Il est une vérité
qui doit être dite : le cannabis doit être dépénalisé, car il fait l'objet
d'une criminalisation absurde. Et d'abord, qu'il n'est pas plus dangereux que
la cigarette; alors, pourquoi ne pas interdire la cigarette si l'on est
vraiment motivé par des raisons de santé publique !
Tout simplement,
qu'il s'agit en la matière d'intérêts de lobbies puissants, économiques et
politiques, qui ont réussi un toilettage des cerveaux afin d'instaurer un ordre
moral sans fondement.
Voici la vérité sur
le cannabis ou encore marijuana, kif, takrouri et zatla afin d'aider les
consciences justes à prendre leur courage à deux mains et dépénaliser une
plante injustement criminalisée pour servir des intérêts mercantiles, mais nullement
la morale ou la santé des gens, et qui produit chez nous la délinquance au lieu
de la combattre.
Car la législation
actuelle en Tunisie, outre d'être devenue une fabrique de délinquants, est une véritable
industrie de destruction de notre jeunesse puisqu'elle est devenue une arme redoutable
entre les mains des politiques et des idéologues pour contrôler les consciences
libres et brimer les élans libertaires d'une jeunesse saine et révoltée.
Petite
histoire du chanvre
Le cannabis القنب بكسر أو ضم القاف وتشديد النون provient de la plante appelée
chanvre ou chanvre indien qui était connue et utilisée par l'homme depuis la
nuit des temps. Les civilisations asiatique et pharaonique le connaissaient
bien et l'utilisaient pour ses vertus médicinales. On le retrouve ensuite dans
le monde gréco-romain, utilisé aussi bien pour se soigner que pour les tâches
quotidiennes, puisqu'on tirait de la plante d'excellentes cordes à la
robustesse légendaires, notamment en mer sur les bateaux en plus de la voilure
des barques; et la plante servait aussi à la confection de vêtements. Aussi,
les champs de chanvre étaient-ils nombreux au Moyen-Âge occidental et leur
culture considérée comme stratégique, source d'utilités et de richesse.
En Arabie, le
chanvre n'était pas inconnu non plus, découvert à l'occasion de l'extension de
l'islam vers le monde chinois, importé dans la péninsule arabique en même temps
que l'industrie du papier. Aussi, sa culture fut-elle bien développée chez les
Arabes qui en ont assuré l'extension dans le monde méditerranéen avec l'arrivée
de l'islam en Afrique et en Europe. D'ailleurs, il ne serait pas faux de dire
que la civilisation arabo-islamique doit au chanvre son extraordinaire
extension puisqu'il était à la base du papier ayant servi de support aux
sciences et au savoir arabo-islamiques.
Certes, son usage comme
drogue n'était pas inconnu non plus, mais on en tirait surtout profit en
médecine comme anesthésiant de la douleur ou dans la vie quotidienne et
l'industrie du savoir.
Il est vrai que le
monde musulman s'est distingué par l'existence d'une secte qui en usa assez tôt
à des fins criminelles, appelée Assassins الحشاشين. Il s'agissait bien sûr de la fameuse secte du chiite
dissident Hassan Ibn AsSabbah qui fit du nid d'aigle d'Alamut, au nord-ouest de
l'Iran actuel, une base de son activité intégriste zélote et qui tint longtemps
tête à tous les pouvoirs officiels de la région jusqu'à la destruction de sa
forteresse inexpugnable par les Mongols lors de l'invasion de l'empire
abbasside.
Aussi, il ne fut
pas étonnant que pareille utilisation de la plante de chanvre, appelée depuis
Haschich الحشيش , ait été à l'origine de l'interdiction du cannabis en terre
d'islam. Ce le fut en Égypte, en 1378, et on vit alors les premières
persécutions des consommateurs. Ainsi, on voit bien le lien évident entre
l'interdiction et la politique, puisque l'exemple terrifiant d'Alamut
continuait de hanter l'esprit des politiques. On retrouvera cela de nos jours,
le chanvre étant considéré comme une marque contestataire évidente de l'ordre
injuste établi.
Interdiction
au service d'intérêts mercantiles
La base idéologique
était donc évidente dans les premières interdictions du cannabis. Elle l'est
encore plus dans celles qui le sont encore. Ce fut le cas, ainsi, aux États où
le courant puritain chercha à se rattraper de l'échec flagrant de la politique
prohibitionniste en matière d'alcool en vigueur dans le pays de 1919 à 1933.
En effet, face à la
popularité du cannabis durant ces années, on a commencé à établir un lien
exagéré entre consommation de cannabis et criminalité. On mit donc l'accent sur les ravages en
termes de santé de l'usage de ce que l'on commença à appeler marijuana,
omettant de noter que c'est l'usage exagéré, tout comme c'est le cas pour
l'alcool ou les cigarettes, qui devait être stigmatisé et non l'usage modéré ou
à but thérapeutique.
De fait, derrière
pareilles campagnes, il y avait non seulement des intérêts puritains, mais
aussi des secteurs industriels de plus en plus inquiets de la menace que les
usages multiples du chanvre entraînaient sur leur activité propre. Il
s'agissait notamment des industriels du coton, de la chimie, du pétrole, du
nylon et du bois ou les forestiers et les magnats de la presse dont le plus en
vue fut le très célèbre Hearst. Aussi vit-on sa très influente presse relayer
la campagne abjecte contre le chanvre indien, trempant facilement dans le
racisme en considérant l'usage du cannabis comme une pratique dégénérée propre
aux noirs américains.
Pour toutes ces
industries, le chanvre constituait une menace sérieuse. En tant que produit
naturel et peu coûteux, il contrecarrait les intérêts de l'industrie textile
avec ses fibres, naturelles comme le jute, ou surtout synthétiques tel le
nylon. Il concurrençait surtout l'industrie forestière et celle du papier,
axées sur l'usage intensif du bois au risque de déboiser la planète et lui
faire courir les plus graves dangers environnementaux.
Mais cela comptait
peu aux yeux des égoïsmes mercantiles des industriels qui réussirent ainsi à
tuer les usages industriels du chanvre malgré leurs bienfaits et leur respect
de l'écosystème. Puis, l'impérialisme américain aidant, la mentalité anti
chanvre gagna le monde; on vit donc l'anathème tomber sur le chanvre un peu
partout sur la planète. Et comme toujours, on ne fit qu'instrumenter la morale
et la santé au service des intérêts matériels des gourous de l'économie et de
la finance mondiales.
Le chanvre en
symbole contestataire
Il est une
constante anthropologique connue que la vérité et le mensonge sont les deux
fléaux d'une balance, et l'activisme citoyen fait pencher l'un ou l'autre fléau
dans un sens ou dans un autre. Un tel activisme salvateur vint du lieu même qui
fut la cause de l'anathème injuste que subit le chanvre.
En effet, ce furent
surtout les artistes américains, notamment de cet art majeur qu'est le jazz,
qui plaidèrent de la meilleure façon la cause du cannabis dans les années
cinquante. Le cannabis devint alors la marque éminente d'une contre-culture,
une contestation de l'ordre établi et de la dictature morale des institutions.
Bien sûr, la jeunesse, comme c'est toujours le cas, œuvra énormément pour le
rétablissement de la vérité tout en payant le plus lourd tribut. Et ce fut
l'honneur du mouvement hippie.
Aussi, cela influa
sur les mentalités aussi bien américaines que dans le reste monde, sapant les
fondements prétendument moraux de l'interdiction. Petit à petit, sous la
pression sociale, les législations ont donc changé après celle des mentalités,
et le cannabis retrouva son honneur perdu en se voyant décriminaliser un peu
partout dans le monde. Et ce ne fut que justice !
En tant que symbole
contestataire, le chanvre est aujourd'hui au cœur de la révolte de la jeunesse
dans le monde arabe figé sur des institutions dépassées et des lois vermoulues
ne servant point l'intérêt de la société, mais ceux de gouvernants coupés de
leur société.
Aussi, la bataille
de la dépénalisation du cannabis dans le monde arabe, mais surtout en Tunisie
et au Maroc, pays à la tête du mouvement, est-elle l'essence même de la
démocratie et de l'État de droit qu'on veut y instaurer.
Nécessaire
dépénalisation en Tunisie et au Maroc
Dans les pays du
Maghreb, notamment en Tunisie et au Maroc dotés de constitutions à la pointe du
progrès en matière de droits et des libertés, même si elles demeurent lettre
morte, la dépénalisation s'impose plus que jamais. En effet, ces deux pays sont
gouvernés par des équipes politiques à orientation islamique; et c'est toujours
le cas en Tunisie, malgré le gouvernement
supposé de compétences qui n'use pas de sa compétence en dehors de
lignes rouges arrêtées par le parti islamiste, condition de son retrait du
gouvernement.
Or, il faut
rappeler qu'en islam, quand le ratio intérêt/inconvénient de la loi religieuse penche
en faveur des inconvénients, il y a urgence à ne pas appliquer la loi qui doit
être, sinon tout bénéfice, du moins majoritairement bénéfique au croyant.
Et il n'est plus
besoins de démontrer que les lois actuelles sont majoritairement néfastes,
puisqu'elles créent la délinquance au lieu de la réduire. Nos prisons sont
aujourd'hui surpeuplées avec une forte présence de simples consommateurs —
occasionnels qui plus est — n'ayant eu que le tort de griller un joint. Au nom supposé
de leur intérêt, on brise leur vie en les enfermant pour un temps suffisamment
long au milieu de vrais délinquants, augmentant leur rejet d'une société
injuste et en faisant des apprentis dociles pour les vrais délinquants.
Certes la situation
entre le Maroc et la Tunisie n'est pas similaire, le premier étant un pays
producteur alors que la Tunisie n'est même pas un pays véritablement de
transit, mais juste de consommation, et encore à faible degré de dépendance. Toutefois,
dans les deux pays, la répression reste le mot d'ordre, mais si elle est
outrancière en Tunisie.
Ainsi, au lieu de
se concentrer sur les vrais délinquants, ceux qui trafiquent et qui sont de
gros bonnets occultes intouchables, on réprime la face apparente et
insignifiante du phénomène qui ne concerne que d'innocentes victimes.
De plus, si au
Maroc une cure de désintoxication, dans l'hypothèse de dépendance, permet
d'arrêter toute poursuite pénale, ce n'est nullement le cas en Tunisie où la
loi héritée de la dictature maintient une sévérité quasiment terroriste; car si
la cure est prévue, elle est de pure forme, ne permettant de faire obstacle aux
poursuites qu'avant la découverte par les autorités des faits. Autant dire
qu'une telle cure n'a aucune chance d'être mise en œuvre; ce qui est confirmé
dans les faits au grand dam des activistes en matière de lutte contre la
toxicomanie.
Aujourd'hui, toute
véritable volonté sincère, notamment en Tunisie — pays de répression absolue en
la matière — ne peut qu'agir en vue de la dépénalisation de la consommation de
cannabis, la loi ne devant réprimer que le trafic et les organisations
criminelles sinon elle est illégitime.
Il faut d'urgence
vider les prisons des victimes innocentes de la loi scélérate de l'ancien
régime et déclarer un moratoire dans son application en attendant de réformer
la législation liberticide de la dictature.
Que la dernière
affaire de l'activiste Amami serve donc à quelque chose ! Que nos autorités se
réveillent de leur léthargie criminogène en commençant la réforme nécessaire de
notre législation par l'abolition de la loi illégitime en matière de
stupéfiants.
Ils ne feront que
suivre le mouvement général dans le monde vers une dépénalisation du cannabis.
Au Maroc, déjà, on examine la légalisation dans un but thérapeutique. Entamons enfin
la véritable révolution en expurgeant notre législation de tout ce qui la vicie
de l'héritage de la dictature. C'est ainsi et ainsi seulement que l'on
s'honorera et qu'on honorera l'esprit de la Révolution. Sinon, on ne tardera pas
à avoir la jeunesse du pays — or la Tunisie est jeunesse ! — contre des
gouvernants autistes.
Tribune publiée sur Nawaat