Si la Tunisie est en pleine
guerre contre un passé tenace, elle l'est aussi contre elle-même; et c'est la
plus décisive des batailles, de celles dont la perte est fatale. Pour cet
Armageddon, nos élites ont pourtant l'arme magique en vue d'un triomphe assuré;
mais elles ne veulent en user! Et c'est l'une des difficultés de cette guerre
contre soi qu'il faut gagner avant de triompher de celle engagée contre la
pauvreté et pour la prospérité économique.
Samson en politique :
Cette arme s'inscrit dans
l'arsenal qu'impose l'état des rapports internationaux aujourd'hui en notre
village global. La Tunisie faisant partie d'un ensemble comme un élément d'un
système, elle ne peut y échapper; mais pour y assumer pleinement son rôle, ses
devoirs et ses droits, elle doit revendiquer le statut que lui confère une
telle présence.
La Tunisie est membre de
fait comme de droit d'une union, celle de la Méditerranée, qui se devait d'être
une Union majeure méditerranéenne et qui n'est plus, pour des raisons de
politicaillerie européenne, qu'une Union mineure pour la Méditerranée.
Il n'empêche que notre pays
reste une pièce maîtresse de cette zone géographique et son sort ne saurait ne
pas intéresser légitimement les grands de ce monde. Ce que fit l'oncle Sam pour
s'assurer une présence active chez nous, et ce dès que le peuple imposa à la
dictature sous laquelle il croupissait sa Volonté par son fameux Coup du 17
décembre-14 janvier et que nous célébrons ces jours-ci dans une bien désolante
morosité.
L'oncle d'Europe, dont les
intérêts ne sont pas moins compromis en cette Tunisie officielle attirée par
les chants de sirène du Golfe pour de mirifiques déserts de la pensée et de la
foi, n'est toujours pas prêt d'empêcher la bascule dans le chaos comme si
pareille issue pouvait servir ses intérêts véritables. Manifestement, l'Europe
agit comme le héros biblique, préférant voir la Tunisie flirter avec
l'intégrisme pour contrarier les visées américaines et espérer ainsi remettre
en selle les élites occidentalisées, pro-européennes. Ce faisant, elle ne se
doute pas qu'elle risque de perdre toute emprise sur un pays livré à un
extrémisme échappant à tout contrôle et abandonner, par contrecoup, sa propre
société aux griffes du mal.
Car si la Tunisie rate sa
transition démocratique, c'est l'Europe qui en payera aussi le prix, voyant
s'installer à ses portes un foyer durable de tensions, terreau des pires excès
nourris des plus sévères désespérances. Ainsi, s'appliquant avec art à faire
d'un pays paisible dans l'âme une boîte de Pandore, l'Europe ratera sa vocation
qu'on vient pourtant de saluer avec un prix de Nobel, et qu'elle peut
s'appliquer à mériter en changeant incontinent sa politique actuelle de
gribouille.
Une vérité qui dérange :
Rappelons aux mémoires
courtes qu'hier encore, les instances européennes saluaient le dictateur
tunisien déchu, l'assurant pompeusement, mais assez hypocritement, que tous les
avantages de l'Union étaient garantis à la Tunisie, à l'exclusion de celui de
l'adhésion. Bien évidemment, elles ne disaient rien sur la raison réelle de
l'empêchement pour la Tunisie à franchir le pas de l'adhésion, se cachant
derrière la feuille de vigne de l'appartenance géographique du pays.
C'est qu'il était évident
pour les Tunisiens que le motif véritable de pareil veto était d'ordre culturel,
ou disons encore cultuel; c'était la tradition judéo-chrétienne de l'Europe.
Mais cela satisfaisait tout le monde : une Europe engoncée dans ses
contradictions, avec de temps en temps une confusion réelle des valeurs, et une
Tunisie livrée à une maffia au pouvoir dont les intérêts se suffisaient de
l'état de dépendance du pays, se plaisant à y maximiser à outrance le danger
islamiste pour faire durer sa prédation.
Or, aujourd'hui, le danger
est réel d'un islam mal compris, intégriste au sens de xénophobe et non de
retour au sens véritable de cette religion par essence humaniste. Et ce danger
est d'autant plus grave qu'une expérience est en cours, qui peut réussir,
faisant de la Tunisie l'exemple le plus original de l'assomption du nec plus
ultra dans l'islam avec le meilleur dans la politique, la démocratie et le
pluralisme.
On parlait hier de
démocratie chrétienne et la Tunisie est en passe de vivre aujourd'hui une
démocratie islamique authentique; certes, pas de l'ordre de celle à laquelle
nous font penser aussitôt nos réflexes conditionnés, mais une véritable
démocratie, ouverte à l'altérité, tolérante et relevant de son temps.
L'expérience en cours
consiste moins, comme d'aucuns continuent de conseiller à tort, de faire sortir
l'islam de l'islamisme que de faire rentrer l'islamisme dans l'islam. Il
s'agit, bien évidemment, d'un islam authentifié par le soufisme, cet humanisme
de grand format, et qui a su incarner l'esprit vrai de notre religion à un moment
majeur de l'histoire arabo-musulmane.
Il n'est plus possible,
aujourd'hui, de prendre le Coran pour ce qu'il n'est pas, le texte d'un passé
magico-religieux et de la superstition; en cela, il n'est pas l'égal de la
Bible, car il renvoie à une expérience vécue — et qui fut une épopée, — par le
peuple où a eu lieu son épiphanie. Que nos élites éclairées se le disent donc
une bonne fois pour toutes : l'islam n'est pas le résultat de ce processus de
concrétion auquel ils se réfèrent inconsciemment, et qui est propre aux
matériaux légendaires, fruits des errances de l'esprit humain !
Je démontre dans mes
écrits, et notamment sur mon blog Tunisie Nouvelle République,[1]
à quel point on peut retrouver les thématiques les plus novatrices du temps
présent en procédant à une lecture authentique de notre religion, comme le fait
que l'homosexualité — cette question ô combien symbolique, témoin du degré de
notre acceptation de la différence, âme de l'esprit démocratique — n'y est
point interdite[2]
ou l'apostasie — autre indice de tolérance attestée — n'y est nullement
criminalisée. [3]
Notre intelligentsia ne
doit pas reproduire les errements de celle des Lumières européennes; elle doit
se référer à nos propres Lumières qui ne leur cèdent en rien, ayant alimenté
même la Renaissance. Elle ne peut évacuer du champ du savoir la dimension
essentielle de l'ontologie arabe musulmane. C'est à ce préjugé dogmatique que
je m'attaque avec le renouvellement que je propose du questionnement de la foi
en notre postmodernité.
Aujourd'hui, c'est un tel
retour au riche legs de la spiritualité islamique qui risque de capoter en
Tunisie si l'Europe, son plus proche voisin, continue de faire l'autiste et
n'aide pas le pays à s'engager résolument et sans appréhension ni remords dans
la voie de la nouvelle modernité politique. Comment? En ouvrant ses portes à
l'adhésion de la Tunisie.
Retour sur un tabou :
Les Européens ne doivent plus
être « les idiots du village planétaire », pour reprendre l'expression du ministre français
Arnaud Montebourg ! C'est que personne ne doute que l'avenir du processus
démocratique actuel en Tunisie ne puisse se passer de relations bien plus
consistantes avec l'Europe nécessitant plus de sérieux de la part de l'UE dans
sa volonté affichée d'instauration d'une démocratie véritable au sud de la
Méditerranée.
Au-delà du test pour
l'Europe, un rappel à ses propres valeurs ainsi qu'une mise en garde contre
l'abandon de la Tunisie aux démons extrémistes qui cherchent à s'en saisir, en
faire un foyer de graves périls sur sa frontière sud, mon plaidoyer pour
l'adhésion de la Tunisie à l'UE est aussi une évaluation de la sincère volonté
du gouvernement tunisien à rompre avec ses références d'un autre temps afin de
s'engager irrévocablement pour l'avènement en Tunisie d'une démocratie
véritable dans le cadre d'un islam paisible que je nomme postmoderne.
Certes, on est bien loin,
trop loin, de pareil objectif; mais ce n'est pas une raison pour ne pas
l'indiquer en ces temps de doute, et surtout de démagogie et de désillusions,
où les vérités ne sont plus bonnes à dire, où l'on marche sur nos têtes et à
reculons.
Concevant l'acte politique
dans sa noblesse comme un défrichement de chemin en éclaireur des pistes les
plus prometteuses dans les dédales des jungles des intérêts et des
arrière-pensées, je pratique l'optimisme comme un pessimisme raisonné; et
pareil optimisme — un volontarisme en fait — est d'autant plus de rigueur que
l'horizon est sombre, sinon menaçant, comme le démontre cette période censée
être de festivités et qui est triste à mourir.
Or, l'essai, même
maladroit, même naïf, est préférable à une abstention d'action, et bien pis de
pensée, ce qui revient à une prime aux menées malfaisantes qui, elles, ne
s'arrêtent jamais. Et quand on croit, comme tous les scientifiques sérieux
aujourd'hui, à l'effet avéré de cette pensée qu'on appelle positive et qui est
la concentration forte et déterminée sur un objectif précis, on ne peut plus ne
pas s'y adonner avec force quitte à le faire en solitaire et dans le
désintéressement, sinon la réprobation ambiante.
C'est qu'on néglige un peu
trop l'importance de l'imaginaire dans la construction de nos perceptions, nos
réalités les plus tangibles pouvant se révéler mythiques pour peu qu'on ne se
décide pas à remettre en cause notre façon de les aborder, de les
imaginer.
Penser à l'objectif et agir
pour son advenue sans se laisser distraire par la distance qui nous en sépare
revient inéluctablement à raccourcir une telle distance, la faire disparaître
même ! Et nous le voyons aux moments des bouleversements périodiques qui
rythment l'histoire humaine. Ce qui est arrivé et reste à s'épiphaniser en
Tunisie en est un exemple.
Plaidoyer pour la Tunisie en Europe :
Je suis loin d'être le seul
à avancer ce que d'aucuns prennent pour une hérésie; d'autres l'ont fait, ayant
bien plus de qualité que moi. Je me limite ici à citer l'un d'eux, Sylvain
Kahn, professeur d'histoire de l'intégration européenne à Sciences Po, en
rappelant qu'il est l'auteur de Géopolitique de l'Union européenne[4]
et codirecteur du Dictionnaire critique de l'Union européenne.[5]
Ce penseur émérite conclut
ainsi un article publié au Monde, intitulé : Proposons à la Tunisie d'adhérer à
l'Union européenne : « L'heure n'est plus aux dons et à la guerre anti-émigration. Avec
les Tunisiens, il s'agit de conforter l'État de droit naissant, le dynamisme de
la population et une économie sociale de marché libérée du népotisme, de la
corruption et des monopoles prédateurs. Que l'UE place la Tunisie démocratique
sur un pied d'égalité. Qu'elle lui propose d'adhérer. »[6]
Bien sûr, il n'a pas manqué
et il ne manquera pas des plumes pour s'y opposer, dénoncer une prétendue
bêtise, quand elles ne font qu'étaler la leur, y compris probablement leur
mauvaise foi.
Que disent-elles? Que la
Tunisie dans l'UE, ce n'est pas sérieux ! Et elles citent le cas du Maroc qui a
relevé le défi en déposant dans les années quatre-vingt sa candidature pour
adhérer à la Communauté Économique Européenne et qui essuya un refus net en
1987 de la part des chefs d'État et de gouvernement européens.
Toutefois, il est possible
de répondre à cela que, d'abord, le Roi du Maroc ne se faisait pas d'illusions
quant à la réponse négative, mais agissait surtout pour des considérations de
politique intérieure; et qu'en plus, il a réussi à susciter le débat et à en
profiter pour glaner quelques avantages, couronnés par l'accès du Maroc, en
premier, au statut d'associé avancé que la Tunisie, malgré ses avancées
démocratiques récentes, peine à concrétiser. On doit aussi rappeler à ces
esprits à la courte vue que la situation d'aujourd'hui n'est plus la même et
que la géopolitique commande désormais à l'Europe de repenser ses rapports avec
ses voisins du sud si elle veut y garder pied.
Pour réfuter la prétention
pour un pays du Maghreb de rejoindre un jour les 27, on nous réfère aussi à
l'article 49 de la constitution européenne, stipulant comme condition pour
postuler à l'adhésion à l'Europe le critère du respect des valeurs visées à
l'article 2 et de l'engagement à les promouvoir. Or, il ne s'agit rien de moins
ici que d'un argument ad hominem, puisque le meilleur moyen de respecter
pareilles valeurs et d'encourager le processus en cours en Tunisie.
Certainement, on ne manque
toujours pas, pour dénoncer le prétendu peu de sérieux de notre demande, de
revenir à la sempiternelle ritournelle de la non-appartenance de la Tunisie à
l'Europe. Toutefois, on se garde généralement de reconnaître qu'on ne dispose
d'aucune définition juridique de ce qu'est un pays européen, terme utilisé dans
l'article 49.
Certes, comme le dit Moreau
Defarge de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI), « il existe une définition schématique pour dire
que c'est un territoire qui irait de l'Atlantique à l'Oural. Le sud de la
Méditerranée n'en a jamais fait parti ». Là encore, c'est la conception surannée qui prédomine en un
monde qui a changé, où la frontière la plus pertinente est celle de l'adhésion
aux valeurs du pluralisme et de la démocratie. On n'appartient plus, en
postmodernité, à une aire géographique, on relève d'une communauté de pensée et
de valeurs. On ne parle plus d'appartenance, mais d'apparentement. Et il ne
s'agit de rien d'autre que d'aider la Tunisie à s'installer en démocratie en
lui ouvrant les portes de l'Europe.
Il ne nous est plus
possible, sauf à manquer de sérieux, d'être aveugle aux réalités actuelles du
monde dans la totale imbrication de ses différentes parties. La seule
nationalité qui vaille aujourd'hui est celle de la démocratie, et le seul
territoire pertinent est non pas géographique mais idéologique. Sinon, on verse
dans un quasi-racisme politique fondé sur l'appartenance à un continent, comme
on prétendait naguère distinguer les humains par leur prétendue race.
Pour revenir à Sylvain
Kahn, notons qu'il évoque à juste titre les exemples expressifs de la Grèce, du
Portugal et de l'Espagne qui, par la perspective d'une adhésion à la CEE, ont
vu leurs efforts soutenus et encouragés dans leur difficile transition
démocratique à la fin des années soixante-dix au sortir de la dictature. Bien
sûr, diraient les ergoteurs, l'européanité de ces pays ne laissait aucun doute;
mais nous leur répondons que c'était un temps révolu, un monde englouti.
Aujourd'hui, l'européanité véritable est ce que je qualifierais du néologisme
de « démocratialité »; sinon ce sont les intégrismes de toutes sortes qui mettront à
nu, à leur manière, la conception actuelle antique et obsolète renouant sans
vergogne avec un européocentrisme mort depuis longtemps.
Évidemment, on ne peut ici
ne pas évoquer le cas de la Turquie qui a vu le Conseil européen autoriser, en
2004, l'ouverture de négociations officielles en vue de son adhésion. Accepter
ainsi la candidature d'Ankara était-ce donc seulement lui reconnaître le statut
d'État européen? N'a-t-on pas fait qu'ancrer la Turquie dans le système
démocratique mondial nonobstant l'argument que le pays a été considéré comme
juridiquement européen?
Je préfère assurément la
première raison, et c'est celle qui compte aujourd'hui, bien plus que le fait
qu'une partie du territoire turc soit située dans l'Europe géographique. Car s'arrêter
à cet argument et oublier la dimension géostratégique, c'est faire montre
d'inconscience et d'irréalisme, sans parler de cet ergotage revenant à tenir
des comptes de boutiquier politique quand il est question, plus que jamais, de
paix et de solidarité mondiales.
L'Europe est d'ailleurs
consciente de sa dimension méditerranéenne; et son initiative relative à l'Union
Pour la Méditerranée n'a fait que le confirmer, même si l'idée initiale a été
vidée de toute pertinence, se transformant en cache-sexe cherchant à retarder
l'inéluctable. Mais, rappelons-le encore, tout cela se passait avant la
révolution tunisienne et le printemps des peuples arabes qui a suivi et qui ont
changé radicalement la donne.
Il reste enfin à se
demander où est l'idéalisme dans l'attitude européenne actuelle, où est passé l'esprit
de conquête de l'Europe qui a fait d'elle ce qu'elle est devenue? Assurément, elle
renouera avec pareil esprit en osant offrir à la Tunisie ce que les dirigeants
tunisiens n'osent lui demander. Car si la Tunisie, si proche, si familière et
réellement paisible dans l'âme s'installe dans la liberté, ce sera tout
simplement l'épiphanie des valeurs des droits de l'Homme à l'échelle arabe, ces
valeurs qui sont censées être l'âme de l'Europe, notamment depuis la
décolonisation et le Traité de Rome.
Il est sûr, en effet, que
la perspective de l'adhésion de la Tunisie à l'Europe modifiera profondément
non seulement la nature de l'UE, mais aussi celle de la géostratégie dans le
monde, et en Méditerranée en premier lieu. La perspective d'une adhésion
similaire tentera, à n'en pas douter, plus d'un pays en Méditerranée pour agir
activement afin de répondre aux critères démocratiques exigés par l'Europe. Que
belle sera alors la revanche de l'Europe sur le rival américain qui lui a damé
le pion sur ce qu'elle croyait être sa chasse gardée !
À l'Europe de ne plus
perdre trop de temps pour réaliser que le monde a changé et que les concepts
obsolètes du passé ne sont, sous leurs dehors cérémonieux, que la face
hiératique d'une momie. Et il n'est que temps de comprendre que les extrémismes
se nourrissent de pareille inconscience doublée d'une navrante arrogance fondée
sur un égoïsme national suicidaire.
Que l'Europe comprenne
qu'elle peut faire en sorte que la Tunisie devienne la vitrine d'un pays où
cohabitent paisiblement démocratie et spiritualité, liberté et religion,
attachement à une identité et ouverture à l'altérité, une authenticité
revendiquée dans une communion assumée à l'œcuménisme.
Le merveilleux scientifique :
Ayons le courage de le
dire, quitte à passer pour un illuminé ou un hurluberlu : ce qui se joue en
Tunisie, aujourd'hui, ce n'est rien de moins que le destin du monde,
l'apparence future des rapports entre nations et cultures. La Tunisie est
aujourd'hui le laboratoire de ce qui se peut faire de meilleur en politique hic
et nunc.
Que les véritables
démocrates saisissent le sens et la portée de ces paroles qui sont moins
visionnaires que trempées dans l'humus humain quand il sait s'élever au-dessus
d'une condition voulue réductrice alors qu'elle est en mesure de toujours se
sublimer, la matérialité, les intérêts contingents se spiritualisant, faisant
des idéaux, de la transcendance une immanence assumée, un divin social
postmoderne.
En Tunisie, la démocratie
ne se stabilisera que grâce à la renaissance de l'espoir chez le peuple; et il
peut ne dépendre, bien plus qu'on n'ose le croire, que d'un geste, pour peu
qu'il soit éminemment symbolique.
Ce que je propose est un
acte à double détente. D'abord, la liberté de mouvement à octroyer aux
Tunisiens dans le cadre d'un visa biométrique de circulation qui ne cède en
rien aux considérations majeures de sécurité européenne.[7]
Ensuite, l'encouragement des efforts actuels pour l'assomption d'un islam
humaniste, pluraliste et tolérant articulée nécessairement à la perspective de
l'adhésion à l'Europe, synonyme de voie balisée vers la démocratie.
On verra alors que la force
de croire au meilleur fera sortir nos jeunes désabusés des griffes de
l'obscurantisme pour la mise en œuvre d'une autre façon de croire, en totale
symbiose avec les exigences d'une démocrate de notre temps. Aider à l'éclosion
d'un pareil islam, c'est barrer la route à toutes les déviations possibles vers
la haine et l'exclusion de l'autre, et qui doit commencer, pour l'Europe, par la
rupture avec sa propre politique d'exclusion envers les pays de la rive sud du
lac commun qu'est la Méditerranée. La Tunisie lui donne l'occasion de le faire
et le Nobel qu'elle vient d'avoir l'y incite.
Car on doit se persuader
qu'actuellement, en Tunisie, il n'est question que de retrouvailles avec le
merveilleux scientifique, pour reprendre le titre d'un ouvrage parlant de la
thaumaturgie de Jésus Christ[8]
et publié en France à un moment où toute l'Europe était acquise au courant
romantique allemand à la faveur de la redécouverte du domaine magico-religieux
antique sous un nouveau jour, le faisant entrer dans celui de la psychologie et
des sciences naturelles.
En notre pays, il s'agit
moins d'une réinterprétation radicale de notre corpus religieux que d'une
interprétation spirituelle, menée selon son esprit, libérée de sa lettre, et
donc authentique, car conforme à la lecture qu'en faisaient les premiers
musulmans à un moment où la lettre du Coran était en harmonie avec son esprit. Aujourd'hui,
les temps ayant changé, mais l'esprit de l'islam demeurant le même, étant
éternel, c'est à la lumière de celui-ci que l'on doit lire la lettre du Coran,
comme le faisait le Salaf, puisqu'il est pour tout temps, valable sous toute
latitude; ainsi s'affirment indubitablement sa scientificité et son
universalité. Ainsi l'islam reste la révolution qu'il fut et qu'il est, un
islam de son temps, l'islam postmoderne.
Nous sommes à un moment
historique qu'il ne faut pas rater. Pour nos propres élites, surtout
politiques, pareil moment commande d'avoir une faculté d'intuition morale quasi
mystique autorisant cette capacité à sentir l'âme du peuple. De grâce, que
toute conscience libre et honnête agisse pour ne point tuer le rêve qui n'a
jamais été aussi loin de l'illusion, si proche de la réalité ! Soyons donc de
vrais politiques compréhensifs faisant un art de notre pratique, osons faire
possible l'impossible !
Notes :
[1] http://tunisienouvellerepublique.blogspot.fr/
[2]
http://tunisienouvellerepublique.blogspot.fr/2012/12/un-islam-reenchante-2.html#more
[3] Article en préparation.
[4] Armand Colin, 2007.
[5] Armand Colin, 2008.
[6]http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/02/proposons-a-la-tunisie-d-adherer-a-l-union-europeenne_1486982_3232.html
[7]
J'ai déjà consacré deux articles sur la question : Visa
biométrique et souveraineté nationale : http://tunisienouvellerepublique.blogspot.fr/2012/05/un-monde-desenchante-9.html#more — Pour un visa biométrique de
circulation pour les Tunisiens :
http://tunisienouvellerepublique.blogspot.fr/2012/06/du-virtuel-au-reel-9.html#more