Invite
au gouvernement : Pour un ramadan en modèle du genre !
Le
mois du jeûne approche, et comme tout gouvernement, vous vous fixez
des priorités pour en faire une totale réussite en termes
d'approvisionnement du marché et de manifestations religieuses.
Mais
n'oubliez surtout pas que ce mois sacré n'est pas seulement celui de
la bombance et de l'ostentation dans le culte ! Il est d'abord
et avant tout l'occasion pour un examen de notre conscience afin de
vérifier si elle est bien en syntonie avec les valeurs cardinales de
notre religion.
Quelles
sont-elles ? Nombreuses, elles sont à la mesure de la richesse de
notre belle religion. Nous en citerons deux des plus appropriées à
ce mois béni.
D'abord,
le respect d'autrui, notamment dans sa liberté, toute sa liberté, y
compris de ne pas jeûner. Rappelons ici qu'une bonne et juste
interprétation du Coran, contrairement à la conception restrictive
que le fiqh a imposée, consacre la liberté du musulman de choisir
de ne pas jeûner s'il estime ne pas le faire, s'acquittant des
compensations légales prévues à cet effet. Faut-il que je cite
pour cela les cas nombreux des Compagnons qui usaient sans vergogne
de cette tolérance? Je ne vous ferai pas cette injure, car vous les
connaissez tous, en concert de bons musulmans, ayant lu certains des
incunables de notre culture islamique, comme le précieux livre d'Ibn
Hajar الإصابة.
Laisser
les bonnes âmes égarées d'un salafisme mal compris harceler leurs
compatriotes, exigeant une discipline toute militaire d'un respect
dévot de ce principe parmi d'autres de la religion, c'est faire
montre d'une conception restrictive de notre religion, caricaturale
et, bien plus grave encore, contraire non seulement à son esprit,
mais aussi et surtout à sa lettre. Celle-ci se doit d'être enfin
libérée du carcan d'une exégèse qui, pour s'être imposée à
travers les siècles, n'est pas moins une interprétation parmi
d'autres, certainement pas la plus fidèle à notre religion et à sa
tolérance proverbiale.
Et
ensuite, veillez au respect du droit de tout un chacun de ne pas se
cacher dans son acception différente des préceptes de notre
religion qui consacre le principe de la non-soumission du croyant à
personne d'autre qu'à son créateur. Par conséquent, jeûner ou ne
pas jeûner ne doit pas être une affaire de comportement public ou
privé, mais une affaire strictement privée entre Dieu et sa
créature.
Aussi,
soyez encore plus vigilant que dans l'approvisionnement du marché à
munir vos adeptes de l'argumentaire nécessaire pour contrer les
dérives auxquelles on n'échappera pas dans les rangs les plus
dogmatiques de vos partisans. Vous serez bien inspiré de leur
rappeler que, bien plus que de discipline partisane, ils se doivent
de faire montre de discipline religieuse, en s'inspirant de la
spiritualité soufie qui est la seule véritable interprétation de
l'esprit et de la lettre des vénérables maîtres du vrai salafisme.
En effet, celui-ci est une reviviscence de l'esprit vrai de l'islam,
un esprit d'amour et de tolérance, essentiellement. Les honorables
maîtres salafis, comme Ibn Taymiya, ne leur vouaient-ils pas
d'ailleurs le plus grand respect et une admiration sans bornes, les
appelant les soufis de la vérité صوفية
الحقائق ?
En
termes de libertés, de tolérance et d'amour, l'islam serait-il
moins tolérant que le christianisme et Allah moins clément et
miséricordieux pour ses créatures que le Dieu des chrétiens? Je ne
le crois pas, car l'islam est le sceau des prophéties et il incarne
ce qu'il y a de plus sublime dans les autres messages monothéistes
qu'il assume et confirme tout en en magnifiant les manifestations.
Votre
responsabilité est donc grande, immense même. Ne faites pas mine de
l'oublier; la politique aujourd'hui est une saine gestion de la
religion, car notre religion est, dans le même temps, une foi et une
politique, et ce dans le sens justement de pacte social basé sur
l'amour divin pour ses créatures et la loi des frères entre les
membres de sa communauté, cette fraternité musulmane si souvent
chantée comme un slogan, mais se résolvant dans nos rues à une
coquille vide.
Faites
donc revivre l'écho de l'esprit éternel de l'islam, religion
d'amour et jamais manifeste de haine ! Permettez à tous les
estivants de nos belles plages, en portant machinalement les
coquillages à leurs oreilles durant le prochain ramadan, d'avoir
l'heureuse surprise d'entendre, et bien fort, non pas l'écho des
vagues, mais celui de cet amour, l'hymne de l'ordre amoureux
islamique, un ordo amoris islamicus !
Vous
vous devez aujourd'hui de veiller sérieusement et scrupuleusement à
instaurer pareil ordre amoureux, naguère chanté de la plus belle
façon par les spiritualistes musulmans, en notre belle Tunisie
Nouvelle République postmoderne se revendiquant d'un islam des
Lumières, et ce dans le cadre d'une nouvelle pratique politique que
je nomme compréhensive, relevant d'une transfiguration du politique,
rompant avec sa conception à l'antique arrivée à saturation, d'un
bien triste souvenir chez nous qui plus est.
Que
ce mois saint soit donc historique, modèle du genre, en étant celui
de la ferveur religieuse véritable, enfin libre et libérée des
démons obscurantistes ! Amen.