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mardi 8 avril 2014

Une centralité souterraine 7

Économie informelle : tare économique et alternative à l’exclusion


  


On estime en Tunisie que l’économie informelle a atteint des niveaux énormes mettant en danger la santé économique du pays. Les chiffres sont effarants, mais la réalité sociale qui les sous-tend l’est encore plus. Il faut dire qu’on est désormais confronté, même en Occident, au phénomène résumé par le terme qui — ne l’oublions pas — fut un concept forgé au début des années 1970 par les économistes pour les pays du tiers-monde.
Petite géographie de l'informel
Lors du dernier séminaire de l'AICD, on a estimé que l'économie hors la loi représentait en Tunisie 50% de l'économie avec l'aggravation du phénomène de trafic d'État, alors que le secteur de non-droit (économie souterraine, contrebande) était cantonné à 25% avant la révolution.
D'après La Tribune du 6 mai 2013, l'économie parallèle pesait 19% du PIB européen, selon une étude réalisée par le groupe de cartes de crédit Visa. Il était de 19,3% en 2012, ce qui représente 2 175 milliards d'euros de transactions au noir.
S'il y a donc une réduction qui est appelée à se confirmer, on considère que le chiffre reste élevé. En France, la même étude précise que l'économie informelle équivalait à 10,8% du PIB en 2012, soit 219 milliards d'euros.
Toutefois, l'étude ne manque pas de souligner que si l'économie parallèle cause un manque à gagner aux États, elle n'est pas uniquement négative, puisque l'argent soustrait à l'économie informelle est immédiatement dépensé dans l'économie réelle. De plus, en période de crise, l'économie informelle donne un moyen de subsistance aux personnes en difficulté.
Au Maroc, on mesure que la part de l’informel s’élève à 46% contre 15% en Italie et 9% en Suède. Dans certains secteurs de l'économie marocaine, comme celui des fruits secs, l'économie informelle représente pratiquement 90%. On juge même, au Maroc, qu'aucun secteur n’est épargné par l’informel qui prend toutes sortes de formes : sous-facturation, sous-déclaration, contrebande, triche sur l’origine des marchandises, informel partiel, etc.
On y estime aussi que sa persistance est causée par l’exonération fiscale du secteur agricole qui pénalise le secteur de l’agroalimentaire et empêche l’émergence d’une industrie forte et compétitive, favorisant la contrebande.
Mécanismes de l'informel
Mais en Tunisie comme au Maroc, c'est la corruption qui est derrière la prévalence de l’informel. Certes, dans les deux pays, on explique la prolifération du fléau par le fait que les gouvernements successifs considèrent l’informel comme un filet social permettant à certaines personnes d’avoir des revenus stables, évitant ainsi les troubles sociaux. Toutefois, cela n'aurait pas eu les conséquences graves que nous avons sans une corruption généralisée à tous les niveaux.
Le mécanisme est généralement le suivant : le marché local est inondé de produits provenant de circuits informels bien que les points d’entrée soient bien connus. Ainsi, un contrôle strict empêcherait pareils dépassements; mais les responsables censés contrôler en amont la contrebande ferment les yeux moyennant des pots-de-vin.
On considère, par ailleurs, que les incitations fiscales ne suffiront pas pour éradiquer le cancer de l’informel. Des études ont montré que l’allégement des conditions de création de société au Maroc, s'il a permis la création de nouvelles entreprises, n'a pas limité le secteur hors la loi. En effet, les nouvelles structures étaient souvent dépourvues de business plan et elles finissaient par venir grossir les rangs de l’informel. Par ailleurs, certaines SARL achètent des produits sur le marché local sur vraies factures qui sont ensuite utilisées pour blanchir des marchandises de contrebande, payées à l’étranger. D'où la fuite de devises outre le manque à gagner en termes de droits de douane, de taxes et d’impôts.
Toutefois, un tel phénomène ne touche pas que les petites structures; ainsi, de grandes multinationales se permettent aussi de vendre des articles aux marchés parallèles sans facture pour faire face à leurs besoins ponctuels de liquidités.
Un exemple à suivre
On cite l’exemple du Portugal qui a lutté avec succès contre l’informel lors de son entrée à l’UE, une telle lutte étant un préalable à l’adhésion. Or, il y arriva entre autres par le mécanisme suivant : les chambres de commerce dotaient gracieusement les magasins de caisses enregistreuses dont elles récupéraient les rouleaux à la fin de chaque mois aux fins de comptabilité.
De plus, on lançait régulièrement des tombolas avec des lots intéressants, les clients étant invités à y participer en produisant leurs tickets d'achat. Cela amena de plus en plus les gens à exiger leur ticket au passage en caisse, ce qu'ils ne faisaient pas nécessairement auparavant.
On a calculé qu'une telle politique a permis, en l'espace cinq ans, de réduire la part de l’informel portugais de plus de 40% à 15%.
Ambiguïté du concept de l'informel
Aujourd’hui, nombre d’ambiguïtés et de contradictions marquent la thématique. C'est ce qui découle comme principal enseignement d'un colloque international fort instructif organisé par l’Institut de sociologie de l’Université de Neuchâtel le 17 novembre 2006 et dont les communications ont été réunies dans un document établi en 2007 par la commission suisse pour l’UNESCO  
Nous vous proposons en téléchargement en fin d'article ce précieux document intitulé : L’économie informelle une alternative à l’exclusion économique et sociale.
On y apprend que l’économie informelle est un terme qui recouvre une large gamme d’activités et d’échanges de biens et de services dont le seul point commun est de ne pas être encadrées par le droit. Un tel secteur est certes dommageable pour l’économie, mais il ne faut pas trop le diaboliser, car il permet de survivre à de larges pans de la société exclue.
Certains spécialistes notent que malgré son importance, l’économie informelle ne constitue pas d’objet clairement définissable d’un point de vue théorique. Juridiquement, il ne s’agit que d’un euphémisme cachant l’incapacité des autorités à maîtriser un phénomène « hors-norme ». Économiquement, il ne s’agit que d’un marché parallèle qui est le résultat de l’incapacité à réduire les salaires « officiels » au niveau d’équilibre. Aussi serait-il plus judicieux de considérer l’économie informelle, non pas comme une déviation par rapport à la forme normale d’organisation de l’économie, mais en une déclinaison d’une même forme qu’est le marché dans un contexte marqué par un haut niveau de vulnérabilité sociale. Cela permet de mieux appréhender les politiques cherchant à intégrer le secteur informel dans le domaine formel en démontrant qu’elles passent par la nécessité de la réduction du niveau de vulnérabilité de la population concernée et/ou l’augmentation du niveau d’efficacité des institutions concernées.
Aussi, en se basant sur une approche ethnographique, certains suggèrent de faire un parallèle entre le travail au noir et le travail à-côté (tel celui se faisant à côté des usines ou encore les services à la personne où persistent des pratiques de travail au noir malgré les incitations publiques). Un tel parallèle autorise de prendre conscience des différences existant entre les deux secteurs du fait de caractéristiques propres aux emplois concernés (de service et industriels) et des personnes qui les occupent.  
Une autre vision de l'informel
Voici quelques-unes des idées force de ce rapport fort riche : 
- l’économie informelle, si elle comporte bien évidemment des risques, peut être perçue comme une alternative utile pour éviter une mise à l’écart pouvant être dramatique aussi bien sur le plan social et matériel que psychique.
- Les solutions transitoires imaginées par l’économie informelle et permettant à toute une population de survivre gagnent à être interrogées et étudiées de près, car emportant nombre d’enseignements utiles.
- Une des techniques de cette économie qu’est l’autoproduction accompagnée est un outil de développement social. Elle donne aux plus démunis un moyen efficace pour lutter contre l’exclusion. Or, ce mécanisme est assez méconnu des pouvoirs publics.
-  La diversité et l’hétérogénéité que recouvre la notion d’économie informelle sont telles que la catégorie sémantique ne peut plus fonctionner comme un concept utile. En illustration, on cite ces expériences de création d’activités économiques génératrices de revenus dans le cadre  de solidarités traditionnelles et sans être déclarées aux autorités. Un concept d’économie populaire solidaire voit ainsi le jour.
- On estime déjà, en Occident, que l’action contre l’exclusion et la précarité ne peut plus s’appuyer sur une simple prise en charge pécuniaire. Elle ne peut plus se passer d’autres formes d’entraide moins évidentes à mettre en place, telles des réglementations facilitant les initiatives vitales et les dispositions individuelles qui font l’essentiel de l’économie informelle pouvant fonder une économie solidaire.

Pour un complément d'information aux travaux du colloque, nous vous proposons aussi en téléchargement un document établi par l'OCDE sous forme de manuel sur la mesure de l'économie non observée.  

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 Publié sur Leaders