Le temps du rêve pour l'Europe ?
Avec la fin du marathon
électoral en France, notre plus proche et grand voisin européen, voici l'Europe
devant ses responsabilités, et nos dirigeants aussi, pour envisager un meilleur
avenir pour notre bassin méditerranéen en vue d'en faire à terme ce lac de paix
et de prospérité rêvé. Serait-ce le temps du rêve?
Je m'explique. En gagnant
l'élection présidentielle et en obtenant la majorité pour gouverner, le parti
socialiste se trouve en meilleure position pour défendre ses idées allant à
l'encontre de la politique actuelle en vigueur en Europe qui a fait la preuve
de sa cécité face aux réalités de ses voisins du sud. Or, ce parti étant bien
plus ouvert que celui qui gouvernait la France quant aux questions relatives
aux rapports de l'Europe avec ces partenaires, la Tunisie serait bien inspirée
de solliciter son soutien dans le cadre d'une démarche officielle au plus haut
niveau de levée du visa pour les Tunisiens et tendant, pour le moins, à
susciter le débat sur la nécessité d'un espace de libre circulation humaine
entre partenaires démocratiques de part et d'autre du bassin méditerranéen.
Assurément, une telle
démarche, pour d'aucuns, si elle arrive à vaincre l'inertie qu'impose un principe
de réalisme politique castrateur, aura l'allure d'une irréalité. En effet, elle
a en vue, rien de moins, que la réalisation d'une véritable révolution dans la
politique européenne en direction de ses partenaires de la rive sud de la
Méditerranée dont la première manifestation pourrait être la transformation du
visa biométrique actuel en visa de circulation, une telle solution satisfaisant
à la fois les soucis sécuritaires des uns et la souveraineté des autres tout en
accédant à la revendication populaire tunisienne de circulation sans entraves.*
Or, l'Europe n'échappera pas
à la nécessité d'un aggiornamento des fondamentaux de sa politique
méditerranéenne. Outre le pacte social et le pacte fiscal qu'elle se doit
d'envisager à terme sur le plan interne et que lui impose le nouveau
gouvernement français, elle ne saurait échapper à un pacte de civilisation
méditerranéen créant une zone de libre circulation avec les États de la rive
sud de la Méditerranée devenus réellement démocratiques.
Cette libre circulation sera
loin d'être un privilège à octroyer ou une faveur à dispenser; elle est un acte
majeur de politique clairvoyante aux conséquences multiples dont les retombées
concernent les deux rives de la Méditerranée, notamment sur les plans économique
et social. Elle se doit donc de sortir des sentiers battus des politiques
envisagées jusqu'ici, qui sont de courte vue avec leur dimension extrêmement
technique relevant de la gestion financière et microéconomique, pour une
dimension macroéconomique envisageant la croissance en Europe intimement liée
avec celle de sa rive sud dans le cadre du codéveloppement et de la coopération
décentralisée, particulièrement.
Car comme elle a dû s'ouvrir
à l'Est européen, même si elle l'a fait tardivement et dans de mauvaises
conditions, l'Europe n'a plus le choix que de le faire aussi, et le plus tôt
pour que ce soit dans de bonnes conditions, au sud de ses frontières. Son
avenir économique en est tributaire, car la stabilité de la région en dépend
grandement. Et il n'est nulle croissance sans sécurité.
À la vérité, l'Europe avoue
avoir de la sympathie pour la Tunisie révolutionnaire et son parcours
démocratique. Or, il faut désormais passer de la sympathie à l'empathie pour
que ce parcours aille jusqu'au bout et fleurisse de ses meilleures promesses. De
fait, cela n'est pas lié aux conditions internes au pays, mais est pour une
grande part lié à son environnement.
J'expose ici par ces propos
un aspect du projet pour la Tunisie qui est le mien et qui prend en compte, sur
le plan intérieur, la cristallisation de l'héritage de l'islam en ce pays qui
consiste à l'amener à se questionner sur ce qui fait la vie de son peuple et ce
même là où on ne l'attend pas, où l'on n'ose pas à tort s'aventurer. Et ce
n'est pas l'inquiétude actuelle parcourant tout le corps social qui serait de
nature à en rétrécir l'intérêt; elle l'alimente même comme quelque chose
d'essentiel pour le progrès de la connaissance ainsi que l'assurait C. G. Jung
pour le milieu universitaire de son époque.
Mais ce plan intérieur ne
serait rien sans une action au plan externe telle que précisée ci-dessus. Que
cette pensée se heurte aux impondérables de l'inconnu dans le règne actuel du
conformisme ne diminue rien de sa portée, car elle va vers cet inconnu en
suivant le cours imprévisible de la vie et de ses rapports. Et c'est ce qui
nous est étranger aujourd'hui, l'autre et son monde, qui fait partie de ce qui
nous est le plus propre puisque nous ne nous appartenons pas, nous sommes juste
en relation. Et agir sur la nature de cette relation revient à agir sur ce que
nous sommes, tout comme solliciter l'autre, réclamer un changement de son
attitude à notre égard, c'est changer la nôtre à l'égard de nous-mêmes.
N'est-il pas vrai que nous
nous pensons autant que nous sommes pensés! « Je est un autre » affirmait Arthur Rimbaud dans la lettre à
Georges Izambard ! Or, la Tunisie est sa jeunesse et celle-ci est jeunesse du
monde. Et pour être réellement du monde, il faut y être, pouvoir y circuler
librement sinon l'on se retrouve dans une réserve, livré aux marchands
d'orviétan idéologique et aux vaticinateurs des paradis illusoires et des
enfers mythiques. Et c'est quand la jeunesse est traitée en mineure ou en
débile qu'elle investit sa vitalité dans les actions d'éclat, y compris les
plus extrêmes.
Dois-je rappeler que ma
pensée est issue d'une sociologie relativiste, essentiellement compréhensive,
se voulant un trajet initiatique entre l'Orient et l'Occident, rappelant les
influences réciproques entre le bien et le mal, nos parts de lumière et
d'ombre, le positif et le négatif dans un Orient ancré dans le symbolisme et le
spiritualisme, sinon le spiritisme, et un Occident encore porté par le positivisme
et la mythique du progrès? Et c'est aussi une pensée de rupture avec tout
dogmatisme, un retour à la sagesse postmoderne pour laquelle l'irrationnel
n'est pas non rationnel, car il est rationnel autrement.
Pour cela, j'ose appeler, en
éclaireur, à ce que le sens de l'histoire commande, moins en visionnaire qu'en
défricheur de la centralité souterraine de nos sociétés et qui affleure à la
surface afin d'anticiper préventivement la secousse sismique.
* Cf. à ce sujet mes articles sur mon blog Tunisie Nouvelle République
: Visa biométrique et souveraineté nationale : http://tunisienouvellerepublique.blogspot.fr/2012/05/un-monde-desenchante-9.html#more
— Pour un visa biométrique de circulation pour les Tunisiens :
http://tunisienouvellerepublique.blogspot.fr/2012/06/du-virtuel-au-reel-9.html#more
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