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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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samedi 22 novembre 2014

De la patrie à la matrie 9

Quelle Tunisie demain ?

  
  

L’honneur est toujours dans la fidélité qu’elle soit — politiquement — aux valeurs démocratiques ou — religieusement — à la foi authentique; car cette fidélité doit être au goût de cet autrui qui nous habite totalement, peu ou prou, et qui n’est que l’autre soi-même. C’est le goût de l’altérité qui est alors celui de l’ailleurs chez un meilleur que soi, l’autre nous-mêmes sans lequel on n’est rien et nulle valeur n’est une valeur vraie.

Celle-ci est d’abord humaniste; or l’humaine nature reste imparfaite, ayant toujours besoin d’évoluer, s’améliorer, faire sa révolution sur soi et la poursuivre tout le temps comme on se lave régulièrement. La révolution est aussi et surtout un retour à ce qui est essentiel, primordial, archaïque.

Pour l’islam « pol-éthique »

C’est en cela que l’islam, débarrassé de ses intégrismes, sa conception caricaturale essentialiste, peut et doit être cet archaïsme-là au sens étymologique d’élément premier, fondateur. Faut-il le sortir de la morale immorale qui le marque actuellement, en termes modérés chez nous, et paroxystiquement ailleurs, pour lui restituer sa morale vraiment morale, donc éthique.

L’islam politique est ainsi un islam « pol-éthique », un i-slam en symbiose parfaite avec l’époque postmoderne qui est la nôtre ; il est forcément un islam postmoderne.

Dans l’anomie actuelle des terres d’islam qui n’est qu’à l’image de celle du monde entier en plus dramatique, il y a paradoxalement matière d’espoir. C’est que l’état de dérèglement généralisé qu’est l’anomie est riche d’effervescences et de potentialités ; il est ce quelque chose de structurant sans lequel rien ne change, car rien ne dure sur terre.
           
Un présentéisme moral

Aussi nous faut-il nous adonner à ce qu’on appelle du présentéisme, nous débarrassant de la thématique dépassée du futur, l’avenir radieux qui n’est qu’une déclinaison laïque du thème religieux du salut; l’infini est dans le présent si on sait le prendre tel qu’il est.  

C’est ce qu’enseigne l’école sociologique de l’imaginaire, désormais incontournable pour comprendre notre monde ; elle insiste sur l’idée centrale du climat (umwelt), ce tout invisible qui soude les membres d’une communauté.

Or, le climat dans notre communauté arabe islamique est à la mystique, dévergondée certes par certains, mais pas moins triomphante à la faveur du retour du mythe dans les sociétés postmodernes. Et la mystique constitue la genèse du social, ne l’oublions pas; tout commence par la mystique pour se terminer par la politique !

Le sacré immanent

On a ainsi pu parler du sacré immanent ; un sacré qui, plus que jamais, peut sortir de sa gangue ésotérique en islam pour une épiphanie d’état exotérique grâce à l’islam « poléthique ».

Il suffira que l’on découvre dans notre foi éminemment humaniste et œcuménique l’impératif de l’altérité qui lui est consubstantielle, cette nécessaire sortie de soi, de l’entre soi — si caractéristique de la société occidentale en déclin pour excès de matérialisme — que le soufisme a incarné assez tôt dans la civilisation de l’islam.

Un tel islam politique éthique (poléthique) est une invitation à réveiller notre conscience somnolente, arabe musulmane, mais non seulement. C’est une telle somnolence de la conscience humaine qui a produit et reproduit les horreurs les plus diverses et les malheurs de notre monde, tel Daech, ultime manifestation dont la responsabilité incombe à tout le monde.

Pour un humanisme intégral

Quid de Tunisie demain ? Une fois que la scène politique y aura été purgée de ses excroissances politicardes et ectoplasmes intégristes, il est possible d’y mener une réflexion salutaire sur le théâtre du monde (thatrum mundi), y appeler enfin à un humanisme intégral.

Cela suppose que l’on sublime tous nos égoïsmes pour oser quêter et concrétiser l’ordre amoureux (ordo amoris) appelé à se substituer à l’ordre haineux qui domine les cœurs et marque la civilisation actuelle où la matérialité a tué toute spiritualité, et donc la moindre humanité. D’où cette propension chez d’aucuns à chercher l’état angélique ; or, c’est en voulant étouffer la part d’animalité qui fait partie intégrante de l’essence humaine qu’on verse immanquablement dans la pure bestialité.

Il urge d’acclimater à notre être le possible (souvent vu en fallacieux im-possible), d’en finir avec ces fausses élites anémiques, cause et effet de nos sociétés anomiques. Ce qui suppose, après prise de conscience de ce qu’un fin connaisseur de notre pays, Jean Duvignaud, qualifiait de « structure dérisoire du monde »,  d’oser faire usage de l’utopie, ce qui peut sembler relever de l’illusion (illusio); or, cette dernière, étymologiquement, signifie : être dans le jeu.

Être dans le jeu du monde

Comment être dans le jeu d’un monde globalisé sans réaliser que l’on ne peut échapper au marqueur de la société globale actuelle qui est la transculturalité ? Cela impose la mise en œuvre d’une « combinatoire nouvelle » pour rompre au moins avec l’hystérie à laquelle s’identifient encore nos élites aux regards toujours tournés vers l’Occident et surtout la France qui, du point de vue psychiatrique, a été rangée de ce côté-là par son meilleur observateur que fut Foucault !

L’occasion est d’or en Tunisie au lendemain des élections pour en finir avec ce que Baudrillard appelait le « monde du simulacre et de la simulation ». Car, au-delà des déclarations d’intention sur le modèle économique et les mœurs politiques, on ne pourra point y agir rapidement sur de tels plans ni obtenir les résultats souhaités. Par contre, on pourra parfaitement modifier les lois qui ont le plus de prise sur l’inconscient collectif, créant un effet stimulateur, un terreau propice aux inévitables évolutions économiques, politiques et culturelles. Et ces lois et règlements sont pour l’essentiel à connotation religieuse et à tort supposés moraux.

Tout l’arsenal liberticide de la législation scélérate de l’ancien régime doit être aboli sans plus tarder, notamment les mesures corsetant les libertés privées et les mœurs individuelles au nom de l’islam. C’est le démantèlement de tels freins à une véritable démocratisation qui autorisera l’évolution nécessaire pour un vivre-ensemble enfin possible et paisible à l’intérieur du pays.

Fatalement, cala autorisera aussi l’extension de l’exigence démocratique au plan international, à notre environnement immédiat, permettant de dépasser nos inhibitions à exiger, d’une part, la fatale libre circulation en Méditerranée et l’adhésion de la Tunisie à l’Union européenne. Cela permettra, d’autre part, d’oser enfin normaliser nos rapports avec Israël, en faire un véritable allié, et plus ce faux ennemi intime, afin d’agir efficacement en vue de l’amener à la seule légalité internationale équitable au Proche-Orient, celle du partage de 1947, à défaut de l’État unique multiconfessionnel.

Certes, pour beaucoup, cela relève de l’illusion encore aujourd’hui ; néanmoins, ainsi que nous l’avons déjà dit, c’est la seule manière d’être pour la Tunisie dans le jeu politique et diplomatique du théâtre de ce monde où comparses et bouffons prennent la place souvent des acteurs de panache en mesure de transfigurer le monde.    

Il est vrai, le futur allié islamiste du parti majoritaire n’est pas encore assez prêt pour une telle révolution mentale malgré ses affirmations d’une conversion démocratique. Il pourra se faire une raison en ayant tout loisir de s’occuper de la réforme du système éducatif qui laisse à désirer, notre peuple ayant perdu sa langue dans une fausse ouverture au monde. Or, qui ne sait parler ne point, à plus forte raison, penser !

Dans ce qui pourrait être son combat majeur, le parti Ennahdha pourrait se charger — dans le cadre de l’ouverture actuelle de la Tunisie aux cultures du monde qui est à maintenir et à renforcer — d’enrichir notre système éducatif en y ajoutant la  dimension d’authenticité nécessaire qui lui manque. Elle portera sur la place de choix que mérite la langue arabe et qui doit lui revenir,  et ce en usant de son meilleur véhicule qu’est le Coran. Un tel enseignement se fera toutefois scientifiquement et non idéologiquement ; ce qui serait faire d’une pierre deux coups : apprendre l’arabe et redécouvrir l’islam tolérant et pluriel.

De la patrie à la matrie

Quid maintenant des élections, vraies portes de ce demain qu’on espère enchanteur et qui en porte bien la promesse ?

On le savait déjà : la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a ! La Tunisie fait ses gammes en démocratie, et on ne pouvait éviter dérapages et bavures. Mais on le sait aussi : la femme de César ne doit pas être soupçonnée. Aussi, l’encre électorale fut une honte pour ces élections, car elle stigmatisait inutilement l’électeur tunisien pour faire le bonheur de ces commerçants.

Les élections en Tunisie n’ont pas moins permis de clarifier les choses sur la scène politique, amenant à distinguer en notre classe politique les parts d’ange et de démon inextricablement mêlées dans la nature humaine comme on ne peut l’ignorer.

Elles éclairent ainsi d’une lumière crue ce qu’il importe de faire pour préserver les acquis d’une Tunisie qui est bien plus postmoderne qu’en voie de modernisation politique. Le paysage politique enfin clarifié, il urge d’avoir le courage de prendre les mesures qu’impose la situation nouvelle afin que notre pays reste le modèle d’innovation politique qu’il revendique, mais qu’il peut perdre si ses élites en charge de son sort n’arrivent pas à être à la hauteur des exigences de ce moment historique mondial, nécessitant le tournant (kehre) culturel majeur évoqué ci-dessus, de nature à assurer une mise à niveau des mentalités de nos élites politiques et religieuses.

En effet, c’est à ces élites d’évoluer, le peuple dans sa majorité ayant déjà fait sa propre mue, une révolution mentale, à la faveur de son Coup, la révolution 2.0. Or pour lui, un tel exemple d’excellence venant d’en haut sera la meilleure motivation afin de reprendre confiance dans ses dirigeants et faire encore plus pour son pays, se distinguant de la médiocratie ambiante et l’horreur rampante.

Il est donc temps de passer de la société des pères que nous avons trop connue à une société des frères, soit de la verticalité du pouvoir, morale et judicative, à une horizontalité égalitaire et libertaire. Bien mieux, il nous est permis de rêver quitter le statut saturé de la patriarcalité du passé à une matriarcalité fondant notre avenir en renouant avec le passé, le futur tunisien étant fait femme.

L'étymologie du mot patrie nous vient du latin patria, voulant dire « pays du père », le pater, en latin classique voulant dire père comme on le sait. Or, en un temps qui est orienté à la féminisation, il est plus que jamais temps de revoir nos présupposés, changer nos mots pour nous adapter aux choses qui ont évolué, n'ayant plus le même sens qu'avant.

Déjà, la patrie est au féminin ! Et c'est bien une communauté politique, une nation à laquelle on a le sentiment d'appartenir. On parle également de mère patrie et de petite patrie, toujours au féminin. Ce n'est pas pour étonner lorsqu'on sait que la patrie est une matrice et que la matrice renvoie forcément à la mère.

D'ailleurs, d'antique mémoire, c'est toujours la mère qui a été le creuset des générations ; c’est elle qui assure leur permanence et la transmission de l'héritage familial comme cela a été conservé par la tradition religieuse juive dont on a une illustration dans la nôtre avec la protection de la femme vue d'abord comme mère et donc en réceptacle des trésors des ancêtres à protéger particulièrement, y compris avec les plus saugrenus des interdits.

Finissons en rappelant qu’en grec, le mot vient de patris, souvent employé dans l'expression de terre-patrie, patris gaia ou patris aia, comme c'est le cas dans la production littéraire grecque principale que fut l'Illiade. C'est à la fois le lieu d'où l'on vient que  celui où l'on est et où l'on va. C'est également le pays natal. Comme le dit Violaine Sebillotte : « La patris est plus proche du koinon que de la polis ». Et elle rajoute aussitôt qu'il « appartient au champ sémantique de la parenté, de la famille, du père, fait donc intervenir l'attachement personnel et nous entraîne dans la sphère de l'affectif ».

En parlant moins de patrie que de notre matrie tunisienne,  n’est-ce pas alors la plus belle façon d’honorer la mémoire du père de la Tunisie, Bourguiba ?  
  
Publié sur Contrepoints