Quand la politique
politicienne investit le sport
Trop, c'est trop ! Le parti au pouvoir en
Tunisie, avec le silence sinon la compromission de ses partenaires dans et hors
la troïka, continue d'usurper une prétendue représentation de l'islam qu'il ne
fait que caricaturer, le vidant de ses nobles valeurs humanistes.
Le voilà qui donne la plus triste image de la
politique en notre pays qui a fait justement une révolution autorisant une
approche démocratique de l'islam comme fait religieux fondamentalement tolérant
et pluraliste.
Ainsi, sur le plan national, il prétend
participer au dialogue de la dernière chance tout en contestant son fondement
même, confiant cette mission à des partis satellites ou dont il a réussi à s'assurer
l'alignement de la direction sur sa politique.
Sur le plan international, y compris en dehors
de la sphère politique, il fait tout pour accréditer l'idée absolument fausse
que l'islam politique n'a pas sa place dans le monde démocratique contemporain.
Pour cela, il use et abuse d'une conception antique et délétère de la politique,
foncièrement politicienne, celle ayant cours dans les dictatures arabes,
oubliant que la Tunisie s'est justement libérée du joug de pareil passé de
honte. Aussi en mêle-t-il une vision manichéenne à tous les aspects de la vie,
y compris en ce domaine par définition rétif à toute manifestation politique —
devant rester synonyme de fair-play — qu'est le sport.
On apprend, en effet, que le joueur de tennis
tunisien Malek Jaziri vient d'être contraint par la fédération tunisienne de
déclarer forfait au tournoi de Tachkent pour ne pas avoir à affronter son
adversaire du jour de nationalité israélienne.
Le plus calamiteux en l'affaire est que l'on
n'ose pas assumer une telle décision honteuse, mettant officiellement le
forfait sur le compte d'une mythique blessure au genou de l'intéressé. Et ce
qui ajoute à l'énormité de l'irresponsabilité de nos responsables, c'est que
les adversaires du jour sont deux amis appartenant au même club localisé en
banlieue française et entretenant les meilleurs rapports humains et sportifs. Bien
pis ! Tout cela se fait en violation flagrante des valeurs dont on se réclame, faisant
le fonds de commerce du parti au pouvoir, soit notre religion si tolérante et si
noble dans son humanisme de grand format.
Jusqu'à quand doit-on continuer à se comporter
comme des autistes, niant les réalités tangibles, mélangeant des domaines
incompatibles de par leur essence même, allant jusqu'à ruiner la carrière de
nos sportifs n'ayant rien à se reprocher ?
Jusqu'à quand poursuivre l'exploitation de la
veine immonde de la haine de son prochain, faisant encore du bouc émissaire
israélien le prétexte commode pour le service d'intérêts politiciens en totale
déconnexion avec les réalités populaires ? Celles-ci, en effet, sont marquées
par leur ouverture à autrui, ne mélangeant nullement la juste cause
palestinienne et les errements des dirigeants israéliens, qui ne sont que la
réplique amplifiée de ceux des responsables irresponsables des régimes arabes.
Le comble du loufoque est bien atteint en l'affaire
du jour; il nous ferait juste railler un tel comportement de saltimbanque s'il
n'était gros de drames immenses, ses retombées pouvant se révéler dévastatrices
à courte, moyenne et longue échéances en termes populaires, et non seulement politiques,
diplomatiques, économiques ou éthiques.
Doit-on continuer de fermer les yeux sur la
réalité internationale d'un État dont l'existence même est la garantie de celle
de l'État palestinien dont on prétend défendre les intérêts ? Jusqu'à quand confondre
la politique raciste des dirigeants israéliens, le peuple juif et les
ressortissants innocents de ce pays ? Jusqu'à quand agir contre nos propres
intérêts en servant ceux de nos adversaires qui sont bien aise du maintien du
statu quo politique actuel qui confirme l'injustice qu'ils font subir au peuple
palestinien en violation flagrante de la légalité internationale ?
Il est triste de constater que ce que Bourguiba
avait préconisé depuis si longtemps déjà est toujours d'actualité; que
contester utilement et efficacement la politique de l'État d'Israël nécessite à
la fois et sa reconnaissance et le rejet de son comportement inique à l'égard
du droit légitime du peuple palestinien. Les Palestiniens, premiers concernés
l'ont enfin compris; comment oser nier encore la réalité de l'État d'Israël et
ses conséquences sur le plan international ?
Ce n'est pas en violant à notre tour la
légalité internationale et la morale politique, sans parler de la morale tout
court, qu'on fera triompher notre droit, combien même il ne ferait pas l'ombre
d'un doute. D'ailleurs, moralement, on ne fait que violer l'éthique même
célébrée par notre religion, dont le respect serait bien susceptible de nous
faire avoir gain de cause dans le concert des nations en nous comportant en
justes. L'islam authentique n'invite-t-il pas à s'élever au-dessus de toutes
les turpitudes humaines ? Et c'est bien connu, le vieil adage de droit Nemo Auditur
rappelle qu'on ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
Aussi, il est temps que l'éthique islamique fasse
son entrée sur la scène tunisienne; d'autant qu'on n'hésite pas de s'en
réclamer, cherchant même à l'imposer de force — mais après l'avoir viciée — à
un peuple bien trop au fait de son essence pluraliste et démocratique. Il est
temps donc que l'islam politique ait un autre porte-parole que le parti
majoritaire actuel, qui soit véridique dans son action et dans son propos, tout
en étant la manifestation véritable de la Révolution tunisienne. En un mot, en
sublimant son aspect cultuel restrictif en ce qu'il est foncièrement, une
culture humaniste ouverte sur l'universel.
L'époque d'effervescence révolutionnaire
nécessite que s'élève en ce pays un digne représentant du peuple, enfant de la
génération T, cette jeunesse tunisienne d'une Tunisie Nouvelle, en mesure
d'être juste de voix et de voie !
Que les corsaires actuels de la volonté
populaire, les flibustiers de la souveraineté nationale, aient la dignité de
s'effacer pour laisser la place à la jeune génération porteuse des vraies
valeurs de l'islam populaire, tolérant et œcuménique dans son universalisme.
C'est un islam paisible que notre pays mérite, en mesure d'y honorer à sa juste
valeur le Coup du peuple, y faisant réussir l'islam politique tunisien. Or, la
seule déclinaison de notre religion en mesure de réussir est bien celle que
nous connaissons sur l'antique terre de Carthage, étant en son éthique, ses
desseins et visées foncièrement humanistes, conforme à l'esprit et à la lettre
de la démocratie et des droits de l'Homme dans leur universalité.
Aujourd'hui, eu égard à ce qui précède, il
n'est qu'une seule issue de nature à sauver l'honneur, non seulement du
gouvernement actuel et des responsables au pouvoir, mais aussi et surtout de
celui de la Tunisie et du peuple tunisien : que le ministre des sports et les
responsables de la fédération de tennis remettent leur démission sans tarder.
Ils ont altéré l'image démocratique de notre Nouvelle République.
Publié sur Leaders