La dernière carte de Moncef Marzouki
Celui qui se présentait en militant invétéré des droits de l'Homme
a montré depuis son accession à la tête de l'État que les valeurs qu'il
affichait n'étaient qu'au service d'une unique obsession : le pouvoir.
À cette fin, il a mis une intelligence certaine, dévergondant la
juste intuition de la symbiose possible en islam politique entre les racines
spirituelles et l'exigence démocratique, cet enracinement dynamique que devait
représenter l'esprit d'origine du CPR.
Or, ce parti s'est révélé être une illusion, un clone de la part sombre
du parti islamiste, n'ayant servi que de marchepied pour l'accession au pouvoir
de son chef et ses ambitions. Et pour les militants des droits de l'Homme qui
ne pardonnent pas, Carthage est déjà la Roche
Tarpéienne pour qui est coupable de l'instrumentation de leurs valeurs, à
ses fins propres.
Une présidence Castafiore
Dans la bande dessinée Tintin du Belge Hergé, le personnage de la
Castafiore est celui d'une cantatrice de renommée internationale dont la
caractéristique majeure est d'avoir une voix puissante qui fait fuir tous ses
amis, son art vocal leur échappant. Tintin, qu'elle propose de prendre en
auto-stop dans l'un des épisodes de ses aventures, préfère continuer à pied son
long chemin que d'avoir à subir sa voix.
Ainsi, réagissent de plus en plus aujourd'hui ceux qui ont fait un
bout de chemin avec Marzouki, préférant continuer sans lui leur militantisme
pour les droits de l'homme. Cela risque aussi d'être le cas pour la Tunisie en
voie de démocratisation. Ils ne se comporteront que comme le fidèle compagnon
de Tintin, le capitaine Haddock, sur lequel la cantatrice a pourtant jeté son
dévolu; il a une particulière aversion pour son type d'air d'opéra; et elle
n'est pour lui que la Castafiole ou la Castapippe.
Cette représentante caricaturale du bel canto, qui aurait été
inspirée par une véritable soprano américaine chantant faux, résume bien les
deux années de présidence de Marzouki faite de convictions fausses, d'annonces
tonitruantes sans contenu réel et d'une agitation politique castratrice pour
les valeurs.
Cela est devenu encore plus évident avec l'initiative malheureuse
du livre noir qui paraît faire définitivement du locataire provisoire de
Carthage, ainsi que l'a dit une ancienne secrétaire d'État en France qualifiant
sa collègue au gouvernement de Castafiore, quelqu'un qui « énerve tout le monde et (que) le monde fuit ».
De fait, en entrant à Carthage en décembre 2011, celui qui fut le
militant Marzouki réalisait ce dont il semblait avoir rêvé toute sa vie, en
tout cas depuis avoir remis les pieds en Tunisie après la Révolution du peuple.
Il y est rentré avec la détermination de prendre Carthage comme on prendrait
d'assaut un char d'ennemi en guerre. Cet ennemi fut son militantisme d'antan !
Tintin à Carthage
Assurément, c'est par une interjection que répondra l'histoire sur
le bilan du président Marzouki en matière des droits de l'Homme : tintin ! Jugeons-en
succinctement en points illustratifs quelques-uns de ses péchés capitaux :
L'abolition de la peine de mort, une cause supposée éminente pour lui et pour
son parti. Il ne fit rien pour l'insérer dans la Constitution.
L'alignement sur les vues de Nahdha qui n'était pourtant qu'un colosse aux pieds
d'argile, tirant sa force de la faiblesse de ses partenaires. Outre la peine de
mort, il n'eut aucune difficulté pour imposer ses vues économiques
ultralibérales.
Le conservatisme supposé de la société tunisienne est le pari de M. Marzouki. Tablant dessus, en
faisant un dogme, il a accepté les lubies de son partenaire au prétexte qu'il
avait le poids écrasant pour imposer ses vues. Obnubilé par le conservatisme
supposé du pays et se trompant sur l'aura du parti islamiste, M. Marzouki n'a
pas eu de peine de mettre sous le boisseau ses valeurs supposées.
Le maintien des lois liberticides de l'ancien régime. Les fondements déclarés universalistes et démocratiques
de son parti étaient un leurre ou des valeurs d'origine reniées une fois au
pouvoir, M. Marzouki s'adaptant à la vision liberticide de Nahdha. Celle-ci
s'est coulée le plus naturellement du monde dans le moule de l'ancienne
dictature, usant de son arsenal juridique pour réaliser son rêve d'un tour de
vis moral et idéologique pour le pays.
Requiem pour une ambition
Le roi est nu aujourd'hui, délaissé par ses plus proches
collaborateurs après les premiers compagnons et les amis déçus. Aujourd'hui, il
ne reste qu'une seule carte à Moncef Marzouki s'il souhaite se défaire du
tableau de Dorian Gray implanté en sa conscience, qui lui rappelle à tout
instant que l'image qu'il donne de militant est fausse et ne trompe plus.
Ayant toujours eu la prétention d'influer sur la destinée du pays,
il a la possibilité de le faire avec une carte maîtresse, la dernière qui lui
reste. Bien l'employer sera un réel déchirement, signifiant le total reniement
de ce qu'il est aujourd'hui; mais cela lui permettra de retrouver ce qu'il n'a
pas été, ce qu'il aurait pu et dû être. Comme une pénitence sincère, elle
consiste à répudier ce pouvoir sur lequel s'est édifiée toute sa stratégie
politique pour revenir humblement et véritablement au militantisme pour les
droits de l'Homme.
S'il veut être responsable, M. Marzouki n'a que le choix de
démissionner en demandant le même acte au président de l'Assemblée nationale,
lequel n'avait d'ailleurs pas exclu de le faire, le conditionnant par celle du
président de la République. Ce faisant, il ouvrira la voie au Dialogue national
afin d'élargir le principe des compétences à toutes les têtes de l'État. Ainsi
se sauvera-t-il in extremis, rendant service à son pays au détriment de ses
ambitions personnelles.
Ainsi sera-t-il cet homme dont parlait Rudyard Kipling dans son
célèbre poème If, celui qui peut voir détruit l'ouvrage de sa vie et sans dire
un seul mot, se remettre à rebâtir. Pour M. Marzouki, cela ne saurait être que
sur le terrain, auprès des humbles dont il a toujours prétendu faussement en
relever. Il sera alors enfin dans le vrai, quêtant et y retrouvant peut-être
une possible virginité politique.