De l'esprit des compétences en démocratie
La Tunisie a fait le choix des compétences neutres en politique,
et elle a eu raison. Il lui faut persévérer dans une telle voie, ne pas en
faire juste un biais pour revenir à la détestable manière antique de faire la
politique. En effet, même en démocratie avérée, le système partisan est
désormais obsolète pour incarner un pluralisme sain et utile, les partis étant
déconsidérés comme véhicules de la diversité et l'assurance pour un développement
social durable.
Une congruence avec les masses populaires
Qu'est-ce à dire, sinon que les convictions idéologiques ne
doivent plus être affichées au détriment des impératifs généraux politiques et
sociaux. Dans des pays encore en développement, cela relèverait au mieux du
luxe, mais souvent de la diversion, sinon la division, face aux défis énormes
du renouveau économique et social, surtout juridique et de la pratique
politique.
Aujourd'hui, la ligne de démarcation entre les idéologies n'est
plus aussi nette qu'avant, un parti supposé de gauche pouvant avoir une politique
de droite et vice-versa. ET ce n'est plus l'idéologie qui nourrit les masses
éveillées à leurs intérêts immédiats
En Tunisie, pays en pleine dynamique pour la rénovation tous
azimuts, où le droit peine encore à refléter l'évolution énorme des mentalités
populaires, le politique doit être en parfaite congruence avec l'état réel de
la société. C'est cela la compétence neutre ! Et elle gagne à être généralisée
à tous les centres de décision dans le pays.
Une humilité dans le savoir
En notre époque, il n'est plus de recettes uniques et définitives
pour le développement, les sciences économique et politique se réduisant le
plus souvent à un bricolage de techniques, soit déjà obsolètes, soit de
circonstance, et imposées par les urgences du moment.
L'esprit scientifique n'est-il pas celui qui ne se montre jamais
dogmatique, prétendant avoir une illusoire science infuse, mais demeurant
toujours ouvert à la contradiction du nécessaire fait polémique venant remettre
en cause ses convictions? Cela est déjà vrai en sciences dures; que dire pour
les sciences par définition instables comme celles ayant trait aux réalités
nécessairement mutables, sociales et humaines?
En politique, le vrai savoir est une sorte de «ça-voir», cet art
de voir ce qu'est la société telle qu'elle est, non pas telle qu'elle devrait
être ou, pour le moins, telle qu'elle pourrait être.
Le respect de l'altérité
Dans les pays en voie du développement de l'État de droit, bien
plus qu'ailleurs, le respect d'autrui, cet autre qui est différent —
politiquement, mais non seulement — est une obligation sacrée. Or, ce respect
doit imposer, en politique, le recours au différent qui est compétent afin que
le service rendu au pays soit le plus large; c'est ce que la division classique
en obédiences partisanes interdit.
C'est l'altérité même, une notion capitale en démocratie, qui
commande de tourner la page du système des partis qui fut considéré comme étant
la définition même de la démocratie et qui est aujourd'hui sa négation.
La démocratie vraie s'incarne de plus en plus hors du politique,
dans la société civile avec sa diversité idéologique assumée et ses visées
authentiques de développement durable inclusif.
Les promesses de l'expérience tunisienne
Le génie tunisien ayant su enfanter la formule du Dialogue
national, il serait néfaste pour le pays de ne pas tirer toutes les
conséquences et les avantages que cet esprit de pratique politique nouvelle
autorise, sinon commande.
Et d'abord, d'oser innover par la refondation de la démocratie, en
faisant véritablement l'art du service du plus grand nombre par le plus grand
nombre. Or, cela ne saurait se faire que lorsqu'on ne se réclame plus d'une
obédience, d'un parti dont l'esprit même est réducteur, exclusif, excluant
l'autre, même celui qui est bien plus compétent que soi.
C'est en tant que compétence avérée, en politicien apolitique,
qu'on peut le mieux — et peut-être désormais uniquement — servir aujourd'hui en
politique. C'est en tout cas la vérité qui s'impose en Tunisie.
Notre pays est déjà sur la bonne voie; qu'il continue donc à
progresser en tournant le dos à la politique à l'antique! Qu'il tire toutes les
conséquences de l'esprit des compétences en démocratie; il n'ira que dans le
sens de l'histoire.
Publié sur Leaders