Rappel d'amères vérités avant une probable réplique
révolutionnaire
Il est des
circonstances et moments où se taire est le pire crime, le silence étant alors
non seulement complice, mais aussi coupable que le forfait. C'est pour éviter
ce que les grands partis cuisinent en douce, un véritable forfait pour
l'essence même de la Révolution, que je lance ce crime d'alarme.
Élites déconsidérées,
mais une active société civile
Toutefois, y a-t-il
eu révolution pour nos élites ? À lire les propos ahurissants de celui que la
politique éloigne du b.a.-ba du savoir universitaire, le plus proche conseiller
du président de la République, on mesure à quel point nos élites sont désormais
coupées du peuple. Elles ne sont intéressées que par le pouvoir, oubliant que
le vrai pouvoir est désormais le peuple, ou si l'on préfère les foules. Or, on
est à l'âge des masses et elles se chargeront de le rappeler aux oublieux le
moment venu. Qu'ils y prennent garde !
C'est la société
civile qui permet justement de dire ce qui précède, donnant à la fois la mesure
de la gravité de la situation et de la possibilité d'éviter encore le pire.
Notre société civile est la mieux placée aujourd'hui pour incarner le pouvoir
du peuple, car elle n'en est pas coupée. Aux politiques donc de faire montre de
plus d'humilité en lui donnant davantage de pouvoir, en la substituant aux
partis déconsidérés, tout comme leurs chefs imbus de leurs ego. Qu'on organise
au plus vite des assises de la société civile et qu'on envisage de leur transférer
en toute légalité le pouvoir local sinon régional ! Sinon, le peuple finira
certainement par le leur donner dans les pires conditions.
Révolution continue
dans les esprits
Il ne faut pas se tromper; il suffit d'être à l'écoute du peuple et aller le voir survivre à peine dans les localités les plus déshéritées : une réplique de la révolution couve; ce sera un second coup du peuple qui emportera les soi-disant élites actuelles qui ont prouvé leur nombrilisme.
Le parti islamiste a
échoué et il n'a quitté en apparence le pouvoir que pour assurer un retour,
doté d'une nouvelle légitimité, pour imposer une lecture toujours obscurantiste
de l'islam, même s'il en atténue les aspérités. Usant d'un langage double, il
ne fait que de la rhétorique politique, d'autant que la langue arabe le permet
à merveille, donnant au même mot le sens et son contraire.
Or, le peuple ne veut
plus ni de langue de bois ni de langue fourchue. Il a faim de sincérité, de
parole de vérité, d'une voix qui soit juste sur une voie de justice pour tous. Que
l'on regarde donc notre paysage politique, juridique et même intellectuel !
L'assemblée abrite les meilleures comédies d'opéra bouffe digne des pires
dictatures, le comique le disputant au tragique grâce au vernis révolutionnaire
dont les faux apôtres tiennent à se draper. Mais la femme de César peut-elle
donner ce qu'elle n'a pas?
C'est d'autant plus
scandaleux que l'arsenal répressif de la dictature est toujours en vigueur en
contradiction violente avec les droits et libertés arrachées dans la
constitution par le dynamisme de notre société civile, et qu'on tient à laisser
lettre morte. Que dire aussi de nos intellectuels qui ne savent pas être
organiques et qui, s'ils ne singent pas un Occident en déclin, rêvent d'un
Orient mythique, faisant totale obscurité des lumières d'une brillante
civilisation islamique ?
Si notre bienpensance
occidentalisée dénonce avec raison l'obscurantisme et les dérives d'une pensée
islamiste déconnectée des réalités, elle ne fait pas moins montre d'un dogmatisme
aussi pernicieux dans le sens opposé. La voilà qui rallie aujourd'hui ce qu'on
présente comme la seule alternative au conservatisme politique, le parti de M.
Caïd Essebsi qui n'est pas moins conservateur. Demandons-lui ce qu'il pense des
lois liberticides punissant à tort des faits de société et des mœurs, et ce
juste au nom de leur hétérodoxie et d'une supposée tradition sociale dont ils
dénoncent les aspects politiques, mais taisent — ce qui est bien plus grave —
les manifestations juridiques répressives.
Réinvention
nécessaire de la démocratie
Aujourd’hui, il est
beaucoup de gens qui ne veulent pas d’une vraie démocratie en Tunisie au
prétexte que l’islam n’est pas démocratique. C’est faux, car l'islam a été une
démocrate dès le début; ce sont des musulmans autoritaires, servant leurs
intérêts égoïstes, qui en ont altéré le message; et ils veulent continuer
aujourd’hui. Même le parti supposé islamiste se rallie à cette conception
autoritaire de l'État pour imposer ses vues heurtant l'islam authentique,
tolérant au point d'être libertaire. Ceux qui se présentent comme des
islamistes modérés ne le sont en rien, cachant une intention maligne, ennemie
des libertés, se référant bien plus à une tradition judéo-chrétienne qu'à
l'islam.
Celle-ci, rejetée
désormais par les siens à la faveur de la démocratie, s'était infiltrée en
islam, et c'est elle qu'ils honorent, faisant par exemple des musulmanes des
nonnes et des musulmans les adeptes de la violence et de la haine. Au-delà d'un
discours lénifiant qui ne trompe plus personne, ils altèrent le message
véritable de l’islam qui n'est ainsi plus de paix et d'amour, mais un rejet
d'autrui, pure cruauté. De fait, ils l'assimilent au message d’autres religions
qu'il est pourtant venu rectifier, message caricaturé par les zélotes de ces
religions aussi avides du pouvoir terrestre qu'eux au point qu'ils ne veulent
plus lâcher les commandes d'un État asservi à des visées manichéennes.
Le combat à mener
aujourd'hui en Tunisie est entre un islam officiel liberticide et
antidémocratique et un islam populaire véritable et même libertaire. C’est
l’intention qui compte en islam; or, pour nombre de nos islamistes, c’est
l’apparence dont ils font une idole.
La véritable urgence
aujourd'hui consiste à délaisser ces questions métaphysiques qui n'intéressent
pas le peuple et faire en sorte de le ramener à la politique en délaissant la
saugrenue idée d'élections législatives et présidentielle avant la fin de
l'année. Ce sont des élections municipales et régionales qu'il faut en premier
en Tunisie. Et c'est un mode électoral adapté aux réalités du pays qu'il faut,
revitalisant la démocratie participative, directe et citoyenne, moyennant un
scrutin uninominal doublé d'un contrat de mission s'imposant à l'élu qui rendra
compte de son exécution, car l'élu doit rester au service de ses électeurs
toujours aux aguets de ses agissements.
Retour obligatoire à
l'esprit de l'islam
Ceci n'est qu'un
rappel, le devoir de tout musulman étant de rappeler la vérité foulée aux pieds
par ceux qui prétendent défendre l’islam, en faisant une religion obscurantiste,
alors qu’il a été et restera d’abord une révolution mentale. Surtout lorsqu'on
voit faire d'une belle foi bien plus qu’une marchandise, un vil commerce.
À tous mes contacts réguliers
avec la Tunisie profonde, ce pays du bas dont on se soucie si peu ou alors en visites
folkloriques politiquement instrumentées, j'entends le peuple se plaindre de
ses gouvernants, tout en rappelant une fibre spirituelle n'est plus à
démontrer, À ces élites, celles surtout qui parlent d'islam, j'ai eu souvent des
jugements terribles que je traduis le plus fidèlement par ces exhortations : Repentez-vous en étant
véridiques, en donnant l’exemple du musulman qui est d’abord juste avec autrui
s’il ne l’est pas avec lui-même. Abolissez les idoles que vous adorez en vous
en lieu et place de notre Dieu Clément et Miséricordieux, car vous n’adorez
ainsi que le Dieu de la Bible vindicatif, haineux et intolérant.
J'y rajouterais le
produit de mes propres investigations, à savoir que nos islamistes prétendument
modérés donnent le plus mauvais exemple de leur religion en se montrant
injustes, usant de mensonge, qui est la parole du diable, se passant pour un
ange, finissant par salir l'esprit démocratique d'une religion dont l'éthique y
est conforme.
Mais la vérité ne dérange
pas que les obscurantistes; elle n'est pas non plus en odeur de sainteté chez
les démocrates dogmatiques. Il en est ainsi du fait que l’islam est le sceau
des révélations, que ses préceptes sont éternels, valables en tous lieux et
pour tout temps; ou celui que notre foi est à la fois une religion et une
politique, gestion de la cité au meilleur.
C'est cette dernière
vérité qui impose l'évidence que si le dogme en islam est intouchable, ce qui
touche à la vie quotidienne des croyants relève de leur souverain intérêt,
qu’ils sont libres de déterminer et d’adapter selon l’évolution des mœurs et de
la raison humaine bien imparfaite par rapport à la sagesse divine. C’est pour
cela qu’il est deux règles fondamentales en islam qu’on bafoue : la première
tient compte des circonstances de la révélation; la seconde impose de ne jamais
négliger les visées de la Loi religieuse. Or, chez nous, religieux et laïcs
communient dans le rejet de cette vérité.
L'islam tunisien est dans ses visées
Ce ne sont pas que
nos musulmans politiques qui n'en ont cure. Ainsi, pour prendre un exemple
récent, on a vu les uns et les autres — même si ce fut à divers degrés —
manquer de mettre le feu au pays pour une fausse question d'un prétendu voile
islamique et qui ne l’est nullement puisqu’il est bien attesté dans d’autres
cultures, faisant même l’objet de commandements dans la Bible, qui n’existent
pas dans le Coran. Le voile, en islam, n'a été que la manifestation d’une adaptation
aux mœurs dominantes, l’une de ses raisons ayant été qu’à l’époque, une femme
libre se couvrait pour ne pas être prise pour une esclave.
En la matière, comme
en d'autres, il nous faut revenir à la visée du texte coranique et du Hadith,
jamais à la lettre seulement; car l’esprit du Coran est aussi sacré que sa
lettre, et même bien plus. Sinon, nous serions amenés à rétablir l’ablation de
la main et l’esclavage !
Le plus grave, c'est qu'il
y a eu et il y a toujours une terrible confusion entre nudité et lubricité,
pudeur et pruderie et ce de part et d'autre et non seulement du fait de nos
politiques ayant des références islamiques explicites. C'est qu'on a affaire,
en l'objet, à des cryptoreligieux profanes qui n'osent pas accepter que la
nudité, pour la prendre en illustration, ne soit pas nécessairement choquante
quand elle ne relève pas de la pornographie. Ils n'acceptent surtout pas ce que
fit Amina à Paris, lors de la journée de la femme, c'est-à-dire qu'une nudité
soit utilisée en instrument de combat. Or, un tel combat ne peut qu’être
encouragé par une religion comme l’islam qui est d’abord une théologie de la
liberté et de la libération. Il suffit de rappeler que l'islam toléra que le
premier pèlerinage se fasse selon la tradition arabe du nu intégral. Il suffit
aussi, pour le passé, de lire la Rihla d'Ibn Battûta pour voir à quel point
l'islam populaire est libéré. Et pour le présent, il suffit de fréquenter notre
peuple hédoniste et libertaire dans l'âme quand il est à son aise.
Ainsi, pour revenir
au haut fait de la journée de la femme, il est aberrant que l’islam qui est
venu libérer la femme et élever son statut soit utilisé pour la brimer et la
rabaisser du fait que cela n’arrange pas les machistes — pas seulement
religieux — au nom d'une mythique spécificité de la société. Ce faisant, ils
violent et l’islam et notre culture, même s’ils parlent en leurs noms.
En effet, notre
religion commande d'user de la raison et de ne pas se contenter de se reposer
sur l’effort des anciens qui n’ont fait qu’user de la leur propre en leur temps
bien différent du nôtre. Aujourd’hui, il est beaucoup de gens qui ne veulent
pas d’une démocratie en Tunisie au prétexte que l’islam n’est pas démocratique.
C’est faux; l’islam ayant été une démocrate dès le début; ce sont des musulmans
autoritaires, servant leurs intérêts égoïstes, qui en ont altéré le message. Et
ils veulent continuer aujourd’hui; mais le peuple tunisien ne se laissera plus
faire !
Le combat en cours en
Tunisie est donc entre un islam officiel liberticide et antidémocratique et un
islam populaire véritable, libéré au point d'être libertaire. À nos élites
démocrates de choisir et d'épouser tant qu'il est encore temps la cause du
peuple si elles veulent être patriotes; le peuple, lui, a déjà choisi. C'est ce
que révèle l'observation sociologique du pays où une centralité souterraine est
active, risquant désormais l'éruption à tout moment.
Publié sur Leaders