La fête du Travail est la fête de la Révolution
:
À quelques jours de la fête du Travail, voici
les différents états-majors des partis au pouvoir ou dans l'opposition qui
s'activent pour célébrer la journée sans rien y apporter de nouveau, sinon des
slogans creux. La principale centrale syndicale de son côté semble s'en tenir à
ses mots d'ordre habituels sans rien de bien concret alors que notre
Révolution, dont elle est l'un des acteurs majeurs, dérive en douce vers la
dictature du conformisme et la politique de la vacuité d'une pratique immorale
de l'exercice du pouvoir.
En effet, bien que notre pays soit pauvre, on
assiste dans les allées du pouvoir et de la haute Administration à un étalage
honteux de privilèges et d'avantages qui font douter que les représentants du
peuple et ses serviteurs parmi les commis de l'État soient vraiment là où ils
sont, après avoir goûté aux délices du pouvoir, au service du peuple, mais
plutôt pour leurs intérêts propres.
Bien sûr, les intéressés le nient farouchement
et ne manquent ni de serments appuyés ni de professions de foi réitérées que
leur souci premier reste de servir la Révolution et le peuple. Or, ce dernier
ne les croit plus à force de voir leur comportement au jour le jour et les
émoluments qu'ils se font servir, sans parler des manifestations extérieures du
luxe que certains arborent et auxquels ils s'accrochent.
C'est d'ailleurs un signe qui ne trompe pas
celui d'avoir assisté à l'Assemblée Nationale Constituante à cet acte courageux,
à l'écoute enfin de la conscience, de renonciation aux salaire, prime et
avantage de député. C'est bien symptomatique de la mauvaise conscience qui
ronge certains députés écartelés entre leurs privilèges et ce qu'ils voient de
la misère du peuple.
Pourquoi donc tous les députés ne
reproduisent-ils pas pareil acte juste ? Et plus généralement, pourquoi les
femmes et hommes politiques, les ministres et les hauts fonctionnaires ne font pas
de même ? N'éviteraient-ils pas, ce faisant, d'aller là où l'on sera amené fatalement,
soit vers une loi pour les y contraindre, imposant pareil acte de salubrité
publique au nom de la Révolution et de l'état de délabrement économique de
notre pays ?
Or, voici venue une occasion pour nos élus et nos
hauts responsables politiques pour apporter la preuve de leur désintéressement
au service du peuple, la fête du 1er mai. Car le travail est à la base de la
dignité; et celle-ci a été la marque de la Révolution en Tunisie, qui a été en
quelque sorte celle du travail ! Aussi, la fête du 1er mai est bel et bien une
autre façon de fêter notre Révolution.
La journée de l'abolition des privilèges :
Que la célébration cette année du 1er mai fêtant
habituellement les vertus du travail, ce dont nombre de nos compatriotes sont
privés, manquant même cruellement de quoi vivre — et donc de leur droit à la
dignité —, soit celle des retrouvailles avec l'esprit de la Révolution !
Que la première qualité pour servir l'État et le
peuple en Tunisie Nouvelle République soit enfin l'humilité et la culture de la
sobriété, de la modestie et de la simplicité !
Que tous les responsables politiques décident à
l'unanimité que cette journée sera celle de l'abolition de toutes les
manifestations de privilèges, d'avantages et de fastes au sein des institutions
de notre pays. Ce qui contribuera assurément à la nécessaire et salutaire moralisation
de la pratique du pouvoir en conformité avec les exigences de la Révolution.
Que l'exercice du pouvoir en Tunisie ne
s'accompagne plus du décorum habituel, aussi insultant pour la majorité pauvre
de ce pays qu'inutile pour une saine gestion publique ou une quelconque
efficacité politique. Ce n'est pas parce qu'on y a pris habitude que l'on doit
fermer les yeux sur son coup et surtout son effet néfaste eu égard aux
exigences de la Révolution de la dignité.
Que les serviteurs d'un peuple pauvre soient à
son image en se contentant du strict nécessaire dans l'accomplissement de leur
mission; où alors qu'ils s'abstiennent de se proposer à son service, les
patriotes compétents prêts à servir leur pays sans lui demander rétribution ne
manquant pas !
Que nos responsables vraiment épris du bien de
ce peuple ne manquent pas à l'honneur en laissant passer cette occasion pour
démontrer leur patriotisme et leur sens du service de la Révolution qui est
d'abord et avant tout celle de la dignité ! Or, il n'est nulle dignité pour un
peuple pauvre et démuni d'avoir des serviteurs croulant dans le luxe.
Qu'ils en fassent donc un moment majeur de la
Révolution de mise hors la loi de tous les privilèges dans le service de l'État
à dépouiller de tout apparat, somptuosité et luxe ! Qu'ils décrètent une
austérité généralisée dans tous les services publics pour que l'Administration
et le personnel politique donnent l'exemple d'un train de vie aussi modeste que
celui de la majorité du peuple !
Et que l'UGTT, en tant que représentant éminent
et qualifié de ce peuple, appelle à une telle moralisation urgente de
l'exercice du pouvoir en ce pays, en faisant même un motif sérieux de grève
générale !
Dans un pays pauvre, le luxe est à mettre hors
la loi :
Après les flashs, le strass et les paillettes
qui continuent à marquer le train de vie de l'État, une cure de dépouillement
est donc nécessaire, sinon obligatoire; ce sont les serviteurs de l'État
eux-mêmes qui doivent commencer à se l'imposer dans le cadre d'une pratique
politique moralisée en ce pays.
En effet, au moment où le pays est sur le point
de conclure un emprunt susceptible de limiter sa souveraineté, il est
inadmissible que l'on ne tente pas tout ce qui est de nature à limiter les
dépenses d'apparat de l'État, autant inutiles que dispendieuses, à commencer
par les signes extérieurs du luxe en passant par les indemnités et les privilèges
des agents d'un pays au bord du gouffre économique et financier !
Certes, on a pris l'habitude de singer dans
l'exercice du pouvoir ce qui se fait ailleurs, avec les solennités et le
décorum jugés indispensables à l'Autorité comme partie prenante de son
prestige. Or, pour être efficiente et efficace, la politique n'a pas
nécessairement besoin de se parer des solennités qu'on connaît, même pas pour
une question de prestige, car le standing véritable de l'État est d'abord et
avant tout celui du peuple.
Et quel prestige peut être celui du peuple à
part son honneur dont il ne se dépare jamais malgré sa pauvreté ? Aussi, et
tout pareillement à lui, ses serviteurs doivent se suffire de l'honneur de le
servir et se priver de tout ce qui constitue actuellement le charme du pouvoir,
ses privilèges et ses avantages. Car ceux-ci sont souvent la raison principale,
sinon exclusive, motivant nombre de politiciens, bien avant ce qui devrait être
leur seule motivation : le service désintéressé du peuple.
Notre pays est pauvre et ne peut mener grand
train à la manière des pays riches; et notre peuple étant humble et de modeste
condition, il est immoral que les agents de l'État censés le servir affichent un
faste outrageant.
Il est donc temps d'innover en politique en
dépossédant l'État de tout son faste indu et son coûteux décorum qui n'a pour
conséquence que de l'éloigner du peuple. Les élus de ce peuple, les ministres
et grands commis de l'État doivent se distinguer de la minorité privilégiée du
pays par la modestie de leur train de vie qui ne peut se calquer que sur l'état
de la majorité dans notre pays et non celui de ses riches.
Ainsi, outre les exigences à modérer en matière
de traitement et de ses composantes, outre les commodités superflues absolument
inutiles pour l'efficacité du service à oublier, ils ne doivent plus se laisser
aller à l'ostentation du moindre luxe, même s'ils s'y sont habitués, et ce dans
tous les aspects de leur vie, surtout en vêture, bijoux et autres vanités de la
nature humaine, l'apparence du serviteur du peuple devant être sobre, en
harmonie avec la condition du pays.
Être révolutionnaire, c'est savoir sacrifier ses
intérêts :
Il ne s'agit pas ici de vue de l'esprit ou de
pur slogan d'utopiste et encore moins de populisme, mais d'acte nécessaire de
salubrité publique qui a tardé à venir. Il s'agit de comportement hautement
moral, au moment où l'on met la morale à toutes les sauces, consistant à être
logique avec notre affichage idéologique. Il est nécessaire de sacrifier les
mauvaises habitudes reprises à l'ancienne dictature ou copiées à l'étranger
pour fonder et consolider notre nouvelle culture révolutionnaire. Ainsi
s'incarne véritablement le patriotisme réel, loin des slogans creux, où l'acte
de servir le peuple est de fusionner avec lui, y compris dans l'apparence et le
mode de vie quotidien.
C'est seulement ainsi que ce qui touche la
population pourra toucher vraiment ses représentants; et c'est ainsi qu'on aura
une réelle chance d'arriver à limiter l'écart énorme existant encore
actuellement entre le peuple réel dans sa terrible misère et son staff
politique qui en est coupé, séparé de sa condition modeste par le luxe honteux
dans lequel il vit.
Soyons donc ce que nous prétendons être : patriotes
et révolutionnaires, et ce en faisant en sorte que la fête du Travail soit
digne de son esprit d'origine. Celui-ci était bien de célébrer les réalisations
des travailleurs, notamment par le levier de la grève, fêtée aussi par cette
journée annuelle, pour les combats des travailleurs, surtout dans le domaine de
l'inégalité majeure du temps de travail et de sa nécessaire réduction.
Aujourd'hui, les inégalités sociales en notre
pays sont manifestées par l'apparat de l'État et le standing du personnel
politique, et le combat des travailleurs doit se porter sur ce terrain en
s'attaquant notamment aux privilèges des élus du peuple qui ne peuvent continuer
à cultiver leurs avantages quand ils sont censés représenter un peuple pauvre
sans la moindre prime ou le plus banal avantage pour une vie décente.
Les travailleurs aussi, en ce jour de leur fête,
doivent interpeller notre classe politique, et à sa tête celle que le peuple a
élue, afin que soit adopté au plus vite un texte juridique contraignant instaurant
l'austérité dans les allées du pouvoir en vue de les assainir et de mieux servir
enfin la Révolution.
Dans la Tunisie révolutionnaire, il ne peut plus
y avoir lieu au moindre enrichissement pour activisme politique, car le service
du peuple est censé relever du sacerdoce. Ainsi, l'élu au service de son peuple
— et pour le moins, en ces moments difficiles pour le pays — doit garder le
même train de vie qu'avant; et s'il doit percevoir un salaire, celui-ci ne doit
en aucune façon être supérieur à ce qu'il percevait jusque-là. C'est de la
sorte qu'on évite d'attirer en politique les profiteurs. Surtout, il ne doit y
avoir aucune indemnité et nul avantage pour le service du peuple sauf nécessité
impérieuse et absolue dûment prouvée.
On est dans une situation exceptionnelle dont il
nous faut prendre conscience et tirer toutes les conséquences. Et ce n'est pas
parce que la Révolution tunisienne a été paisible qu'elle n'emporte pas les
conséquences nécessaires d'une Révolution classique : la coupure avec un ordre
périmé. L'un des aspects de cet ordre est la pratique politique dont
l'inspiration est l'idéologie libérale dans ce qu'elle a de plus honteux : un
laisser-faire de la loi du plus fort économiquement et un laisser-aller aux
abus de toutes sortes afin de s'assurer le profit le plus grand à tout prix.
Or, même si cela convient à certains, y compris
au gouvernement, il ne convient nullement à la majorité de notre peuple, et il
est impératif de rompre au plus vite avec pareil vestige du passé ayant nourri
ses maffias.
Pour la rénovation de notre pratique politique :
Il est vrai qu'en Tunisie, réputée par sa
douceur de vivre et sa tolérance, on ne coupe pas les têtes ni on n'y élève des
potences; mais la modération tunisienne ne doit pas empêcher d'y couper les
privilèges dans le service de l'État et d'y élever les bûchers aux vanités dans
la haute Administration publique. Il suffit donc de s'attacher aux honneurs
factices et de se gaver de lâches faveurs !
Quand on prétend servir la patrie, l'honneur de
son service est suffisant; et il ne peut revenir aux vaniteux en ce pays. La
marque du patriote véritable doit être non pas l'appartenance à un parti ou
l'affichage d'une idéologie, mais sa disponibilité totale et entière à servir
le pays sans rétribution ni privilèges. Et qu'on se le répète : on ne peut plus
désormais se prétendre révolutionnaire si l'on ne sert pas son pays sans aucune
rétribution, indemnité et avantage, à part l'honneur de le servir.
Que le 1er mai soit donc une fête véritable du
travail humble ! Que le pays abolisse enfin les privilèges qui pourrissent la
vie politique et qui y sont indignes eu égard à l'état de notre société pauvre
et endettée.
Innovons en travaillant à la Révolution tout en
fêtant le Travail ! Renouvelons l'exercice politique en notre pays pour qu'il
soit une pratique révolutionnaire en décrétant le principe du bénévolat pour le
service du peuple dans le cadre d'une nécessaire austérité devant caractériser
le pouvoir et ses représentants, et ce tant que la majorité du peuple n'aura
pas cessé d'être pauvre.
Parallèlement, et si on veut aller jusqu'au bout
dans la preuve de notre patriotisme et notre esprit révolutionnaire, agissons
aussi en vue de faire du 1er mai la fête du travail pour les libertés publiques
en décidant l'abrogation immédiate de toutes les lois liberticides toujours en
vigueur en notre pays bien qu'héritées de la dictature déchue. Le 1er mai 2013
sera bien ainsi une fête du Travail, le travail comme action révolutionnaire
pour la moralisation de la vie publique et pour la consolidation des libertés
du peuple par une rupture définitive avec l'arsenal obsolète de l'ancien régime
honni.
Que les vrais révolutionnaires soient alors au
rendez-vous du 1er mai pour réactiver l'esprit révolutionnaire en allumant à
nouveau la flamme de la Révolution ! En effet, aussitôt allumée, elle a été
éteinte par le dogmatisme des uns, le conservatisme des autres et le
conformisme de la majorité de la classe politique incapable de sortir des
sentiers battus de la politique à l'antique pourtant mise au rencart par le
peuple.
Mais le peuple porte toujours en lui sa
Révolution, dans l'écrin de sa volonté désormais indomptable. Qui sera donc
avec lui en cette fête du Travail ? Qui sera révolutionnaire en ce 1er mai 2013
?
Publié sur Nawaat