Lettre ouverte à Monsieur Samir Dilou : Pour ne pas être les complices
objectifs des violeurs des droits de l'Homme !
Monsieur le Ministre,
Vous avez en charge les
droits de l'homme, et pour en avoir eu aussi la responsabilité, à mon niveau,
au sein de l'ambassade de Tunisie, outre ma fonction de Conseiller social, de
1992 à 1995, je sais de quel poids pèse pareille noble mission, surtout
lorsqu'on s'honore de veiller au strict respect de nos principes et valeurs et
qu'on les défend vaille que vaille, contre vents et marées.
Moi qui le faisais à
l'intérieur de l'administration d'une dictature, au nez et à la barbe de ses
maîtres, j'ai fini par le payer cher et accepté que ma carrière soit abusivement
ruinée sans renoncer à mes valeurs.
Vous, ministre d'un État se
voulant désormais démocratique, votre office est nettement plus facile, car
c'est contre votre propre conception des valeurs et celle des plus dogmatiques
des troupes de votre parti ou des couches les plus traditionalistes de la
société qu'il vous faut lutter.
Ce faisant, vous êtes alors
réellement et totalement au service des valeurs des droits de l'Homme, toutes
les valeurs sans restriction aucune, surtout celles relatives aux mœurs et à la
garantie aux personnes d'une liberté sexuelle totale du moment qu'elle ne relève que du cadre
de leur stricte vie privée.
Or, dernièrement, vous avez
tenu des paroles pour le moins intolérantes à l'égard de certaines catégories
de notre société, les homosexuels en l'occurrence, mais aussi les auteurs de
tout rapport sexuel hors mariage, ce qui en dit long sur votre conception
restrictive des droits fondamentaux de l'Homme, pourtant indissociables d'avec
une totale liberté des mœurs qui ne doivent relever que de la sphère privative
de la vie des gens.
Ce qui est bien plus grave,
c'est que tenant de pareils propos, vous ouvrez un boulevard d'impunité aux
menées de certains escrocs qui profitent du désir légitime de liberté des mœurs
chez notre jeunesse pour abuser d'elle.
Que voyons-nous, en effet,
aujourd'hui? Des jeunes, filles et garçons, épuisant en eux sans retenue l'élan
vital, croyant vivre leurs pulsions et leurs passions privées en une stricte
intimité, ce qui doit demeurer le droit garanti, se retrouvent exposés en
public dans des revues spécialisées et à tout venant sur Internet sans pouvoir
réagir, la crainte d'être poursuivis pour outrage aux bonnes mœurs et de risquer
même leur vie pour crimes moraux majeurs les retenant de réclamer réparation ou
d'agir pour faire cesser la violation de leurs droits légitimes.
Car les bandits, abusant
ainsi de ces jeunes, sont assurés de continuer à s'adonner en toute
tranquillité à leur sale besogne, encouragés en cela par les insuffisances de
notre droit actuel ainsi que par la conception dépassée des mœurs encore
défendues par nos responsables, dont vous semblez continuer d'en faire partie
malgré vos responsabilités et au grand dam de tous les défenseurs des droits de
l'Homme.
Une telle conception fait de
vous, à votre corps défendant, le complice objectif de pareils profiteurs qui
ne voient dans nos jeunes filles et garçons que de la chair fraîche pour un
commerce juteux, au mépris du droit à l'image de ces jeunes dont ils foulent au
pied la volonté et la dignité.
En effet, ces derniers savent
qu'en l'état actuel de notre législation, les jeunes gens et jeunes filles qui
voient leurs droits bafoués pour avoir juste osé vivre pleinement leur vie,
avec ses passions, ses pulsions et ses désirs, ne peuvent se retourner contre
ceux qui abusent de leur naïveté ou de leur confiance en vue de demander
réparation puisqu'ils risquent eux-mêmes de se retrouver poursuivis pour
atteintes aux bonnes mœurs.
Quel terrible et tragique
renversement des choses quand le fautif se trouve à l'abri de toutes poursuites
et la victime sommée au silence et à l'acceptation de l'exploitation par la
faute de règles morales encore en cours en Tunisie bien que dépassées par la
vitalité de la société !
Monsieur le Ministre, c'est
votre responsabilité de protéger ces jeunes quel que soit votre jugement personnel
sur leurs actes. Si vous persistez à les estimer fautifs de se laisser abuser
de la sorte, vous conviendrez volontiers que leur faute demeure bien moindre
par rapport à la forfaiture de ceux qui abusent d'eux et continuent de le faire
à l'ombre de la conscience tranquille de nos moralisateurs.
De plus, la révolution
tunisienne, qui a libéré notre jeunesse de la peur d'antan, se doit de lui
garantir le libre exercice de sa liberté entière par une protection sans
parcimonie contre tous ceux qui profitent de l'élan de liberté retrouvée pour
piéger cette jeunesse et abuser d'elle.
Aussi, je crois qu'il est
urgent de lancer un signal fort aux jeunes et à ceux qui les exploitent : appeler
au gel de l'application — en attendant une abrogation pure et simple — de
toutes les mesures restrictives des libertés en matière de mœurs et ouvrir le
droit d'ester en justice et de poursuivre ses agresseurs à tout un chacun
abusé, se retrouvant contre son libre gré publiquement acteur de scènes qu'il
croyait strictement privées.
Que votre ministère soit pour
de tels jeunes non pas le père Fouettard, mais la bouée de secours les sauvant
des griffes des brigands des mœurs qui mélangent liberté et exploitation,
profitant ainsi de la misère sexuelle héritée des années de dictature, et
qu'une conception rigoriste ne saurait que conforter !
Veillons à ne pas être les
complices objectifs des violeurs des droits de l'Homme, Monsieur le Ministre,
en tendant la main à notre jeunesse, en l'encourageant à réclamer, sans risque
de la moindre stigmatisation, flétrissure ou sanction, le respect de son droit
à son image et de sa dignité. Car, en notre Tunisie postrévolutionnaire, un
Tunisien, cela se respecte ! Sa gentillesse naturelle et son envie de vivre ne
doivent pas être un biais pour bafouer son honneur.