Sans
revenir sur la nature fondamentalement liberticide que peut devenir la
technique biométrique, surtout lorsqu'elle est couplée à un traitement
automatisé (ce qui est souvent, sinon toujours, le cas), je voudrais signaler
ici, dans la foulée de deux intéressants articles sur les visas délivrés par le
consulat général de France à Tunis, l'aspect dérogatoire à une notion capitale
aux yeux des Tunisiens, surtout après la réussite de leur Coup du peuple : la
souveraineté du pays.
Mais
rappelons, tout d'abord, que la pratique consulaire consistant en un relevé des
empreintes digitales et la prise d'une photographie numérique, entre dans le
cadre d'un système européen d'information sur les visas (VIS) et a pour
objectif de faciliter la procédure de délivrance des visas en assurant une
identification assez fiable des personnes tout en dissuadant les demandeurs du
dépôt simultané de plusieurs demandes de visa dans différents pays de l'Union
européenne (ce qu'on appelle visa shopping). Rappelons aussi que le traitement
automatisé des données prélevées implique juridiquement l'obligation aux
autorités qui y procèdent de garantir aux personnes concernées un droit d'accès
et de rectification.
Toutefois,
si cette dernière mesure légale de bon sens est une garantie certaine contre d'éventuels
abus, elle ne constitue qu'un minimum de sécurité juridique face à un procédé
dont la mise en oeuvre requiert un maximum de précautions, surtout que le
traitement des données biométriques est à la libre disposition des autorités
consulaires sur le territoire national et son utilisation relève de sa seule
compétence discrétionnaire.
Or, cela
pose, d'un point de vue juridique, aussi bien au vu du droit international que
national, la question épineuse de violation flagrante des principes
fondamentaux de protection de la vie privée de nos nationaux, des
renseignements personnels et de la sécurité de tout citoyen tunisien. En
l'occurrence, même si les autorités nationales d'avant la révolution avaient
certainement été amenées à cautionner le recours audit procédé, comment
continuent-elles à le faire aujourd'hui du fait que la persistance d'un tel état
de fait emporte violation manifeste des limites normales à l'accès aux
informations personnelles?
En effet,
dans le monde entier, en bon droit, le relevé des empreintes digitales doit
demeurer un moyen de preuve dérogatoire qui, en droit pénal notamment, doit être
utilisé en cas de sérieux soupçons sur une personne auteur d'un acte délictueux,
et le recours à ce procédé ne peut qu'être bien encadré et relever de la compétence
de personnes habilitées juridiquement à y recourir et qui doivent être, en tout
état de cause, des autorités nationales.
Or, à quoi
assiste-t-on aujourd'hui, sinon à une application générale, sur les plans tant
national qu'international, de cette mesure aboutissant concrètement à une
surveillance policière des citoyens tunisiens en voyage hors de son pays? Et
surtout, comment garantir que les données concernant nos concitoyens, stockées
sur supports électroniques aux consulats européens en Tunisie, ne servent pas à
violer leur sphère privée et leurs droits de la personnalité? Peut-on vraiment être
sûr, en particulier, que les données issues des visas biométriques ne sont
exclusivement utilisées par les autorités européennes qu'aux fins des contrôles
douaniers?
Plus grave
encore ! Est-il encore acceptable, dans la Tunisie postrévolutionnaire qu'une
autorité étrangère puisse prélever, traiter numériquement et classer en une
base à sa seule discrétion les données les plus personnelles, les plus intimes
des citoyens tunisiens? Au-delà de l'atteinte à la souveraineté du pays, à son
honneur retrouvé par le coup du peuple tunisien, n'est-ce pas là une atteinte
pure et simple à la dignité du Tunisien? Or, c'est la dignité que la Révolution
du 14 janvier est venue rétablir en ce pays !
Aussi, il
n'est que trop surprenant qu'à ce jour nos autorités nationales continuent à
mettre leurs pas dans ceux des anciennes autorités de la dictature déchues,
cautionnant la pratique du relevé des empreintes de ses ressortissants par des
autorités non seulement étrangères, mais agissant aussi dans un cadre dérogatoire
du droit commun où la suspicion remplace le principe cardinal d'innocence et de
liberté?
Certes,
elles peuvent toujours arguer que la fin justifie le moyen et qu'en
l'occurrence, outre le fait qu'il s'agit d'une réalité désormais établie, le
visa biométrique relève de la souveraineté des États européens et que le
ressortissant désireux de s'y rendre se doit de passer sous les fourches
caudines de pareil fichage.
Drôle de
raisonnement ! Pareil propos fataliste ne devant pas être celui de nos
politiques d'après la Révolution qui sont censés savoir pratiquer la vraie
politique, celle qui sait être compréhensive, car étant en empathie avec
l'imaginaire populaire et courageuse, allant vers l'idéal tout en tenant compte
du réel.
Aussi
seraient-ils bien inspirés de soulever sans tarder cette exception
d'incompatibilité du visa biométrique avec la souveraineté nationale et
contrecarrer toute contestation et ergoterie qui y serait opposée en osant
demander la levée purement et simplement du visa aux déplacements du Tunisien
et ce comme une revendication imposée par le peuple, une exigence majeure de la
Révolution tunisienne, un gage pour la réussite de sa nouvelle modernité
politique dans une Méditerranée apaisée.
J'ai déjà
assez évoqué la question à plusieurs reprises ici pour avoir à y revenir.
J'ajouterai simplement qu'agissant ainsi et au-delà d'un acte de politique étrangère,
nos politiciens feront de cette question du visa une arme de politique intérieure,
comme c'est le cas en Europe, au demeurant, où la raison profonde de l'aberrante
politique migratoire européenne est d'abord de politique intérieure. Car,
raisonnablement, aucune justification ne résiste à l'examen objectif et sérieux
d'une analyse scientifique quant à la contre-productivité de la politique
actuelle de fermeture des frontières et ce sur tous les plans, y compris économique
et sécuritaire. Il suffit de revenir aux études pléthoriques en l'objet
d'instances indépendantes pour qui veut être objectif et se soucier du sort de
ce monde et non d'intérêts de politicaillerie.
Nos
politiques, dépassant leurs réticences en se saisissant de l'arme du visa, réussiront
alors à faire s'assembler autour d'eux tout notre peuple appréciant de les voir
enfin répondre à l'une de ses attentes capitales à une forme majeure de sa
dignité : son droit inaliénable à circuler librement dans le cadre d'un espace
de liberté entre pays politiquement modernes, communiant dans des valeurs
universelles de respect des droits de l'Homme.
À défaut,
j'en appellerai aux représentantes et représentants de ce peuple à l'Assemblée
nationale Constituante pour se saisir de la question en votant un article
constitutionnel consacrant le droit du Tunisien à circuler librement avec la nécessité
subséquente d'en faire un principe fondamental et intangible de la diplomatie
tunisienne. Ainsi ôteront-ils toute raison de ne pas agir dans ce sens à nos
hommes politiques et à nos diplomates coupés des réalités profondes de leur
peuple !
Car qu'on
ne l'oublie pas ! Ce n'est pas en acceptant les diktats des régimes nationaux étrangers
fermés sur eux-mêmes, cloisonnés dans leurs frontières dans une conception
surannée du monde que l'on accompagnera dans les meilleures conditions une évolution
inéluctable et déjà en cours de ce monde vers une plus grande solidarité.
Ce n'est
pas en cautionnant la politique migratoire actuelle de l'Europe, une politique
sans âme ni morale ni réellement bénéfique en retombées, que l'on fera de la Méditerranée
ce bassin de paix et de codéveloppement toujours d'actualité, aujourd'hui plus
que jamais.
Aussi, les
termes migration, émigration et immigration doivent-ils être rayés désormais
de nos discours officiels et officieux ! Il n'y a pas plus d'immigrés que de
colons aujourd'hui en Europe; il n'y a que des expatriés et des voyageurs.
Sauf, peut-être, dans les têtes des racistes et des xénophobes ! Mais, la xénophobie
ne gagnerait-elle pas nombre de politiques nationales au jour d'aujourd'hui
?
Publié sur Nawaat