Le
temps du coming out
politique
pour une
saine vie publique*
Les derniers
événements politiques sur la scène publique à propos des travers,
ou supposés tels, de nos politiciens mettent l'accent sur la
nécessité de ce qu'on a qualifié coming out chez les homosexuels
ou homosensuels, selon la terminologie que je propose d'adopter.
De quoi
s'agit-il sinon de cette vertu cardinale que la sincérité et la
transparence absolues soient au centre de la vie politique en ce sens
que la vie privée de tout politicien se proposant de servir le pays
ne lui appartient plus à lui seul ? En cela, il en ira
pareillement qu'avec l'état du patrimoine par exemple, le politicien
ne devant plus rien cacher ou tenir secret sur son propre compte, sa
vie mais aussi ses idées sur toute question, sensible y compris, du
moment qu'il relève dans son action de la sphère publique.
C'est une saine
vision de la pratique politique coupant définitivement avec les
pratiques d'un ordre ancien et qui sont tellement récalcitrantes à
disparaître qu'elles tiennent de la nature humaine imparfaite.
C'est de la même
veine que cet autre combat auquel j'invite mes compatriotes à
s'atteler et qui, pour être connoté sexe, n'est pas moins au cœur
de notre vie de tous les jours. En effet, comme nous l'apprend la
psychanalyse de Freud ou la psychologie des profondeurs de Jung, nos
blocages existentiels les plus graves, notamment politiques —
puisque s'adonner à la vie publique n'est rien d'autre que gérer la
cité et ses mœurs — ont assurément une cause sexuelle ou
trouvent leur origine dans notre vision floue ou incorrecte du sexe.
C'est pourquoi
j'ai entrepris d'attirer l'attention sur la fausse conception que
nous avons sur une thématique à forte charge symbolique comme
l'homosexualité et ce pour aider à faire avancer le débat et à
consolider la démocratie dans ce pays, car accepter l'homosexuel,
c'est accepter l'Autre, tout autre donc, dans sa différence.
L'homosexuel est aujourd'hui en terre arabe musulmane le symbole de
l'altérité, il est celui qu'on brime, que cela soit pour ses
moeurs, ses croyances religieuses ou ses convictions politiques ou
simplement pour son sexe différent et supposé inférieur.
Or, maintenant
que l'anathème injustement jeté sur l'homosexualité au nom de
l'islam est levé, puisque j'ai apporté la preuve dans un article
publié ici*, et que personne ne conteste sérieusement, que cette
question délicate ne fait l'objet de nulle prohibition en islam si
on en fait une lecture authentique, il est temps qu'en Tunisie et
ailleurs en terre d'islam, les homosensuels (c'est le terme que je
préfère à homosexuels, comme je m'en expliquerai plus loin)
fassent de l'homosensualité le symbole de l'attachement véritable
aux libertés démocratiques.
Aussi,
m'adressant aux courageux homosexuels tunisiens qui agissent pour la
visibilité homosensuelle en Tunisie, mais aussi pour tous les
militants des droits de l'Homme, tous ceux qui ont à cœur de
soutenir toutes les minorités brimées, je dis donc : c'est le
moment d'agir !
Saisissez ces
temps de célébration de la révolution de la dignité et de la
liberté pour réclamer haut et fort vos droits en usant de la
thématique la plus symbolique de l'exclusion. Agissez sans peur ni
reproches pour un véritable coming out politique ! Mettez les
femmes et les hommes politiques devant leur responsabilité, à
savoir celle de reconnaître vos droits comme partie intégrante de
la démocratie.
Et pour ceux qui
voudront continuer à user de la pseudotradition musulmane en vue de
nier vos droits légitimes et vous persécuter, opposez-leur
l'argument massue qu'ils ne font ainsi que se réclamer d'une
idiosyncrasie judéo-chrétienne étrangère au véritable esprit de
l'islam !
Il
est inutile de rappeler ici que si l'homosexualité a jamais été
chantée et de la plus belle manière, ce fut bien en terre d'islam,
alors que les Occidentaux non encore libérés de leur morale
judéo-chrétienne n'en revenaient pas encore des mœurs libres
arabes et surtout bédouines. Or le Bédouin n'est-il pas le
prototype de l'Arabe authentique ?
Dans une lettre adressée aux homosensuels,** j'ai déjà
pointé du doigt la nécessité de faire de leur militantisme
personnel un combat pour les droits et les libertés en général
dans la Tunisie du Coup du peuple. Et j'ai donné l'exemple en
prenant en charge la mission de défendre le droit à l'image de
certains jeunes tunisiens sur Internet qui avaient sollicité mon
secours. Dans la présente lettre dont l'objectif est d'être utile à
tous les homosensuels, non seulement tunisiens mais aussi arabes et
musulmans en général dans leur combat légitime pour leurs droits,
je donnerai aussi des nouvelles des suites obtenues d'un tel
engagement.
Mais,
tout d'abord, je me permettrai de revenir sur le terme même
d'homosexualité que j'ai proposé de remplacer par un mot plus
neutre, moins connoté sexe, ce qui est réducteur et injuste. Car,
primo, l'homosexuel n'est pas spécialement porté sur le sexe, comme
veulent à tort et peut-être à dessein le faire croire les
adversaires de la liberté. Secundo, il ne faut jamais diaboliser le
sexe qui est une évidence et une nécessité rythmant la vie
humaine. Il nous faut en parler sereinement, sinon c'est le retour
assuré du refoulé; et c'est alors catastrophique en termes de
troubles de la personnalité, névroses et autres hystéries.
Or,
il n'y a pas de vie s'il n'y a pas de sexe, ce qu'a si bien compris
l'islam, notre révolutionnaire religion ! Cependant, nos réflexes
sont encore marqués par une pudibonderie excessive du fait de
l'introduction de la tradition judéo-chrétienne étrangère aux
mœurs arabes. Aussi, il est inutile et improductif de se focaliser
sur un terme inapproprié, à la charge connotée de sens péjoratifs
et pour le moins coquins, susceptible de faire cabrer même les moins
rétifs à la revendication de leurs droits par les homosensuels.
Les
moralisateurs chez nous se revendiquent à tort d'un fallacieux
conformisme social ou une soi-disant morale islamique dont ils font
écran, en fait, à leurs propres problèmes psychologiques ou leur
refus avéré de l'altérité. De fait, cette supposée tradition
moralisante dans notre société est une pure façade, un véritable
trompe-l'oeil, la Tunisie profonde, pour qui la connaît, n'étant
nullement pudibonde. Dire que le Tunisien du peuple est effarouché
par le sexe est une pure ineptie; c'est tout simplement mentir ou
faire preuve d'une grave ignorance.
Il
est sûr, en effet, que le conformisme de notre société en termes
de mœurs est un mythe; en tout cas, il n'a aucune véritable assise
populaire; je dirais même que sa pseudo réalité violente le fond
acquis et certain de la véritable tolérance populaire. C'est que
celle-ci, au-delà de tout affichage (qui serait moins une
provocation qu'un manque de tact et de bienséance) est prête
d'accepter toute forme de mode de vie, y compris la plus pittoresque,
la plus hétérodoxe, car c'est la propension à l'originalité qui
marque l'âme arabe. Et tout simplement du fait qu'elle est par
essence rétive à la moindre limitation de sa liberté; et le
non-conformisme social est bel et bien la première des contestations
de l'ordre politique.
Au
vrai, si l'homosexualité est passée aujourd'hui dans le registre de
l'opprobre, c'est bien grâce à l'absence de libertés et à son
instrumentation outrancière en violation de l'esprit même de notre
religion ainsi que de sa lettre, aucun texte explicite du Coran ne
condamnant de manière directe et sans interprétation,
nécessairement orientée, la pédérastie. Cette instrumentation a
toujours été le fait du pouvoir, hier comme aujourd'hui, et c'est
bien la preuve que l'homosexualité est un verrou que tout pouvoir
institué en terre d'islam a peur de voir sauter, car il est
susceptible d'entraîner immanquablement l'émancipation définitive
de la société de son emprise. C'est donc une question politique et
non morale; elle est, à la limite, éthique, au sens où c'est par
l'acceptation de l'homosexualité que l'islam politique au pouvoir en
Tunisie fera preuve de son sérieux et de son esprit démocratique
véritable.
Dans
l'attente que les mentalités changent, je conseille aux homosensuels
d'agir pour imposer l'usage du terme d'homosensualité. Avec pareil
vocable, on met l'accent sur ce qui fait l'essence de la lutte
homosexuelle qui célèbre le droit à l'amour plutôt que la
pratique du sexe, ce dernier n'étant qu'un aspect de l'amour. Par
ailleurs, nul ne peut ignorer l'importance de la sensualité arabe,
qui est même une de ses marques majeures, avec son sens de
l'honneur, son attachement à la liberté et son adoration de
l'éloquence, surtout poétique.
De
la sorte, lutter aujourd'hui pour l'homosensualité en Tunisie aura
davantage de sens, car le combat débordera les homosexuels pour
devenir une action civique, intégrant toute forme de sensualité,
même hétérosexuelle, que les ayatollahs de la pudibonderie veulent
censurer, imposant leur vue castrée de l'être humain à une société
dont l'âme reste libertaire, y compris sur les questions sexuelles.
Une telle réalité sociale, répétons-le encore une fois, n'est pas
nouvelle, ses preuves étant tout aussi contemporaines que remontant
à la nuit de l'histoire. Il suffit de connaître l'épopée du pays
des temps anciens à nos jours pour se délecter des histoires
grivoises, des poésies et contes libertins, et ce tant dans la
littérature académique que populaire, tant dans les milieux lettrés
qu'au plus bas de l'échelle sociale.
Dans
mon article exhaustif précité, je propose de traduire en arabe
l'homosensualité par une expression neutre de toute connotation
sexuelle tout en étant parfaitement fidèle au sens originel, nous
permettant de nous éloigner des traductions classiques, par trop
centrées sur l'excitation et le désir qui, sans être absents des
mots français, n'en constituent pas le seul aspect ou le plus
essentiel.
Il
en va ainsi des termes classiques proposés pour sensualité comme
شبقية أوفجور أوفسق
ou pour érotisme comme شهوانية
أو إثارة حسية. En effet, la
seule traduction en arabe valable à mon sens est rendue par les deux
termes de غرام وعشق
qui ne sont pas loin de l'expression que
je retiens et qui est plus appropriée tout en évitant la confusion
avec d'autres thématiques arabes et qui est المماثلة
الحسية أو المماثلة ,
l'homosensuel devenant المماثل
.
Ainsi
aurions-nous notre vocable objectif en arabe comme il en est allé en
Occident avec le terme neutre de Gay qui s'est imposé petit à petit
au détriment de celui d'homosexuel.
Or,
il nous faut opter pour pareils termes plus justes linguistiquement
pour nous débarrasser au plus vite des lexèmes actuellement en
usage pour homosexualité لواط
et homosexuel لوطي
qui ont une charge morale et religieuse
lourde référant à un passé précis, judéo-chrétien faut-il le
rappeler de nouveau et dont le Coran à juste fait la relation, étant
le secau des prophéties, sans en tirer un quelconque commandement.
Notre
langue arabe est tellement riche et ses possibilités sont infinies
qu'il est aberrant de ne pas y chercher quelque meilleure expression.
Aussi, et c'est ma proposition, on devrait prendre l'habitude de dire
plutôt المماثل أو
مشتهي المماثل qu'homosexuel
et المماثلة أو
إشتهاء المماثل pour
homosexualité, ce qui est certes une façon basique d'exprimer ces
réalités, mais en les dégageant de tout carcan moral.
Revenons
maintenant sur l'initiative évoquée ci-dessus pour en informer tous
les Tunisiens se trouvant dans la même situation que celle des
jeunes gens m'ayant saisi de leur problème. Après un échange long
mais fructueux de vues et d'arguments avec le webmestre du site
signalé dans mon article précité, j'ai obtenu qu'il masque
l'identité des jeunes concernés. Et ma démarche fut tellement
efficace que le webmestre, convaincu par ma sincérité et démontrant
un sens éthique rare dans son milieu, a spontanément accepté
d'étendre le floutage du visage à tous les Maghrébins, ce qui est
à saluer de sa part. La mise en forme de cet accord est en cours sur
le site et elle devrait être finalisée sous peu d'après
l'administrateur.
Si
j'ai tenu à revenir sur cette question, outre le devoir d'informer
mes lecteurs, c'est afin d'indiquer aux militants homosensuels
tunisiens que c'est à leur tour de s'impliquer dans ce genre
d'activisme de nature à avoir des retombées bénéfiques sur leurs
droits et amener les autorités et la société à une appréhension
meilleure, dépassionnée et juste de leur cause.
C'est
en prenant en charge des causes comme celle que je viens d'évoquer,
en se substituant aux autorités nationales défaillantes dans la
défense des droits de leurs semblables, qu'ils feront avancer, tout
à la fois, leur cause et celle des droits et des libertés, car les
deux sont tout simplement imbriquées. Et, assurément, ils ne
manqueront pas de se faire des émules au Maghreb et dans le monde
arabe et musulman pour le meilleur de la cause des libertés. Ainsi,
ils honoreront bien mieux l'islam et son esprit authentique que les
Salafis des mensonges qui militent, sans le savoir, pour la
perpétuation en notre belle religion ouverte et tolérante de la
morale judéo-chrétienne !
Aujourd'hui,
plus que jamais, il est clair que les vrais militants pour la cause
des libertés dans le monde arabe musulman doivent se déterminer
également par rapport à la question de l'homosensualité qui est
symptomatique de l'attachement réel aux libertés en général.
Aussi, doit-on tous, vrais combattants pour les libertés, ne pas
hésiter à oser se dire être homosensuels au sens de fusion avec ce
différent de nous qui n'est que l'autre nous-mêmes, égal à nous
dans tous les droits, surtout politiques, religieux et sociaux.
Par
sa force symbolique, une telle question doit en effet transcender les
cercles et les affinités politiques et réussir à amalgamer les
contraires dans un attachement aux mêmes valeurs, celles de la
démocratie et des droits de l'Homme.
Pareillement,
on doit tous oser se réclamer être des athées, car accepter
l'athéisme, c'est aussi accepter l'autre pas excellence en terre
musulmane. Et ce ne serait rien d'autre que la preuve de la tolérance
islamique qui n'est pas un pur mythe; car en terre d'islam, toutes
les libertés, y compris celles des mœurs et de la croyance, sont
respectables et respectées.
Qu'on
se le dise donc, il n'y a pas de fallacieuses lignes rouges en islam
en la matière qui ne soient des limitations à son génie en tant
que sublime religion universelle, aux commandements de nature
rationnelle et éternelle. L'islam est, par excellence, la religion
de la liberté et du respect de l'être humain dans sa condition
imparfaite et sa tension permanente vers le meilleur; ce qui n'est
rien d'autre que la voie de Dieu et vers lui.
En
Tunisie, célébrant présentement le deuxième anniversaire de sa
révolution de la liberté et de la dignité, la thématique de
l'homosensualité comme tabou social ou religieux n'a aucune réalité
véritable; c'est une arme essentiellement politique n'ayant de
profondeur sociologique qu'en apparence. C'est comme, en Europe, la
thématique de l'immigration responsable de tous les maux. De fait,
l'une comme l'autre n'est qu'un instrument de manipulation des
consciences se basant sur des arguments fallacieux et fumeux qui
tomberaient comme un château de cartes si les gens responsables en
parlaient.
Dans
le même ordre d'idées, il est impératif que les homosensuels
agissent pour faire en sorte que la pornographie ne contrarie pas
leur cause. Certes, en Occident, elle est une industrie comme une
autre, mais cela ne l'empêche pas d'être responsable, respectueuse
d'un code de bonne conduite et non sauvage comme elle se pratique
aujourd'hui au mépris de la morale et des moindres règles de
bienséance, sans parler du droit. Comme je l'ai démontré par mon
action propre, il n'ya pas dans cette industrie que des monstres; il
suffit d'agir pour faire éclore dans le cœur de certains quelques
belles fleurs d'humanité.
Que
les homosensuels, osant prendre part à la vie citoyenne comme tout
militant des droits de l'Homme, approchent donc un tel milieu en vue
de limiter pour le moins ses flagrantes violations des lois, aussi
bien nationales (même si celles-ci restent à évoluer),
qu'internationales; car l'on ne peut pratiquer pareille activité
comme tout autre acte commercial, de manière sauvage, irrespectueuse
des valeurs humaines !
Et
que le second anniversaire de la révolution tunisienne soit le coup
d'envoi d'une nouveau monde pour les libertés en notre pays, où il
n'y aura plus de minorités brimées au nom de la religion ! Que
tous les homosensuels luttant pour leurs droits intègrent cette
dimension nationale dans leur combat; ainsi démontreront-ils leur
sens civique ! Et la fibre essentielle chez eux, qui est leur
sensualité, leur permettra assurément une grande empathie avec les
problèmes de leurs semblables, et j'entends par là les humains en
général, et non les humains ayant une tendance sexuelle
particulière, car ils font partie de l'ensemble de l'humanité au
même titre que son écrasante majorité.
Tout
militant des droits de l'Homme doit désormais oser affirmer avoir
quelque chose d'athée et d'homosensuel. D'ailleurs, quitte à faire
pousser des cris d'orfraie chez une bonne partie de notre élite se
prélassant dans le confort de son conformisme, la science
anthropologique démontre aujourd'hui que l'état normal dans la
nature, et peut-être même pour l'humanité, est l'état de
bisexualité, et que la séparation conventionnelle entre les sexes
n'est qu'une construction artificielle, tout comme celle entre
croyance et incroyance.
Chez
les humains, la ségrégation entre les sexes et les croyants n'est
rien d'autre que la mise en service de la plus machiavélique
machination contre les droits de l'Homme. À méditer !
Nota : Cet article est la version légèrement remaniée d'un autre article déjà publié, qu'on peut consulter ici.
Article publié sur Nawaat