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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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mardi 14 janvier 2020

Noblesse de la foi 6

La Tunisie nouvelle a neuf ans :

Du coup du peuple au peuple dans le coup (3)


L'issue du dernier vote au parlement n'est surprenante pour qui ne voit pas la profonde transformation politique et sociologique en cours en Tunisie, à laquelle j'ai consacré une trilogie titrée l'Exception Tunisie. Car le peuple tunisien est bien une exception en son être propre, méritant le meilleur. C'est l'esprit de cette tribune qui, au-delà des changements incontournables, donne une recette pour que l'inéluctable se fasse sans trop de heurts, pour le meilleur d'un pays qui le vaut bien.

Le gâchis politique

On l'a déjà dit, le gâchis politique a été immense durant les neuf dernières années. Au lieu d'augurer le modèle sui generis attendu en Tunisie et hors du pays, la pratique politique n'a relevé au mieux que du théâtre d'ombres chinoises et bien pis de l'opéra-bouffe et de la pantomime. Toutes tendances confondues, les élites sont demeurées hors du coup, refusant de tenir compte des exigences du coup du peuple que sont ses libertés et ses droits concrets dans tous les domaines, seule manière de le mettre dans le coup.

Si l'on ne pouvait s'attendre à autre chose de la part des dogmatiques islamistes, les supposés modernistes ont fait montre d'une complicité objective facilitant la tâche de leurs supposés adversaires. Au final, on a eu affaire au dogmatisme religieux d'Ennahdha conforté par un dogmatisme antireligieux que je qualifie de salafisme profane, n'étant opposé qu'en apparence au salafisme des frères musulmans, car il l'alimente. En effet, c'est bien l'islam qui, en définitive, est la cause et l'effet du gâchis politique tunisien.

D'un côté, on a des islamistes prétendant défendre la religion du peuple, ce qui est une noble cause allant non seulement dans le sens de la spiritualité populaire, mais aussi d'une prescription constitutionnelle. Toutefois, par mauvaise foi, nos islamistes ont usé et abusé de cette cause, ne faisant que du tort à l'islam leur lecture rétrograde, transformant en religion obscurantiste une foi qui a été celle des libertés et des droits humains, ayant contribué amplement aux Lumières occidentales.

D'un autre, on a des démocrates qui, au lieu de dénoncer cette fausse lecture de l'islam en occupant le terrain sur lequel ils se placent et en s'érigeant en vrais défenseurs de l'islam défiguré, acceptent les faussetés intégristes, leur apportant même crédit en se plaçant juste sur le terrain de la laïcité. Ce qui les met déjà en porte à faux avec la constitution outre de manquer de contrer efficacement le faux raisonnement islamiste en osant rendre son honneur à l'islam. Ce qu'ils pourraient faire en rappelant que, par une saine et correcte interprétation, il est loin d'être opposé à toutes les innovations apportées par la constitution. Il les encourage même au nom de la justice, notamment pour les sujets dits sensibles qui ne le sont que parce qu'ils sont tus, comme l'égalité des sexes dans l'héritage, la licéité de l'alcool, l'ivresse seule étant interdite en islam ou la liberté sexuelle entre adultes, dont les gens de même sexe.     

Nos prétendus partis démocrates n'ont ainsi servi que de faire-valoir à un parti islamiste se laissant engluer par le désir de revanche et la mégalomanie de ses adhérents les plus intégristes. Ils  avaient pourtant tout à gagner à l'embarrasser en appelant à la sortie de la jurisprudence musulmane obsolète encore appliquée par la réouverture obligée de l'ijtihad, un nouvel effort d'exégèse que commande l'islam lui-même, sa destinée étant, d'après son prophète, de se renouveler pour le moins chaque siècle.

La confusion des valeurs

Une telle confusion des valeurs régnant dans le pays a permis maîtres du monde capitalistes d'en tirer profit pour servir leurs intérêts mercantiles, y pratiquent un jeu vicieux depuis neuf ans. À la vérité, ils rééditent ce qu'ils ont fait au Proche-Orient avec le soutien indéfectible à un régime saoudien qui ne saurait prétendre incarner le vrai islam du seul fait d'avoir sur ses terres ses sanctuaires sacrés. Il faut dire qu'ils tiennent aussi une telle stratégie de leur histoire propre, puisqu'on sait depuis la magistrale démonstration de Max Weber que le puritanisme chrétien protestant a été à l'origine du développement du capitalisme. Aussi applique-t-on, aujourd'hui en Tunisie, la même recette, l'islam intégriste se substituant au fondamentalisme chrétien.  

Personne n'ignore plus que nos islamistes sont arrivés au pouvoir grâce à l'appui des capitalistes américains dans leur stratégie géopolitique et mercantile, l'alliance avec un islam intégriste jouant la carte de la modération devait servir la transformation du pays en marché. C'est le seul programme dont est comptable le parti Ennahdha et qu'il a veillé et veille à mettre scrupuleusement en œuvre. Ce qui lui a valu de contrôler presque tous les rouages du pays, se jouant de la religion et de sa correcte exégèse. Aussi, sortir d'une telle confusion axiologique est capital, d'autant plus qu'elle touche aussi le libéralisme. En effet, il importe de rappeler que le libéralisme dont se réclame Ennahdha, au service duquel il agit, ne se limite pas à l'économie, ayant avant tout une dimension essentielle matérialisée par des droits sociaux et politiques et des libertés individuelles. Or, on se garde de le faire au prétexte de ne pas heurter les traditions religieuses du pays, et il est temps de dire qu'il ne s'agit que d'un fallacieux stratagème pour ne point détricoter la scélérate législation de la dictature.

Il est impératif de proclamer que l'islam vrai n'est pas la caricature des intégristes qui n'est qu'une tradition judéo-chrétienne islamisée, halal en quelque sort. Ce qui viole l'islam qui est venu rectifier les révélations l'ayant précédé, notamment sur le plan des droits et des libertés. Contrairement au judaïsme et au christianisme, l'islam n'est pas un simple culte, il est d'abord une culture. C'est ce qui a permis son rapide essor au point de fonder une civilisation universelle et une brillante culture. Pour des retrouvailles avec un tel âge d'or, il est capital de déclarer caduc le fiqh actuel et de cogiter, à partir du Coran et de la seule Sunna authentique, pour un nouveau fiqh qui soit de notre temps, ne s'appuyant que sur les visées de cette foi.  C'est l'islam de notre époque postmoderne, cet i-slam que caractérise l'absoluité du principe d'unicité divine ainsi que la justice en tout et l'exclusivité de la relation entre Dieu et ses créatures. Tout ce qui a été oublié par le fiqh traditionnel, œuvre humaine imparfaite qui a donné naissance à des horreurs et des crimes, dont le dernier en date est Daech. De plus, elle a créé une église dans une religion qui n'en a pas, les cheikhs et faqihs n'ayant aucune légitimité pour parler au nom de Dieu en islam.

L'honneur des démocrates

À l'occasion du vote de défiance à l'égard du gouvernement supposé de compétences neutres, on a vu la naissance de ce qui se veut une force démocratique pour contrer le jeu malsain du parti religieux et ses satellites. Si une telle initiative doit durer, et pour réussir, elle a intérêt d'annoncer la couleur sur la question capitale des libertés publiques et des droits citoyens; ce qui impose de déclarer la caducité de tout l'ordre juridique actuel : lois, décrets et règlements contraires à la constitution, hérités de l'ancien régime. Cela doit accompagner sinon précéder la mise en place de la cour constitutionnelle, l'autre urgence. Car l'honneur des démocrates est de mettre fin à la banalisation de mal dans le pays — cette benalisation du pays sous d'autres oripeaux.

Il impose aussi de sortir de l'enclosure dogmatique dans laquelle on a enfermé la religion par l'action concrète pour une nouvelle exégèse de l'islam ne serait-ce qu'en renouant avec sa veine soufie qui a incarné le mieux la nature de cette foi de paix et en tant que lien spirituel des humains avec Dieu et lien paisible entre eux. Enfin, tout étant dans la symbolique et comme il ne doit pas y avoir, en une Tunisie se voulant État de droit, de politique de deux poids deux mesures, il importe de décider que toutes les poursuites engagées sur la base de l'ordre juridique déchu, y compris les affaires en cours attentatoires aux libertés, soient immédiatement suspendues et annulées de nullité absolue. Pareille abrogation attestera de la validité de la profession de foi citoyenne des ténors de la politique en Tunisie, surtout qu'on a vu M. Ghannouchi et ses affidés s'offrir une nouvelle virginité en termes de casier judiciaire.


Tribune publiée sur Réalités Magazine 
n° 1778 du 24 au 30 janvier 2020