Luttons contre le terrorisme qui est en nous!
Il est temps de le dire haut et fort, la conscience le mande et le devoir le commande : la Tunisie est sur un chemin qui ne mène nulle part.
Précisons tout de suite que j'emploie ici l'expression au sens heideggerien, à savoir que si le chemin parait une impasse, il n'en est rien; il est bien volontiers passant pour les bonnes volontés. C'est même un tel chemin ne menant nulle part en apparence qui mène loin, au-delà du réel où se trouve toujours le possible, mensongèrement qualifié d'utopie. Car aujourd'hui, c'est l'utopie, le rêve du commun des mortels, qui est l'intuition géniale du scientifique, source et aboutissement de tout acte utile.
Je dirais dans ce qui suit ce qui dérangera nos habitudes de pensée stériles, la bienpensance maîtresse des lieux, le politiquement correct étant un sport national au côté d'une fausse morale érigée pour le mieux en autocensure.
Coupure entre les élites et le peuple
La Tunisie est en roue libre. Elle est mal gouvernée par le sommet d'une pyramide mise à l'envers, la tête dans les chimères ou les turpitudes idéologiques surannées. La base de la pyramide est pourtant saine, ce peuple globalement paisible, altruiste, au bon sens infaillible. Aussi, s'autogère-t-il quotidiennement en moquant ses soi-disant représentants dans leurs guignolesques frasques.
Une telle coupure entre les élites proclamées et le peuple seul souverain et maître de son destin, aujourd'hui plus que jamais, n'est pas propre à la Tunisie. C'est même une constante anthropologique dont souffrent cruellement l'Occident en général et la France en particulier, modèle incontournable pour nombre de nos élites. Le dernier livre de Maffesoli brocardant les nouveaux bien-pensants dont nous avons rendu compte ici et sur les pages du magazine de janvier 2014 en est une éloquente illustration. Son succès phénoménal en librairie le prouve, d'ailleurs, amplement.
Cette coupure est d'autant plus évidente en Tunisie que la classe politique est squattée par des figures du passé, qu'il soit politique, idéologique ou même simplement humain, se limitant à l'âge vermeil alors que la société est juvénile. Cela aggrave la séparation d'avec le peuple en plaquant un «devoir-être» moralisant de ces adultes au «vouloir-être» des jeunes, qui ne peut en cet âge des foules que finir en «pouvoir-être». Le problème est que cela se fera malgré tout, mais alors dans les pires conditions. Et le terrorisme ne semble prospérer dans nos rues que parce qu'il est en quelque sorte l'ersatz d'une telle volonté de mourir de vivre; pensons-y !
Le vrai terrorisme est dans nos têtes
Le terrorisme n'a ni foi ni loi; c'est une erreur de le qualifier d'une épithète forcément réductrice, stigmatisant une obédience. Car le propre du terrorisme est de n'avoir pas d'idéologie; il est même le concentré du zéroïsme de sens, marque de notre époque postmoderne. Le seul lien commun entre des terroristes venant d'horizons divers, c'est leur dogmatisme. Celui-ci peut être religieux comme profane; il n'est pas moins inhumain dans les deux cas.
Il n'y pas loin du zoufri de nos rues, tantôt gavroche, parfois Robin des bois, tantôt faune et satyre, finissant en démon. Oublions-nous déjà que Satan n'est qu'un ange déchu? Aujourd'hui, le zeitgeist, cet air du temps irrépressible, est à la reconnaissance de la part du diable dans l'humain dont la racine étymologique, faut-il le savoir, plonge dans l'humus; de là à dire que la saleté est dans nos têtes, il n'y a qu'un pas que j'ose franchir.
La première règle à avoir à l'esprit pour lutter utilement contre le terrorisme et ne pas finir par l'alimenter c'est d'user de ce qui lui manque, l'humanité et l'éminente valeur de la règle de droit. Il ne sert à rien de vouloir «terroriser les terroristes» comme a pu dire trop légèrement un politique fanfaron français. Le terrorisme est comme l'Hydre de Lerne, ses têtes repoussent à force qu'on les lui coupe. Il nous faut donc agir comme Hercule qui finit par en triompher.
Comme la légende qui nous apprend que le héros finit par rendre mortelles les blessures infligées au monstre en trempant ses flèches dans son propre venin, il nous faut contrer le terrorisme en usant de son propre venin contre lui-même. Quel est ce venin qui a gagné subitement le corps sain de la Tunisie? C'est une dictature morale qu'on veut substituer à la dictature immorale du régime déchu.
Aussi, il nous faut au plus vite rompre avec les relents de dictature de l'État d'antan et sa fausse conception de la morale en abolissant toutes ses lois. C'est en défaisant l'arsenal juridique répressif de la dictature déchue qu'on commencera à purifier utilement les cerveaux de leurs tentations terroristes. Cela ramènera à l'État de droit et installera la confiance dans les esprits, on pourra alors envisager une possible repentance. Surtout si on veille aussi à sortir de la confusion actuelle des valeurs en optant pour un nouvel esprit islamique qui s'impose et dont je parle par ailleurs assez longuement.
Erreur sur le contenu de la démocratie
Le décalage actuel est mortifère entre des élites souvent cacochymes de par leur vision surannée de la vie politique et des jeunes pleins de vie versant volontiers dans les extrêmes, de la goujaterie au terrorisme.
Il nous faut reconnaître que les élections se suffisent plus à fonder une démocratie si elles ne se jouent pas au niveau local pour impliquer le peuple à travers ses réalités quotidiennes. Ce sont donc des municipales et des régionales à un scrutin personnalisant le rapport de l'élu à l'électeur et le responsabilisant qu'il faut pour refonder la démocratie devenue une coquille vide, juste pleine d'ambitions politiciennes.
Les partis ne sont plus la seule manière d'incarner les préoccupations populaires; ils en sont même la plus mauvaise. Ce sont les associations et les organisations de la société civile qui jouent aujourd'hui concrètement ce rôle. Aussi doivent-elles être substituées à des formations politiques qui ne sont que le tremplin de carrières et d'ego de professionnels d'une politique devant relever de l'amateurisme au sens premier du terme, cet art qui ne peut être galvaudé en métier juste bon pour être une source de profits, un métier alimentaire en somme.
Renouvellement de la classe politique et de son idéologie
Sur son blog, une voix digne de la lutte avérée contre la dictature, Om Ziyed a dit ce qu'on ne veut pas entendre : que les responsables actuels sont irresponsables et que le président du gouvernement dit de compétences n'est pas l'homme de la situation.
Certes, il nous faut des compétences comme lui pour espérer sauver le pays, mais des compétences qui agissent et non aux mains liées. De réelles compétences qui innovent en matière politique et idéologique, sortant des sentiers battus quitte à hanter les chemins qui ne mènent nulle part, ci-dessus évoqués.
Il nous faut donc un véritable Hercule politique pour sauver le pays. Or, cet Hercule n'est pas mythologique, il existe; il est la somme de nos concitoyens, ce peuple qui survit malgré tout. C'est à ce peuple que le pouvoir doit revenir au plus vite.
Il nous faut avoir la sagesse de reconnaître que le président actuel est inutile, qu'il ne sait que compliquer les choses, faisant courir au pays les plus graves dangers. Il nous faut admettre que l'assemblée actuelle, qui n'a pondu dans la douleur extrême une constitution potable que sous la forte pression de la société civile, n'est plus utile à un pays ne reconnaissant plus sa représentativité. On le voit avec le rejet dont sont l'objet les élus dans leurs propres régions.
Il nous faut avouer que notre morale est frelatée, qu'elle est supposée basée sur la religion quand elle n'en est qu'une lecture dépassée, fausse qui plus est. Un toilettage de nos lois se prétendant inspirées par la religion s'impose pour renouer avec l'esprit démocratique de la religion. Car celle-ci n'est nullement contraire aux droits et des libertés qui sont actuellement absents au nom d'une tradition religieuse frelatée, un fiqh qui a été utile pour son temps et qui ne l'est plus aujourd'hui.
L'idéologie politique à changer n'a pas que des racines mauvaises religieuses à enlever; elle en a aussi qui sont économiques relevant d'une conception surannée, devenue toxique. On ne peut plus se référer aux théories anciennes basées sur la financiarisation de l'économie; le modèle issu des vues de Ford et de Keynes est saturé; il est même devenu le problème majeur de l'économie mondiale. Un nouveau modèle est à inventer en ayant pour base une économie de distribution inclusive et de contribution impliquant toutes les capacités, y compris les plus humbles savoirs populaires; le modèle de «capacitation» proposé par le prix Nobel Amartya Sen est à méditer et à appliquer.
En usant des théories importées d'Occident où elles font la preuve chaque jour de leur ineptie, étant cause et effet de sa crise, nos élites ne font qu'user de ce qu'on appelait en Grèce antique un pharmakon, un remède en apparence qui n'est qu'un poison mortel. Or les Grecs enseignaient que lorsque le mal empire, on a recours au pharmakos, la méthode bien connue du bouc émissaire, celle-là même qui a donné hier son heure de gloire aux extrémistes en Europe.
Ne les imitons pas et retenons-nous de faire du terrorisme le bouc émissaire de nos turpitudes politiques; c'est ce que faisait déjà hier la dictature déchue. Et réalisons lucidement que de nos turpitudes actuelles et passées, politiques comme économiques et religieuses, le terrorisme n'est que la cause et l'effet !
Ayons du courage, innovons en politique, transfigurons-la! Le peuple souffre et la souffrance est la porte largement ouverte à tous les excès. Attaquons-nous aux vraies causes du malheur actuel de notre pays, ne pratiquons plus de langue de bois ni ne cherchons de vains boucs émissaires. Enlevons donc la poutre de nos yeux avant de dénoncer la paille dans ceux de nos prochains.
Surtout, soyons justes de voix et de voie. C'est bien plus qu'un mérite de notre part à l'égard de notre peuple qui mérite le meilleur; c'est une obligation ardente, un impératif catégorique.
Publié sur Leaders