Respecter la constitution, disent-ils; chiche !
Il faut respecter la constitution ! Voilà le mot d'ordre de tout
un chacun se voulant légaliste dans ce pays, répétant à l'envi cette évidence de
la nécessité absolue du respect de la constitution. Toutefois, cette pétition
de principe, comme toute attitude humaine, même la plus scientifiquement
soignée, ne saurait échapper au conditionnement idéologique des uns et des
autres et à la déformation orientée à visée politique, sinon politicienne.
Aussi, ne serait-ce que pour nous rappeler de la fable en nos
temps d'affabulation régnant en maîtresse, il nous faut toujours nous demander
qui parle et pourquoi il parle; que veut-on dire en appelant au respect de la
constitution, où veut-on aller?
Saturation de l'esprit archaïque de la démocratie
En effet, on nous dit que la constitution doit être respectée dans
sa lettre supposant la tenue d'élections nationales avant la fin de l'année. Or,
on cache à peine une folle envie de retrouver le pouvoir au plus vite pour
renouveler une légitimité épuisée.
À leur secours viennent des spécialistes assurant que ne pas tenir
les élections ainsi que le prévoit la constitution, c'est violer non seulement
sa lettre, mais aussi son esprit, dans la mesure où les élections sont la
preuve de la souveraineté populaire et de la démocratie.
Or, en cela, ils se trompent et ne trompent plus personne. Car, le
mécanisme électoral n'a jamais été une preuve suffisante de la démocratie, à peine
d'une démocratie minimaliste se réduisant à une coquille vide. D'autant plus
qu'avec le scrutin de liste choisi, c'est la loi des grands partis qui
s'imposera et non celle du peuple. Or, on a expérimenté la loi des partis et
elle a échoué lamentablement.
En Tunisie, seul le scrutin uninominal est adapté à la situation
du pays. Il est certes à améliorer, en le rationalisant par des mesures
coercitives s'imposant à l'élu aussi bien en termes de contrat de mission que
de l'obligation de se présenter en trio impliquant à la fois la féminité et la jeunesse nécessaires.
Voilà ce qui traduirait vraiment en Tunisie la volonté populaire et une volonté
sincère de démocratie.
C'est qu'une démocratie qui se respecte ne peut plus être
autrement que participative; or, ce ne sont pas des élections législatives ou
une présidentielle qui y pourvoiront, car celles-ci servent les ego personnels
des candidats, des professionnels de la politique, des mercenaires qui ne
manquent plus dans notre paysage politique. Aussi, le vrai intérêt du peuple se
trouve dans des élections locales et régionales, au plus près de ses
préoccupations quotidiennes.
Nécessité d'un nouvel esprit démocratique
Mais soyons honnêtes en répondant à la question suivante : est-ce
vraiment respecter la constitution qui consacre de nouveaux droits et des
libertés en les gardant à ce jour lettre morte? Ne serait-on pas plus crédible
en appelant d'abord à suspendre l'arsenal juridique répressif de l'ancien
régime qui est toujours en vigueur avant de procéder à quoi que ce soit de
politique susceptible d'envenimer la cause des droits et des libertés dans le
pays?
En effet, il y a fort à parier que les nouveaux dirigeants, forts
de leur soi-disant nouvelle légitimité, continuent à ignorer l'esprit de la
constitution et à se couler dans le moule de l'arsenal juridique de la
dictature.
Il est bien évident que tous ceux qui prétendent parler de
légalité et d'intérêt de la patrie en se focalisant sur les élections ne
pensent qu'à leurs intérêts, à travers ceux de leurs partis. En cela, il est
vrai, ils sont logiques à eux-mêmes puisqu'ils croient que la démocratie c'est
le système des partis.
Or, ce n'est plus vrai. Cela
a représenté un moment de l'histoire de l'Occident qui a pris fin, la
démocratie aujourd'hui y étant devenue la loi des combinazione. Et c'est ce
qu'on veut nous refiler, le rebut d'un système qui ne marche plus au lieu que
nous inventions quelque chose de nouveau, dans l'air du temps.
Tous ceux qui se réclament de la démocratie dans sa formulation purement
électoraliste ne sont guère meilleurs que les religieux salafis qui relèvent
d'une vision anachronique de l'islam. Les deux sont des intégristes; mais les
uns en religion, les autres en politique.
Ce dont a besoin la Tunisie c'est d'un véritable esprit aussi bien
politique que religieux. C'est cela être révolutionnaire. Alors, soyons
vraiment révolutionnaires en arrêtant de cultiver notre ego par l'appel à des
élections inutiles aujourd'hui; ou alors appelons à des élections municipales
et régionales!
Laissons donc nos compétences nationales travailler tout en
renforçant leur champ d'action avec la généralisation de ce principe à tous les
rouages de l'État. C'est cela aussi la révolution, mais cette fois-ci par le
haut.
L'esprit de la démocratie en Tunisie
Avant l'acquis électoral, il y a l'acquis des droits et de la
liberté; et c'est aux lois scélérates de la dictature qu'il faut s'attaquer en
premier, car on a continué de s'en servir au nom de la démocratie. Et avec des
élections à organiser au plus vite, on cherchera moins à créer un esprit
démocratique dans le pays que de renouer avec l'esprit de la dictature.
Qu'on commence donc par mettre en pratique les acquis de la
constitution en termes de droits et de libertés, c'est la priorité des priorités
pour la démocratie; on parlera après des élections, qui sont bien secondaires
par rapport aux normes devant régir effectivement le pays, y créer une
tradition de démocratie.
Aujourd'hui, le prétexte du respect de la constitution dans sa
forme pour précipiter les élections selon le plus mauvais système électoral qui
soit ne sera qu'une manœuvre politicienne assurant le retour au pouvoir des
caciques des grands partis au moment même où nos compétences nationales s'affairent
à redresser le pays.
L'œuvre de revitalisation est longue, et on veut la torpiller. Où
est le patriotisme dans tout cela? Si l'esprit révolutionnaire n'est pas dans
le retour à la santé du pays au plus vite, où serait-il? Certainement pas dans
l'organisation formelle d'élections dans un cadre juridique violant d'une façon
encore plus flagrante la constitution.
Prétendre nécessaire et obligatoire l'organisation des élections
avant la fin de l'année relève bel
et bien d'une action contre l'esprit de la démocratie. Être démocrate et même révolutionnaire
aujourd'hui, c'est conforter le nouvel esprit démocratique qui est bien mieux
incarné en Tunisie par des compétences apolitiques à tous les niveaux pour
diriger le pays que par les militants des partis.
Stop donc à la politique politicienne ! Il suffit d'instrumenter le
droit au service des ambitions politiciennes ! Redressons d'abord notre pays
avec abnégation, sérieux, honnêteté et compétence(s).
Si toutefois on tient absolument aux symboles et si on veut
absolument des élections, qu'elles soient alors locales; organisons plutôt des
municipales ! Quelle belle démocratie que celle qui est exercée à la base, par
le peuple gérant ses affaires! C'est ainsi qu'on sert le peuple et non l'ego de
ceux qui ne veulent pas être ses serviteurs, mais ses maîtres.
Or, même en politique, le temps des seigneurs est fini. Le peuple est
maître de sa destinée, aujourd'hui, non pas les partis; et les représentants
véritables du peuple ne sont que les compétences apolitiques servant la patrie
et non leurs partis.