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jeudi 27 septembre 2018

Copernicienne révolution libertaire 4

Youssef Chahed à l'assaut du domaine réservé présidentiel de la diplomatie ?

Vérité ou intox, l’information sur le refus de M. Chahed de recevoir le ministre italien de l’Intérieur signifie forcément quelque chose sur fond de guéguerre avec M. Caïd Essebsi. Décryptage.
Le refus du chef du gouvernement ayant été infirmé par le ministre tunisien de l'Intérieur, dont les propos sont confirmés au reste par l'Ambassadeur d'Italie en Tunisie, il n'y a plus à douter de la version officielle. Il n'empêche que, dans un monde où tout est facilement couché dans le lit de Procuste de la realpolitik, les faits restent têtus; et quand bien même des faits sont faux et/ou démentis, cela n'empêche pas d'en faire réalité, fausse ou avérée. En effet, en politique comme en tout, d'ailleurs, on gouverne aussi, et même surtout, avec les mensonges.

De la realpolitik

Au demeurant, au vu de l'atmosphère politique délétère en Tunisie, on peut estimer, sans juger de sa véracité, qu'il y a bien eu réticence de M. Chahed de rencontrer M. Salvini, se plaçant dans le cadre de son conflit avec M. Essebsi. Que l'hôte de la Tunisie devait ou pas voir le chef du Conseil tunisien est donc secondaire par rapport aux visées de sa visite devant révolutionner les rapports tuniso-italiens dans le sens de la nouvelle politique xénophobe de l'Italie.

Certes, au vu de l'importance de l'Italie, grand voisin immédiat et second client de la Tunisie, M. Chahed ne pouvait ni ne devait commettre l'impair d'envenimer les relations bilatérales. Or, comme il a envenimé ses relations avec celui qui l'a nommé, auquel il livre une bataille de survie, tout le reste devient secondaire. C'est une bataille dans le cadre d'une guerre; perdue ou gagnée, elle ne doit surtout pas changer le sort final de la guerre. Or, il est des points à engranger du refus de recevoir M. Salvini, contesté déjà dans son pays, et qui donne un visage hideux à l'Italie, rappelant un passé honni.  

Ainsi, le ministre italien a-t-il été contraint de réduire ses ambitions, limitant son voyage en Tunisie à une journée, à y exposer ses vues et positions xénophobes. Il n'a plus été question de déplacement décisif en vue de mettre fin, à sa manière, à ce qu'il assimile à une invasion de l'Italie avec sa marotte de l'immigration clandestine.

Or, on l'a souvent dit et répété ici, il ne s'agit que d'un mythe entretenu par la fermeture des frontières et qui est devenu une arme politicienne pour les partis populistes en Europe, comme celui de  notre hôte du jour. Aussi, le fait que le chef du gouvernement Youssef Chahed ne le reçoive pas, que cela relève de la vérité ou du fake, est forcément à interpréter en un manifeste, évident quoique sibyllin, du refus du gouvernement tunisien de se laisser aller à la logomachie de son plus proche voisin d'Europe et à ses conséquences forcément néfastes populairement.

Ambitions diplomatiques

Certes, le ministre italien est reçu par le président de la République en l'absence du chef de la diplomatie tunisienne, opportunément à New York pour la session annuelle onusienne. Il n'empêche que la visite du responsable italien est bel et bien un échec, même si le président de la République reste l'artisan de la politique étrangère, surtout avec le passe-muraille qu'est son ministre Jhinaoui.

On sait que M. Caïd Essebsi reste impuissant à peser sur le cours des choses qui comptent dans le pays. D'ailleurs, il l'a admis lors de sa dernière sortie médiatique où il a joué du bluff, annonçant urbi et orbi sa rupture avec le seul parti qui titre les ficelles dans ce pays. C'était sa dernière carte pour espérer faire pression sur Ennahdha et l'amener à se détacher de son désormais rival — même s'il fait mine de ne pas l'admettre — placé par lui-même à la tête du gouvernement.     

Aussi, le refus de rencontrer le visiteur italien est de bonne guerre pour Youssef Chahed et, à travers lui, pour une Tunisie qui peine encore à faire prévaloir sa souveraineté en matière de libre circulation de ses ressortissants. Pour certains observateurs, il signifierait même une contestation déguisée par le chef du gouvernement de la facture de notre politique étrangère telle qu'appliquée par son ministre des Affaires étrangères, connu notoirement pour n'être que la voix de son maître, par fidélité à son mentor ou par formalisme institutionnel.

M. Chahed continuerait de la sorte à avancer ses pions dans sa guerre larvée avec un chef de l'État tenant mordicus à son départ; ce serait même la réponse du berger à la bergère. D'aucuns se demandent d'ailleurs s'il n'ira pas encore plus loin : limoger, par exemple, son ministre des Affaires étrangères. Ainsi, dans le cadre du remaniement prévu, il substituerait à ce fidèle parmi les fidèles de son rival à Carthage une figure un peu plus indépendante et qui aurait surtout plus de courage à bousculer le ronron actuel de notre diplomatie et à oser satisfaire enfin certaines attentes populaires.

Assurément, ce serait bienvenu pour son soutien actif, le parti islamiste, dont on sait son aversion pour le ministre Jhinaoui. Ce serait aussi l'occasion en or de peser de tout son poids sur le cours de notre politique étrangère en osant y apporter un nouveau souffle.

Un coup de poker ?

Nul ne l'ignore en Tunisie, la diplomatie relève du domaine réservé du chef de l'État; néanmoins, on a bien vu M. Chahed ne pas s'embarrasser de se défaire d'un ministre de l'Intérieur, autre domaine réservé présidentiel, contre la volonté d'un président bien affaibli pour le contrarier.

Qu'est-ce qui l'empêcherait donc aujourd'hui d'agir de même avec la diplomatie, surtout si cela est de nature à annoncer un revirement de taille dans la gestion des rapports internationaux de la Tunisie ? Avec surtout des initiatives qui soient en congruence avec les intérêts bien compris du pays en une crise qui ne peut prendre sérieusement  fin que par un électrochoc, aussi bien sur le plan national qu'international.

Sur le plan international, un tel coup de poker gagnant pourrait être l'annonce de l'intention de la Tunisie à postuler officiellement au statut de membre de l'Union européenne, agissant logiquement à faire muer sa dépendance informelle actuelle et sans droits en une dépendance formelle, mais avec les droits et privilèges d'État membre. Après tout, en un monde où les frontières sont devenues virtuelles et non géographiques, la Tunisie est plus éligible à relever de l'Europe que les pays de l'Est européen ou de la Turquie.

De plus ce qui s'y passe comme transition démocratique le commande, la Tunisie étant le coeur d'une Méditerranée dont l'Europe ne saurait se désintéresser. Enfin, rappelons-le : Hegel, plus grand penseur européen, considérait le Maghreb faire partie de l'Europe. C'était le cas, d'ailleurs, quand la France était venue le coloniser, faire même département de l'un de ses pays ? Deux poids deux mesures en un monde plus que jamais globalisé ?

Outre l'annonce solennelle d'une telle intention que ne saurait sérieusement refuser le président de la République, le chef du gouvernement pourrait aussi faire part de son action pour obtenir au plus vite la conversion du visa actuel en visa de circulation, installant ainsi une libre circulation encadrée et sécurisée entre la Tunisie et l'Europe. Car c'est bien le visa qui crée le clandestin et les drames qui vont avec, désormais inacceptables.

Quel beau pied de nez ferait ainsi M. Chahed à un chef de l'État aux abois. Ce dernier est réduit à faire juste état de la possibilité qu'il a, sans oser y recourir, d'user d'un article de la constitution pour le pousser à renouveler sa légitimité parlementaire. Pour cela, il fait mine de menacer son partenaire privilégié à ce jour d'une rupture qui n'est agitée qu'en épouvantail, et qui n'aura aucune conséquence ni effectivité.

C'est que le parti islamiste a un appui de taille, celui de nos partenaires yankees rêvant, outre le service de leurs intérêts mercantiles, à une nouvelle donne en Tunisie avec un islam dont ils veulent voir le prototype dans le parti de M. Ghannouchi. Or, ce soutien d'outre-Atlantique entre dans le cadre de l'éternel jeu politique aux facettes multiples où il sied d'avoir plusieurs fers au feu. Aussi, l'ami américain soutient-il aussi le jeune chef du gouvernement dans son ambition d'être un acteur majeur du jeu, ayant le profil adéquat. En effet, il est ce laïciste qui n'est pas islamophobe, oiseau rare par les temps qui courent où le manichéisme bat son plein.

C'est donc à un partie serrée que l'on assiste et qui est hélas de nature à verser, pour un peuple qui souffre trop pour ne pas se soulever bientôt, dans la tragédie antique, à force de relever déjà, pour ses supposées élites, de l'opéra bouffe.

Il ne reste qu'à espérer que de ce chaos naisse enfin le nouveau monde dont est grosse toute apocalypse qui est, en son sens étymologique, la révélation, divine entre autres. Youssef Chahed en sera-t-il une incarnation tunisienne. Serait-il le deus ex machina d'un pays jeune que ne gouvernent encore que des vieux, dépassés qui plus est par les événements ?
 Publié sur Réalités