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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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lundi 14 octobre 2019

Théâtrocratie et daimoncratie 6

Après les élections :

Non-dit sur un désastre à relativiser





Si les élections de cette terrible fin d’année 2019 ont été un désastre, ce n'est pas tant par leurs résultats, somme toute attendus, que par le désintérêt populaire dont elles ont fait l’objet. Et si, pour les résultats, désastre il y a, l'impression en est même à relativiser, étant déjà variable selon les intérêts des uns et des autres. De plus, il ne le serait que pour les risques qu'il emporterait pour la stabilité du pays, la réussite de sa transition démocratique.

Au vrai, la victoire du parti Ennahdha n’est ni totale ni de celles qui laissent prédire l’avenir noir qu’annoncent ses ennemis, qui serait aggravé par l’entrée au parlement de hérauts intégristes avérés. Car, on ne le sait que trop, c'est au bord du gouffre que le salut vient, s'imposant en unique alternative; l'histoire montre bien que les extrémistes se convertissent alors au réalisme d'une modération impérative en politique pour durer. Paradoxalement donc, si les droits et libertés semblent aujourd'hui plus que jamais menacés, ce ne serait qu’en apparence, hypothétiquement même, la nouvelle composition de l'Assemblée des Représentants du Peuple devant plutôt encourager la mue démocratique du parti vainqueur qu'il ne cesse de prétendre vouloir réaliser.

Relativiser le désastre

Ce serait une erreur de croire que si la majorité du peuple se désintéresse des élections, c’est qu’elle ne souhaite pas ou plus la démocratie; elle en aurait plutôt une faim vorace. Toutefois, elle a la lucidité de refuser le jeu vicieux qu’on lui propose, celui où l’acte électoral vient occulter la vraie démocratie qui ne se réduit pas au vote, étant manifestée d’abord par des lois justes et des libertés avérées. Or, le pays est encore gouverné par la législation de la dictature, pourtant abolie par la constitution, et ses  juges appliquent une législation illégale. Comment, dans ces conditions, parler d'État de droit, de démocratie et d’élections transparentes ? Comment intéresser les gens quotidiennement brimés par des lois scélérates à des élections dont la tenue impérative a été dictée par les intérêts partisans dans un tel cadre d’illégalité, aggravé par l’absence de Cour constitutionnelle ? Son érection était même plus urgente et impérative que l’organisation des élections, la date limite constitutionnelle de la tenue de ces dernières ne pouvant occulter en aucun cas celle de la mise en place de la Cour, encore plus impérative.

Quand on se permet de violer de la sorte une constitution qu’on se dit devoir respecter, on ne fait que susciter de la part des électeurs une attitude similaire : ne pas respecter la règle du jeu démocratique quant à sa formalité électorale. Ainsi, outre le nombre d’inscrits, demeuré bas notamment chez les jeunes, il y a eu ce taux d’abstention allant crescendo. Et on ne parle pas ou peu des vraies causes d’une telle désaffection. L'une d'elle s'est manifestée dans le rejet des votants des politiciens tenant à ces élections afin de perpétuer, à défaut d’un système, une hégémonie contestée sinon refusée par les plus larges pans de la société. Ce qui a permis à certains de profiter de la situation pour limiter la casse, notamment le parti le plus organisé, Ennahdha, le mieux conseillé en techniques politiciennes.  

Si le parti islamiste a réussi son ambition de rester le maître du jeu dans le pays, il est loin d’avoir toute latitude pour agir; ce que d’aucuns, parmi les stratèges occidentaux surveillant de près la transition démocratique tunisienne, auraient estimé un passage obligé pour amener ledit parti à poursuivre sa mue. Je le notais d'ailleurs dans une chronique à la veille des élections : « De la part de M. Ghannouchi, c’était une façon d’administrer la preuve de sa bonne volonté de réformer son parti, en faire la démocratie islamique rêvée, un slogan resté creux au vu des réalisations. Toutefois, comme la réforme législative semble désormais impérative, imposée par la nécessaire mise en vigueur de la constitution, il en contrôlera ainsi le cours tout en s’en attribuant éventuellement les retombées. Pour peu que son groupe parlementaire soit assez bien pourvu, comme il le fut lors de la dernière élection législative, perdue certes, mais de peu devant un parti qui s’est vite morcelé en courants ennemis. Ce qui semble devoir être le cas, cette fois-ci aussi. » (cf. Élections en Tunisie ou jeux de cirque politiques sur Contrepoints en date du 9 septembre 2019).

Certes, la redistribution des cartes n'a pas profité au camp moderniste par trop divisé, mais en faveur des islamistes qu’il était exclu de priver de tout pouvoir, leur laissant bien plus qu’une sorte de feuille de vigne, outre le temps nécessaire pour finir par accepter la fatalité de changer de peau. Aussi, l’islamisme aura bien son mot à dire dans le pays, mais en étant forcé à des alliances, qu’il cherchera probablement avec les modernistes pour être crédité des bénéfices de leurs propres idées, réalisme oblige. Car les adeptes du chaos créateur jouent toujours la carte d'un islam politique n’ayant pas démérité au service du capital mondial et ses intérêts géostratégiques. Leur stratégie, au mieux, est de l'encourager à aller de l’avant dans cette longue marche semée d’embûches vers l’idéal de finir un jour par incarner une démocratie islamique dont on n’arrête de parler, même si, sans nul contenu réel, elle n'est qu'une vue de l'esprit.

Conséquemment, loin d’être une victoire de l’islam intégriste, la nouvelle donne électorale dans le pays pourrait être, à terme, celle de l’islam enfin assagi, policé, guère plus policier; cet islam postmoderne dont je parle, théorisé, entre autres, dans un livre en arabe paru en 2017 (الفتوحات التونسية. ما بعد الحداثة الإسلامية) où j'adresse à Rached Ghannouchi une lettre de critique et d'exhortation à la fois en vue d'aller de l'avant dans cette voie de salut pour tous. C'est ce que ses soutiens indéfectibles d’Occident attendent de lui, n’ayant plus d’excuse pour ne pas engager les réformes douloureuses en matière de libertés publiques puisqu’il en sera désormais l’initiateur ainsi qu’il l’a voulu.          

Inconsciente cause de l’abstention

Il ne suffit pas de réussir techniquement l’organisation logistique des élections pour les réussir; on ne le vérifie que trop pour une ISIE dont les témoignages laudateurs n'occultent pas l'échec flagrant à intéresser la majorité des Tunisiennes et des Tunisiens à prendre une part active aux élections. Quel intérêt de réussir techniquement leur déroulement si la mission principale est ratée, d'autant plus que les multiples irrégularités constatées par nombre d'observateurs fiables, ainsi que de bien graves infractions, sont tues ou avalisées ?

Il est vrai, de la part de qui table sur le succès de la transition démocratique tunisienne, la réussite purement technique est plus qu'importante. Il ne s’agit pas seulement de responsables tunisiens, mais de tous ceux en Occident qui veillent à ce que la Tunisie constitue une exception — ne serait-ce que formellement — dans le monde arabe et musulman, allant jusqu’à consentir, à fonds perdu, les aides de toutes sortes. Et tout se déroule dans le cadre de la philosophie occidentale, marquée par l’esprit mercantile et la confiance arrogante en la supériorité de son modèle politique bien que désormais en crise avérée. S'agissant des élections, cela s'est traduit par l'imposition de l’utilisation d’une encre inutile du fait de la présence, en Tunisie, de listes électorales certifiées fiables. Or, la symbolique de cette encre est immense dans l’inconscient collectif et l’imaginaire populaire dont on ne tient pas compte par excès de positivisme. Loin de constituer une preuve de maturité citoyenne, son usage est perçu par les masses comme un dénigrement, un stigmate de sous-développement; la preuve en est que les pays développés n'y ont pas recours.

Le Tunisien aujourd’hui estime — à bon droit et ne serait-ce que parce qu'on le lui répète — qu’il mérite le meilleur, ayant fait preuve de maturité. Aussi ne comprend-il pas la raison pour laquelle il doit montrer patte blanche au moment de voter, se faire marquer comme on le faisait au fer rouge des criminels d’antan. Il ne manquerait plus que le bagne que serait cette idée saugrenue de rendre le vote obligatoire, sous peine de sanction financière ! Ce qui achèverait de déconsidérer l’acte électoral, réduit déjà avec l'encre, à une pure opération commerciale au service de ses commerçants, des affairistes adeptes de l’argent facile, et ceux de l'argent sale qui font d'elle une occasion d’acheter ou vendre le vote. Aussi, à l’avenir, quitte à irriter ses soutiens d’Occident, l’ISIE a intérêt à renouer avec sa décision prise lors des municipales de ne plus y recourir.

On ne doit plus chercher à imposer l'encre inutile aux Tunisiens pour qui elle n'est plus la garantie supposée d'élections honnêtes, outre d'être une cause inconsciente d’absentéisme électoral. Comme l’intérêt majeur d’une élection demeure la mobilisation des électeurs, cela constitue une raison sérieuse suffisante dont on doit tenir compte pour lutter contre l'absentéisme, au lieu d'aggraver la situation avec l'idée du vote obligatoire. Sur le terrain, d'ailleurs, les observations confirment que l'une des causes inconscientes de l'abstention, particulièrement chez les jeunes, réside dans l'obligation faite à l'électeur de tremper l'index dans une encre stigmatisante, nullement en usage dans les vraies démocraties.

Aussi, l'ISIE a intérêt, pour les futures élections, à bannir l'encre qui n'est déjà pas juridiquement une condition de validité du vote. Elle doit se concentrer sur les vraies parades efficaces à la fraude qui sont ailleurs, comme dans des listes électorales à jour et devant être les mêmes pour les élections législatives et la présidentielle, ce qui semble n’avoir pas été le cas cette fois-ci. Au pis, en un premier temps, l’usage de l'encre serait à déclarer facultatif, ce qui permettrait de se décider en connaissance de cause selon l’effet enregistré et d’évaluer la pertinence de son usage ou non au vu de ce qui aura été constaté. N'en doutons pas, ce sera bien une baisse significative du taux d'abstention.   

Publié sur Réalités magazine
n° 1764 du 18 au 24 octobre 2019