Pour un plan d'action véritablement révolutionnaire,
au niveau des attentes des Tunisiens !
Le Secrétaire d'État auprès du ministre des Affaires sociales en
charge des intérêts de nos expatriés vient de brosser les grandes lignes de son
plan d'action future à destination de cette part importante des citoyens
tunisiens. Le moins que l'on peut dire est qu'il se présente comme un plan
somme toute classique, d'ancienne génération en quelque sorte.
Car tout
plan d'action, s'il ne tient pas compte des aspirations profondes de la
population à laquelle il se destine, relève de la poudre de perlimpinpin. C'est
le cas de toute stratégie qui n'ayant pas d'idéal à atteindre (quitte même à paraître
illusoire ou fantasque au vu d'un principe de réalité forcément réducteur)
retombe fatalement au niveau de la basse tactique, des mesures de conjoncture,
une vision de courte vue. C'est que l'objectif n'étant pas ambitieux, le résultat
n'ayant pas de haute finalité, l'ensemble des moyens mis en œuvre se réduit à
de la gaudriole.
Certes, le
plan de Monsieur Jaziri ne manque pas de propositions devant retenir l'attention
de nos ressortissants à l'étranger, mais il n'a pas de réelle ambition et
surtout de vision d'avenir qui soit novatrice, au diapason des attentes de la
nouvelle République tunisienne. Pour le résumer sans le caricaturer ou le dénigrer,
nous dirons qu'il reste sans véritable âme.
Que
propose-t-il, en fait? Rien de bien nouveau : création d'un conseil et d’un
observatoire de l'émigration (sic), restructuration de l’Office des Tunisiens à
l’Étranger, en régionalisant son implantation et en renforçant son réseau
d'Attachés sociaux, et enfin octroi de certains avantages à nos expatriés
n'ayant rien à voir avec leurs exigences autrement plus importantes que celles
retenues qui sont purement matérielles. Il n'y en a, en effet, aucune, parmi
les mesures retenues, comme si la longue période d'exil en France de Monsieur
Houcine Jaziri ne lui a pas permis de relever les véritables préoccupations du
Tunisien expatrié et qui restent une plus grande participation à la vie du
pays, économique, sociale et politique.
Si
l'ambition du secrétariat d'État, comme il l'affirme, est véritablement de
reconfigurer le système actuel en vue d'en faire l'allié de nos expatriés, il nous
faut avoir le courage de dire qu'il a raté son coup, en étant bien loin du
compte avec son plan d'action tel qu'il a été présenté.
Certes, on
y trouve des engagements fermes, mais ils ne sont somme toute que logiques au
lendemain de la Révolution, imposés par la conjoncture économique ou ne
relevant que du vœu pieux. Il en va ainsi de la récupération des locaux à la
disposition de l’ex-RCD, de l'augmentation de la franchise douanière lors des
retours provisoires avec plafonnement des taxes dues à 1000 DT ou de cette
promesse d'agir en vue de la réduction des tarifs aériens et maritimes.
Il est
vrai qu'on y parle aussi — et cela fait partie de l'urgence absolue, bien évidemment
— de la révision du concept de l'action sociale et des espaces éducatifs et
culturels ainsi que de l'association, par des mécanismes adéquats, de la société
civile aux réalités des Tunisiens de l'Étranger. Hélas, il ne s'agit, dans le
premier cas, que d'une réflexion à
mener et, dans le deuxième cas, d'un engagement pour le futur, ne concernant
qu'un nombre réduit de pays (Grande-Bretagne, Maroc, Qatar et Émirats) dont on
ne précise ni la nature ni les moyens de sa mise en œuvre; et enfin, dans le
dernier cas, d'une pétition de principe, sans consistance réelle quand on sait à
quel point la société civile en Tunisie même est déjà très peu associée aux réalités
du pays.
Il va sans
dire que nous ne doutons pas de l'ambition nourrie par Monsieur Jaziri de faire
de son département, moyennant la rénovation du dispositif obsolète du cacochyme
Office des Tunisiens à l'Étranger, un axe focal pour les Tunisiens à l’étranger,
impliquant une intervention dans la gestion des affaires consulaires. Or, comme
il le concède lui-même, cette prétendue nouvelle stratégie en cours d'élaboration
a besoin de rallier le consensus nécessaire à son adoption; or, elle sera bien
difficile à obtenir, car elle exige bien moins un large débat, aussi bien en
Tunisie qu'à l’étranger, qu'elle n'en suscite eu égard à ses graves
implications quant aux complications et aux conflits qu'elle est de nature à créer.
À quoi
avons-nous affaire, en effet? À un recyclage d'anciennes habitudes, la mise au
goût du jour d'une antienne, le système ancien demeurant pérenne avec une méconnaissance
inexcusable des réalités du pays postrévolutionnaire et de ses expatriés.
Nous détaillerons
ci-après les graves lacunes du plan de Monsieur Jaziri et son esprit
conformiste pour ne pas dire conservateur. Mais disons, d'ores et déjà, un mot
sur quel type de stratégie il faut à la nouvelle Tunisie pour servir au mieux
ses expatriés, notamment en Europe, leur principal lieu de concentration.
Et, tout
d'abord, commençons par des considérations d'ordre méthodologique et épistémologique
inévitables : il urge absolument de se défaire des habitudes de nomenclature et
de catégorisation occidentales. Ainsi nous faut-il bannir désormais de notre
vocabulaire les termes obsolètes d'émigré et d'immigré. On ne doit désormais
parler que d'expatrié, terme qui a l'avantage d'être neutre, sans connotation
idéologique galvaudée.
Ensuite, et
dans le même ordre d'idées, il nous faut sortir du carcan de pensée occidentale comparant l'expatriation des ressortissants du Sud à de l'invasion qu'il faut contrôler
alors qu'elle relève du phénomène parfaitement normal et sain pour les citoyens
des pays occidentaux, occultant le fait historique, cette constante
anthropologique, que le propre de l'espèce humaine, le moteur de ses progrès et
même de sa survie est de bouger librement.
Le
corollaire logique d'une pareille rénovation de nos catégories conceptuelles
est de placer comme axe cardinal de notre diplomatie la levée à terme du visa
pour tout citoyen de pays démocratique; et la Tunisie en est un, désormais.
Car la libre
circulation entre pays liés par un nombre infini d'attaches n'a pas que des
implications économiques et politiques; elle relève d'une vision de développement
et d'une conception de civilisation. Et elle doit être au centre d'un projet de
revitalisation du vieux rêve du bassin méditerranéen comme lac de paix, de coopération,
d'entente et de progrès.
C'est ce à
quoi ont cherché à répondre très timidement — quand ce n'était pas pour détourner
l'attention des questions qui priment — les diverses stratégies de l'Europe en
direction de sa rive méridionale, y compris avec le projet d'Union pour la Méditerranée qui
fut un têtard politique, commençant avec les plus grosses ambitions pour finir
en une forme aussi cachectique que la queue de cette larve de batracien.
Voyons
maintenant le cœur de cible du projet de Monsieur le Secrétaire d'État. Il
revient à renforcer les attributions d'un corps qui n'a jamais été en mesure de
réaliser le petit plus attendu de lui au sein de nos ambassades et consulats,
ce corps des Attachés sociaux qui, pas plus qu'avant, ne sera pas en mesure de
rationaliser l'action sociale de nos représentations, mais contribuera bien à en
contrecarrer le sain déploiement.
C'est ce
qui se passait sous l'ancien régime, et cela semble devoir continuer sous le prétexte
fallacieux que l'on destine à l'accomplissement de l'action sociale dans nos
structures diplomatiques, et surtout consulaires, un corps qui y serait dédié. De
fait, il s'agit ici d'une classique ritournelle qui permettait le plus souvent à
la dictature déchue d'épauler ses militants, jamais assez pléthoriques dans ses
structures partisanes, par des agents censés aider les fonctionnaires des
Affaires étrangères. Or, quel est le rôle de ceux-ci sinon le service de la
communauté et l'action sociale? Leur faut-il des chaperons ou des supplétifs?
Et s'il faut maximiser leur spécialisation sociale, ce qui est une évidence, ne
doit-on pas veiller à les former pour ce faire ou nommer de vraies compétences
qui existent bel et bien aux Affaires étrangères!
Durant
toutes les longues années que j'ai passées au service de notre communauté en
France depuis si longtemps, et malgré la qualité morale et professionnelle de
certains Attachés sociaux, je n'ai vu dans leur présence dans nos structures
qu'un obstacle à la qualité du service rendu et un motif supplémentaire aux
querelles d'attributions et de personnes qui, comme de bien entendu, se faisaient
invariablement au détriment des intérêts de notre communauté. De plus, les
rares compétences que je voyais, parmi les agents du ministère des Affaires sociales,
dans nos structures consulaires étaient généralement des agents locaux et moins
des Attachés sociaux affectés depuis la Tunisie. Ceux-ci, s'ils étaient censés
avoir des connaissances sociales, n'en avaient qu'eu égard aux lois nationales,
car ils ignoraient le plus souvent tout de la nature du service de notre
communauté, de ses préoccupations et des lois du pays d'accueil, leur
affectation à l'étranger se faisant pour tout autre motif et/ou finalité que la
défense des intérêts de nos nationaux.
Aussi
pensons-nous que s'il devait rester dans nos structures consulaires des agents
locaux payés sur le budget du ministère des Affaires sociales, ils devraient être
ceux qui sont déjà en place depuis des lustres, quitte à être renforcés par
d'autres compétences recrutées sur place. En effet, c'est grâce au travail de
qualité de pareils agents, au côté de celui des agents locaux relevant du
ministère des Affaires étrangères, qu'est assuré l'essentiel du rendement en
nos consulats, et non par les supposées compétences envoyées de Tunisie,
souvent juste pour plastronner.
Mais il
nous semble plus rationnel et judicieux d'agir en vue de fondre le personnel
des affaires sociales dans celui des affaires étrangères plutôt que de laisser
les choses en l'état tout en les compliquant davantage, non seulement en
maintenant mais en renforçant un corps (celui des Attachés sociaux envoyés en
mission) qui s'est souvent révélé inutile et même pernicieux, étant à l'origine
bien plus de problèmes que d'un supplément d'efficience au travail.
Il nous
faut aussi prendre conscience du fait que la structure sociologique de notre
communauté expatriée a changé, qu'elle n'a plus besoin d'être assistée et
surtout pas encadrée. Bien mieux, ses membres sont même tout à fait en mesure
de servir les intérêts de leurs compatriotes eu égard à l'incompétence avérée
de certains des attachés sociaux et même des diplomates lorsqu'ils ne font qu'une
sinécure de leur passage au poste auprès duquel ils sont affectés. En effet, notre communauté expatriée est riche
de compétences et de talents qui n'attendent qu'une volonté sincère de nos
autorités pour prêter main-forte à l'œuvre nationale de modernisation tous
azimuts. Aussi, ne peut-on plus considérer le service de notre communauté du même
œil qu'avant.
De fait,
c'est d'une stratégie de nouvelle génération que la Tunisie a besoin, où
l'action sociale sera articulée, pour une part, sur les dispositifs de coopération
décentralisée et, pour une autre part, imbriquée dans les politiques de la
ville des pays d'accueil. Ceux-ci, par ailleurs, ne doivent plus être considérés
comme totalement étrangers puisque la plupart de nos nationaux en sont les
ressortissants, non seulement en termes juridiques d'allégeance, mais aussi
d'une manière disons putative, du fait de la durabilité et l'ancienneté de leur
installation. C'est pour cette raison, au demeurant, que l'on envisage, dans
certains pays, le principe du vote des étrangers aux élections locales.
C'est donc
à une révolution de l'esprit même de l'action en faveur de notre communauté
expatriée que l'on doit s'atteler, ce qui explique les considérations
liminaires sur l'importance de la méthodologie et de la symbolique des actions.
Présent en
France d'une manière discontinue depuis 1983, dont une quinzaine au service de
nos concitoyens expatriés, et n'ayant de cesse d'observer les réalités de cette
présence et d'en saisir les caractéristiques sociologiques, je crois être bien
placé pour dire ce qui semble être le vrai aujourd'hui au moment où notre pays
entame à son tour une entrée remarquée en postmodernité.
Comment
donc réussir un service irréprochable en direction de notre communauté expatriée?
D'abord et
avant tout, et je n'y reviendrai jamais assez (quitte à faire rire, mais ce
serait alors le rire de l'idiot et non de Voltaire), par l'action hautement
symbolique qui doit primer tout et qui s'adressera aux consciences tunisiennes en
ce qu'elles ont de plus intime, soit leur sens de la dignité, et qui consiste à
faire du principe de levée du visa à la circulation du Tunisien un axe
fondamental de la diplomatie de son pays.
Ensuite, par
le rattachement au seul ministère habilité en le domaine, le ministère des
Affaires étrangères en l'occurrence, de tous les personnels présents dans nos
structures diplomatiques et consulaires au service de nos compatriotes expatriés.
Partant, l'actuel secrétariat d'État doit même être logiquement rattaché audit
ministère et le rôle de l'Office des Tunisiens à l'Étranger refondé pour devenir,
entre autres, le gestionnaire spécialisé des personnels locaux en service à l'étranger.
Cet Office
pourrait aussi avoir pour tâche la conclusion de contrats de mission avec les
compétences expatriées, ce qui doit devenir une pratique de base de son action,
car ce sont bien nos compétences installées à l'étranger qui sont le plus à même
de servir les intérêts de leurs compatriotes et d'épauler les fonctionnaires
venant de Tunisie pour un temps.
C'est que
la nature du travail dans nos structures à l'étranger doit changer, s'ouvrant
aux mondes du savoir : à l'université, par exemple, par le biais de nos
chercheurs et enseignants, aux barreaux des pays d'accueil à travers nos
avocats et personnels juridiques et judiciaires, et aussi au secteur médical et
paramédical moyennant des relations soutenues avec nos concitoyens en ce
domaine, etc.
Un centre
socioculturel, dont la création urge, peut se charger de l'essentiel de cette
activité, et sa gestion pourrait être confiée à l'Office new-look. Mais là
encore, il doit s'agir d'une activité socioculturelle de nouveau type, ne se suffisant
plus de l'action culturelle statique, s'engageant dans des actions ambitieuses
scientifiques (de recherche et d'appui à la recherche), sociales (de défense et
de représentation) informationnelles (d'information, de conseil et de
vulgarisation); et, en un mot, de prospection multidisciplinaire de nouvelles méthodologies
d'action et de service.
C'est en étant
ainsi ambitieux dans la gestion des intérêts de nos expatriés et, à travers eux,
de notre pays que nous serons à la hauteur de la Révolution. Et la Tunisie a
les moyens de son ambition, son élément humain, grâce à son inventivité et son
originalité, étant d'une richesse infinie. Pourvu que les hommes au pouvoir
actuellement ne négligent pas ce milieu foisonnant de merveilles pour un futur
qui sera assurément alors à la hauteur des attentes de la Tunisie Nouvelle République
!
Publié sur Nawaat