellectuels commencent à prendre conscience de la nature antagoniste du monde politique, toujours dominé par l'intérêt partisan, et du monde des idées qui doit rester libre de toute soumission autre qu'aux idées.
Il est vrai qu'au nom des idées, on peut aussi être dogmatique et donc aliéné; mais c'est galvauder l'essence de la pensée devant préserver sa totale liberté.
Olfa Youssef vient de faire l'expérience de cet amalgame en quittant un grand parti, déclarant avoir fait erreur, mais jugeant à juste raison que «la plus grande erreur est de continuer l'erreur».
Lucidement, elle dénonce la supercherie de l'opération électorale en cours qui n'est qu'une opération commerciale que résume le recours à l'encre dite sympathique, ce commerce juteux dont l'utilité contre la fraude est nulle en présence de listes électorales. À moins que ces dernières ne soient pas tenues à jour, auquel cas c'est toute l'opération électorale qui doit être déclarée nulle et non avenue.
Tant que la politique est pratiquée de la manière que nous connaissons et singeons de l'Occident — cette façon antique où il faut être obligatoirement lion et renard à la fois —, il n'y aura qu'une démocratie purement formelle. C'est la dictature de professionnels de la politique, ces gourous quasiment sectaires qui ne sont intéressés que par le pouvoir, étant ses démons, d'où mon néologisme de «daimoncratie» (ou démoncratie).
Il nous faut une nouvelle pratique rendant ses lettres de noblesse à la politique, y réintroduisant la morale; et c'est d'une «poléthique» que nous avons besoin en Tunisie.
Elle commence par la substitution du scrutin uninominal au scrutin de liste et l'aménagement d'un contrat de mission rendant comptable l'élu devant ses électeurs au risque de destitution, le tout se faisant dans des élections locales qui doivent prendre le pas sur les nationales. Ces élections locales doivent même constituer le vivier du personnel national, lequel peut alors dériver des choix faits à l'échelon le plus proche du citoyen dans le cadre d'un pouvoir décentralisé à l'extrême.
C'est que notre manière de vivre a changé avec la fin du monde ancien érigé autour de la suprématie de l'État. Aujourd'hui, c'est l'ère des foules, des communautés et de la communion dans les émotions. Et la faim de nouvelles pratiques est irrépressible comme toute faim.
Nos politiques doivent le comprendre et avant eux nos élites intellectuelles. Cela nous assurera la possibilité de faire du chaos actuel que vit la Tunisie une renaissance certaine; le chas, rappelons-le, étant à l'origine de la création du monde.
Publié sur Webdo
sous le titre :
Tunisie : Rendre à la politique ses lettres de noblesse
Tunisie : Rendre à la politique ses lettres de noblesse