Ce que commande l’horreur venant de Mauritanie à nos élites
La Mauritanie, si proche de nous est dans le même temps bien lointaine. Il nous faut aujourd’hui en faire le voisin immédiat, car la dictature morale y a atteint un degré paroxystique dont on doit tirer profit afin de nous prémunir de toute contagion. C’est de notre santé qu’il s’agit tout autant que de la santé des Mauritaniens et du monde; en matière de pandémie, il n’y a pas de frontière ni de distance. Or, la viralité politique et surtout idéologique se mesure à la vitesse de la lumière.
Dans ce pays qui n’a que tardivement interdit l’esclavage et qui se targue d’être musulman, on vient d’édicter une fatwa horrible que tout musulman doit dénoncer, surtout en Tunisie. Le chef d’Ahbab Errassoul, secte qui n’a d’amitié avec le prophète que la prétention illégitime, a osé émettre une fatwa contre la vaillante militante des droits de l’Homme, présidente de l’Association des chefs de familles, Aminetou Bint El Moctar.
D’après ce fou, il serait licite en islam de verser son sang étant coupable d’apostasie en ne respectant pas les préceptes de la Loi islamique. Lisons l’horreur de cette imprécation contre l’islam authentique que le chef de la secte intégriste Ould Dahi se permet et qui doit révolter tous les vrais musulmans : «Aujourd’hui j’annonce avec la bénédiction d’Allah son apostasie pour avoir minimisé les atteintes à l’honneur du prophète. C’est une infidèle dont le sang et le bien sont licites. Quiconque la tue ou lui arrache les deux yeux sera rétribué chez Allah».
Ainsi, ce supposé musulman s’arroge non seulement le droit de défendre l’honneur du prophète, comme s’il était à la portée de n’importe quels agissements, mais il lui aussi porte atteinte ainsi qu’à celui de tous les musulmans en se comportant en criminel appelant au meurtre.
Rappelons d’abord que la fatwa en islam vrai n’est qu’un avis, un effort d’interprétation, jamais une loi, et que tout jurisconsulte musulman qui se respecte admet, en édictant une fatwa, ne faire qu’une tentative d’interprétation des préceptes de l’islam qui peut être aussi bien vraie que fausse.
Rappelons ensuite que le jugement humain est toujours incapable d’atteindre la sagesse divine qu’on ne peut comprendre en se limitant à appliquer textuellement le texte sacré, car ce dernier est forcément contingent; aussi est-il impératif de recourir absolument aux visées du texte.
Rappelons enfin que l’islam est d’abord une foi de paix, de clémence et de mansuétude, et que s’il comprend des textes pouvant paraître aujourd’hui inhumains, ils ne l’étaient point en leur temps, y étant même considérés pleins de mansuétude eu égard à la mentalité de l’époque, car obéissant à un esprit foncièrement de pardon. Aussi, c’est à cet esprit qu’il nous faut revenir aujourd’hui, sinon on viole notre religion.
C’est ce que fait l'auteur de cette fatwa de la haine qui ne peut reproduire les principes cardinaux de l’islam qui pardonne tout péché tant qu’il n’est pas celui d’associer à Dieu une autre divinité. À part ce seul péché, tout peut et doit faire l’objet de remise de faute en islam, car Dieu demeure le Clément, le Miséricordieux. Ceux des soi-disant musulmans qui prétendent le contraire ne font que s’ériger en nouvelles idoles en se substituant à Dieu dans ce qu’il a de plus exclusif : son droit de juger, de punir ou de pardonner.
Il est vrai, et c’est déjà rassurant, que des voix s’élèvent aussi en Mauritanie, même si elles restent assez inaudibles, pour fustiger ce qui n'est qu'une exploitation commerciale de l’islam, attentatoire à la paix civile. Or, ces voix doivent être renforcées en leur donnant de l’écho.
Aussi, en Tunisie où le parti islamiste et toute l’élite au pouvoir ou s’y bousculant prétendent être attachés à un État civil, on ne peut pas ne pas condamner l’horreur venant de Mauritanie. M. Ghannouchi en premier, se présentant en héraut de l'islam de paix, mais aussi M. Essebsi qui félicitait hier le nouveau pharaon d’Égypte et M. Marzouki qui a boycotté son investiture ou encore M. Ben Jaafar, se présentant comme l'auteur de la Constitution, doivent oser dire le plus fermement leur réprobation de cet affront fait à notre foi. C’est tout l’esprit de l’islam tunisien, démocratique et tolérant, qui sera ainsi conforté.
Car, en Mauritanie, plus proche de nous que jamais, des manifestants appellent à l’application de la peine de mort pour apostasie et propos sataniques. Si on ne réagit pas, coupant de suite la tête à une telle hydre, on verra demain le monstre prendre durablement possession nos seulement de nos rues, mais aussi de nos cerveaux au nom d’un islam bafoué.
Si l’horreur venant de Mauritanie commande de nos élites la dénonciation la plus véhémente d'une telle atteinte à notre foi, c'est qu'il y va et de l’honneur de la religion et du leur propre en politique.
Publié sur Leaders