Abdelfattah Mourou ou la belle soufie et la bête salafie
Le nouveau coup de blues d'Abdelfattah Mourou dont notre ami et ancien collègue Raouf Ben Rejeb a rendu compte est une illustration de la terrible confusion qui règne, au-delà de tout le pays, dans la tête de nos politiciens.
Voici en effet un politicien aux idées éclairées, a l'islam honnête et authentique qui peine à se faire admettre, non seulement dans le parti dont il a été le cofondateur, mais aussi dans le pays.
C'est que son parti ne veut pas de lui, comme il l'a lui-même avoué; il appartient à une galaxie de l'islam qui n'est pas celle dans laquelle tourne sa formation, devenue le satellite du salafisme malgré l'apparence modérée qu'elle peine à se donner.
Cependant, Mourou n'ose pas se reconnaître tel qu'il est : un soufi, ou du moins adhérant aux conceptions soufies qui seules rendent compte de l'islam vrai, défiguré par son parti.
D'où son permanent dilemme : d'un côté, appartenir à une formation politique qui ne représente pas ses idées et qui n'est pas susceptible d'évoluer au-delà d'un ravalement de façade imposé par l'exercice politique; de l'autre, taire son essence qui est la négation même de ladite formation.
Aussi assiste-t-on à ce spectacle quasi surréaliste du vice-président d'un parti qui se permet d'être parfois plus acerbe que ses ennemis tout en ne tirant aucune conséquence de ses critiques sensées ni qu'on n'ose le jeter dehors.
C'est que la gageure est énorme. Pour le parti de M. Gahnnouchi, c'est ouvrir une boîte de Pandore; la capacité de nuisance de Mourou pouvant se révéler désastreuse, entraînant — pour le moins — le départ de ceux qui se reconnaissent en lui, les colombes d'Ennahdha.
Pour Mourou, c'est être amené à s'assumer tel qu'il est, soufi donc, ce qu'il n'ose faire du fait du discrédit qui est encore attaché à cette appellation à la suite de l'anathème que Bourguiba, entre autres, a jeté à tort sur le soufisme en Tunisie.
Or, il ne sert à rien à la belle de chercher à rendre humaine la bête si celle-ci refuse à ses charmes, ne voulant point croire aux vertus de l'amour qui, seul, magnifie la vraie foi religieuse ainsi que l'a incarnée le soufisme.
Pourtant, il n'est nul islam tunisien sans la pensée de Junayd, le plus illustre des gens du Tasawwof; elle est aussi importante sinon plus que les veines makékite et asharite qui l'irriguent; il suffit de revenir au Matn d'Ibn Ashir pour se le remémorer.
Alors, à quand une sorte de coming-out de M. Mourou assumant enfin son identité ? Il est sûr qu'il se fera assez vite de précieux soutiens du côté des ordres soufis toujours puissants dans le pays. Rappelons-nous : ce sont eux qui ont contribué à ce que le parti Pétition populaire (Al Aridha Ashaabiya) arrive en si bonne place lors de la dernière élection !
Mourou en candidat du soufisme en Tunisie ? Pourquoi pas ? Il aura alors de sérieuses chances de l'emporter, l'islam tunisien ayant besoin de quelqu'un de sa trempe pour le sortir de l'ornière salafie où l'entraîne la conception du parti de Cheikh Ghonnouchi, cette caricature d'une foi tolérante, rationaliste et universaliste dans son respect attesté des droits humains, tous les droits de tous les humains sans exception.
Publié sur Webdo