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samedi 23 novembre 2019

Pour une postdémocratie 5

Pour l’abolition de la loi 52 sur le cannabis, prototype de la législation scélérate de la dictature


La loi toujours applicable en matière de consommation de cannabis, dite loi 52, est une des plus scélérates de la législation de la dictature. Certes, elle a été légèrement retouchée, mais sans rien ôter au côté vicieux de ce véritable prototype de l’ordre ancien. Elle a été adoptée à la suite du scandale de la Couscous connection impliquant le frère du dictateur, notoire trafiquant. Pour faire diversion, Ben Ali l'avait alors voulue particulièrement répressive, s'en prenant moins aux vrais criminels, à savoir les trafiquants en costume cravate, qu'aux simples consommateurs, surtout des jeunes innocents, imposant au juge de prononcer d’office une peine de prison sans nulle possibilité de prendre en compte le profil du consommateur ou les circonstances de la consommation. Ce qui a ruiné la vie de tant de ces jeunes pour un malheureux joint, bien souvent anodin, étant fumé en une sorte de rite de passage à l'âge adulte.

Or, un tel calvaire dure encore, car cette loi scélérate, à peine remaniée, fait toujours des victimes. C'est que malgré sa promesse de l’abolir, le président défunt Caïd Essebsi s’est limité à libérer le juge de l’obligation de devoir prononcer la peine systématique de prison. Ainsi, le cannabis fait encore des ravages parmi nos jeunes; mais ils sont plutôt générés par la loi infâme dont le maintien illustre la totale déconnexion de la classe politique de la société. Il prouve aussi à quel point nos dirigeants, bien irresponsables, demeurent attachés aux pratiques anciennes et à la mentalité répressive de l'ordre déchu, l'État dictatorial qu'on croyait mort.
Sortir le cannabis de la liste des stupéfiants
Aussi, quand le chef du gouvernement désigné assure son attachement aux droits et libertés consacrés dans le pays, on ne peut que lui demander de quoi il parle et l'inviter à commencer par abolir les lois illégales toujours appliquées, et cette loi 52 en particulier, devenues nulles et non avenues depuis l'adoption de la Constitution. On est tenté aussi d'interpeller le président de la République qui se veut légaliste et éthique, ayant une grande estime pour la jeunesse du pays et la préservation de sa dignité. En sa qualité de spécialiste du droit constitutionnel et étant chantre de la société de droit(s), ne devrait-il pas agir vite pour toiletter le droit  en vigueur aux larges pans illégaux, maintenant vivante les turpitudes de la dictature ? Comment peut-il tolérer que nos juges appliquent les lois illégales résumant la scélératesse de la dictature, brimant notre jeunesse au-delà de toute imagination ?

Dans l'attente de l’oeuvre de salubrité publique qu’est l'inévitable réforme législative qui tarde à venir, M. Saïed ne devrait-il pas exiger du futur gouvernement de cesser d'office d'appliquer certaines lois abusives dont celle sur le cannabis ?  Il pourrait lui indiquer cette mesure résolvant rapidement le problème à sa base et consistant à retirer le cannabis de la liste des stupéfiants. En effet, bien qu'appelé drogue douce, le cannabis n'est pas une drogue à proprement parler et il est bien moins nocif que d'autres drogues légales, tel le tabac faisant nettement plus de dégâts à la santé publique outre de n'avoir pas les vertus thérapeutiques avérées du cannabis. Ce faisant, la Tunisie rejoindra le groupe des pays ayant dépénalisé le cannabis, enregistrant d’excellents résultats en matière de lutte contre le vrai fléau qu'est le trafic. À ce jour, ils sont 17 européens, 33 américains et 6 latino-américains, en plus de l'Australie.
La zatla, une constante sociale
Une récente étude du ministère de l’Éducation nationale estime la consommation de la zatla en milieu scolaire supérieure à 9% et concernant surtout les 16-18 ans, avec un taux de près de 2% d’usagers dépendants. Ces chiffres ne rendent pas nécessairement compte de la réalité souvent tue par peur de la répression qui atteint son summum avec la loi concentrant les turpitudes de l’ancien régime par sa nature vicieuse et par sa répression outrancière de la société, y compris dans ce qui fait partie de ses habitudes.    

Faut-il rappeler, en effet, que la zatla, qu'on appelait kif, takrouri, metouyi ou haschich, est une constante sociale, nullement étrangère à notre pays et ses traditions. Les fumeurs, appelés tekareri, s'y adonnaient même durant le ramadan, l'estimant licite, contrairement à l'alcool; et le takrouri était en vente libre dans les débits de tabac au même titre que les cigarettes, manufacturé par la même régie.

Bien évidemment, il n'est nullement question ici d'encourager à la consommation de la zatla, mais de sortir de l'hypocrisie qui l'entoure. Si cette drogue douce est dangereuse par le risque de dépendance et d'intoxication qu'elle entraîne, c'est au même titre que d'autres produits comme l'alcool, les médicaments ou les cigarettes, lesquels sont plus nocifs pour la santé. Pourquoi donc ne pas punir, par exemple, la consommation de la cigarette ?

De nombreuses études scientifiques relativisent même les méfaits du cannabis, amenant nombre d'États à rompre avec le dogmatisme suicidaire de la gestion répressive encore en cours chez nous, qui ne fait que produire des délinquants. Combien de vies de jeunes ont été brisées en Tunisie pour un malheureux joint pris dans le cadre d'une tradition sociale ancestrale, entraînant la descente aux enfers des prisons en faisant irrémédiablement des ennemis de la société dans cette machine à produire la délinquance qu'entretient notre législation liberticide et l'état de nos prisons ? Au prétexte de protéger la société contre des méfaits supputés, médicalement contestables au vu de la consommation généralement constatée, on violente la jeunesse au lieu d'accompagner ses difficultés patentes par une législation axée sur la pédagogie, la prévention et le secours, non la vengeance et la répression en violation des moeurs de la société et de son réel effectif.
Mieux lutter contre la toxicomanie
C'est la législation sur le cannabis qui encourage la toxicomanie et non la consommation de ce dont la nocivité est relative et dont on a démontré les bienfaits de l'usage médical ou à titre médical. C'est ce qui a amené la France, longtemps opposée à la dépénalisation, de l’envisager en se décidant à jauger la valeur thérapeutique du cannabis. L’Assemblée nationale y a voté récemment un texte favorable à  l’expérimentation du cannabis thérapeutique à partir de l’année 2020 et on s’attend à ce qu’au bout de cette expérimentation de deux ans, l’on décide enfin la dépénalisation.

Il faut dire que les experts mettent de plus en plus en exergue l’ignominie de la pratique de répression du cannabis, n'arrêtant de rappeler qu'il ne s'agit que d'une drogue douce n'ayant rien à voir avec les stupéfiants et aux méfaits nettement moindres par rapport  d'autres drogues en vente libre. Outre, en France, l'Institut national de la Santé et de la Recherche médicale (INSERM), la commission spécialisée de l’ONU se montre favorable à la dépénalisation. Appelant à abandonner la répression des consommateurs pour se concentrer sur les trafiquants et les dealers, elle note que la répression aveugle la plus sévère ne saurait éradiquer un phénomène social si elle en néglige les vrais ressorts. Or, le ressort principal en matière de drogue reste la filière des revendeurs ! Il est important, par conséquent, de distinguer entre l'usage et la vente de la drogue, le premier ne devant pas être criminalisé contrairement à la seconde, surtout quand elle est le fait de bandes organisées. Le marché doit aussi être surveillé et réglementé, l'État veillant à « ôter du pouvoir au crime organisé » tout en s'employant avec les associations concernées à « atténuer les dommages sociaux et sanitaires » causés par ce fléau.

Il est, par conséquent, impératif d'humaniser notre conception de la lutte contre la toxicomanie pour sortir du cercle vicieux de ses souffrances, violences, criminalités, corruptions et profits illicites favorisés par les politiques prohibitionnistes inopérantes. Ce qui signifie de ne plus mésestimer les initiatives apparues en Tunisie pour créer un marché légal du cannabis et qui sera en mesure de donner de probants résultats sociaux et sanitaires, bien mieux que la législation de la dictature qui a largement fait la preuve de son inefficacité et de sa dangerosité, transformant des victimes, les jeunes gens non violents et innocents, en criminels récidivistes, révoltés contre la société. Est-ce donc ce qu'on cherche en ce pays ?




Publié sur le magazine Réalités n° 1770 
du 29 novembre au 4 déembre 2019